Premier jour : « Home Sweet Home »
Ma banlieue est du genre « Desesperate Housewives ». Tout le monde a sa petite maison avec sa pelouse bien tondue, ses nains de jardins, son panier de basket, deux ou trois voitures (sait-on jamais !). Il y a un petit truc rouge sur les boîtes à lettres pour signaler s’il y a ou non du courrier. « I love that. » À l’intérieur de la maison, y’a pas de parquet comme en France, mais une moquette épaisse, des cuirs, des bibelots, des petits tableaux, du doré partout, des fausses fleurs, des plafonniers à hélices qui tournent, comme dans les bars, histoire de faire de l’air, des poupées par dizaines, soigneusement rangées sur des étagères, avec leurs robes à leurs côtés, et des lampes en porcelaine avec des scènes pastorales où les bergères ont de grands chapeaux. Dans le jardin, à la place de la piscine, il y a un trampoline. J’ai ma propre chambre avec un grand lit pour deux personnes. Ma couette est ornée de marguerites et mon drap est tissé dans une matière moelleuse qui rappelle celle de serviettes de toilette neuves ou encore celle d’une moquette qui n’aurait pas encore été piétinée. C’est le rêve de dormir là-dedans. La chambre de Kasia, elle, est rose. Elle a un grand miroir, monté sur un meuble (meuble dans lequel elle peut ranger tous ses cosmétiques — qui se comptent, soit dit au passage, par milliers : fonds de teint, mascara, crayons, gloss, etc.).
Il y a tout dans cette maison : Home cinéma, jacuzzi, piscine chauffée… Je me souviens avoir bâti à peu près la même maison en jouant aux Sims, il y a quelque temps ! Tout le monde ici s’extasie sur la façon que j’ai de m’habiller. Il suffit que je porte un foulard et on crie au « style “ soooo elegant ” ». Il faut dire que tout ce beau monde se balade en survêtement, alors moi, bien sûr, avec un slim, un collant ou une jupe, je fais sensation.
Le premier jour, à peine débarquée, j’ai regardé avec fascination, Tessa, ma mère d’accueil, enduire un gâteau d’une énorme couche de crème blanche. On ne voyait plus un centimètre carré de biscuit. Ensuite elle a déposé une sorte de chantilly bleue, puis une rose, et, enfin, elle a pulvérisé le tout de confettis sucrés. C’était hyper bizarre, mais je n’ai rien dit car j’ai bien compris que j’étais la seule à être étonnée. Le même jour, quand j’ai donné mes cadeaux de remerciement à ma famille, ils se sont tous extasiés : « c’est si chic, si français… », et ils m’ont remerciée, remerciée et remerciée encore. Les Américains sont quand même sympas.
Treizième jour : « Bienvenue à “ Wellsville High School ” »
Ça commence par une mauvaise nouvelle : je n’ai pas pris le bus jaune. Et croyez moi, ça m’a fendu le coeur. J’ai passé la première partie de la journée à ne rien faire sinon à assister aux speechs du directeur et des profs, à écouter le discours sur l’éducation prononcé par Obama — qui était projeté sur un grand écran —et à emprunter un bouquin d’Hemingway à la bibliothèque — histoire de passer le temps. En fait l’administration a eu un peu de mal à ficeler mon inscription. L’après-midi j’ai pu choisir mes cours : Économie, Anglais, Maths, Sport, en matières obligatoires, et Speech, Dessin, Psychologie, et Français en options. J’ai justement commencé par un cours de Français, à 14 h 30. La prof ? Sympa, ravie de me voir, rieuse, motivée… plaisantant, jouant sans cesse avec une chaise à roulettes dont elle semblait folle dingue. Les élèves ? Quinze ados à « baffer », ne faisant aucun effort, répondant aux questions en anglais, usant de borborygmes, ne souriant jamais, détestables. Et moi ? Moi, j’étais l’attraction du jour. Et comme j’adore ça… tout allait pour le mieux.
L’autre jour, j’étais au self avec Hedda, quand deux jeunes filles sont venues s’asseoir à côté de nous :
Paidge et Angela. Elles se sont présentées. Absolument charmantes. Elles sont parties. Une autre fille est arrivée : une autre Paidge, très gentille, aussi. Plus tard Alice et Katie sont venues à leur tour nous rejoindre à la table. Quand je leur ai raconté que j’avais fait la connaissance de Paidge et Angela, Alice m’a regardé droit dans les yeux et m’a dit : « Oh my Gosh, no, Paidge MacNeen ! La blonde avec une tête un peu plate ? » J’ai dit : « Oui, c’est ça, c’est elle ! » Alice s’est alors tournée vers la seconde Paidge et lui a demandé : « Tu l’aimes bien, toi ? » La seconde Paidge a répondu : « Mais, je ne la connais pas ! » Alors Alice a lancé : « She is a fucking bitch ! » et après un petit silence, elle m’a désigné la seconde Paidge et m’a dit : « Voilà, elle là, c’est une bonne Paidge ! » J’ai pensé : « Me voilà bien ! » Et maintenant j’attends vos conseils pour savoir comment me comporter avec la méchante Paidge qui ne m’a encore rien fait ! Je dois vous parler aussi de mon casier. Code 1-33-7. Il faut d’abord passer sur le 33 sans s’arrêter dessus. Puis repartir dans l’autre sens (la droite, la gauche ?) et là, s’arrêter sur le 7. La première fois que je l’ai fait, ça n’a pas marché bien sûr. Alors j’ai réessayé. Une fois, deux fois, dix fois. A la vingtième tentative, j’ai entendu une voix derrière moi : « Need some help ? » J’ai sursauté et bredouillé une réponse en guise d’explication. La voix alors m’a dit : « Let me help you ? What’s your number ? » J’ai dit : « 1-33-73. » Et là, sous mes yeux ébahis, en quatre secondes, le type a fait « Chick, Chick, Chick » et le casier s’est ouvert. Mon sauveur m’a souhaité une bonne journée et s’en est allé..
Marguerite, Wellsville, New York, Un an aux USA