Témoignages – La maison des Barreau s’appelle « La Bénaudière » – elle pourrait s’appeler « La Maison du Bonheur ». On y est accueilli chaudement (café, sourires et croissant…) – on y est bien – et les traces, encore fraîches, laissées par les départs et les accueils témoignent de la passion vraie de toute cette famille pour les relations humaines.
Jocelyne Barreau dresse pour commencer un petit tableau du parcours de ‘ses’ enfants : « David, notre fils aîné, marchait moyen-moyen à l’école. Il aimait bien l’Espagnol. Il voulait donc faire un séjour d’été en Espagne. Quelque chose de court et de classique. Un jour, il est revenu du lycée avec des brochures. On a contacté l’organisme le plus proche (c’était au Mans) parce que ça nous paraissait plus pratique. Andrée Calvez (déléguée régionale des Pays de la Loire – CQFD) nous a répondu que nous n’avions pas du frapper à la bonne adresse : PIE ne faisait que des séjours longs et aucun séjour en Espagne ». Le Mexique était, à l’époque, la seule destination PIE de langue espagnole. « Quand on a su cela, on s’est dit qu’il fallait réfléchir. Un an, ça paraissait fou ! Nous n’y étions pas préparés du tout. Mais quelques jours plus tard, David nous a dit : «Moi, je suis prêt». Et, quelques mois plus tard, il est parti ». Ce n’était que le début de l’aventure. « Ensuite nous avons accueilli Allison. Puis c’est Julien, notre second fils qui est parti à son tour. Et, l’année suivante, nous avons reçu Lygia. Voilà ! » Ainsi présentées, les choses paraissent simples. « Elles le sont », rétorque Jocelyne Barreau. Pour elle, il suffit « d’être ouvert et disponible. Alors, tout est possible ».
1992. David – « Une première »
« Va-t-il être capable d’assumer ? Supportera-t-il un an sans la protection familiale ? Voilà les questions qu’au moment de son départ nous nous sommes posées. On était très angoissés, c’est vrai. C’était la première fois. Nous ne nous rendions pas compte du degré de prise en charge de la famille d’accueil». Pour une mère l’expérience est forte : « En le voyant partir je me suis dit : ‘Là, il part pour une année, mais bientôt il partira vraiment. «Pour moi, ce départ était comme un prélude, un tremplin, une mise à l’épreuve. A ce moment-là, j’ai surtout craint de le retrouver trop changé, trop différent. Heureusement, j’avais ma petite dernière qui avait un an, je me suis beaucoup focalisée sur elle ».
David prend son vol au début du mois de septembre. Au Mexique, il vit dans un petit village, à la campagne. « Cela se passait bien, mais il était un peu à l’étroit dans sa famille. Il a regretté un peu d’être isolé. Il fallait qu’il reste à la maison. C’était très strict. Heureusement il s’est fait beaucoup d’amis ». C’est d’ailleurs la famille d’un de ses amis qui, deux mois après son arrivée, se propose de le recevoir. « C’est parti de David. C’est lui qui a parlé avec son copain et qui a fait la démarche. » Dans cette nouvelle famille, David se sent bien. Le changement est bénéfique.
« Cette nouvelle maison était ouverte, agréable, la communication y était simple. Cette famille lui a fait visiter beaucoup de choses. Il y a bien eu un problème de jalousie avec le frère, mais je crois que c’est souvent le cas, non ? ».
D’après ses parents, David a acquis, grâce à ce séjour, beaucoup d’indépendance. « En fait » dit Gérald, son père, « il avait déjà tendance à se prendre en charge lui-même, et cette année n’a fait que conforter ce trait de caractère. Elle a servi d’accélérateur ou de révélateur. Quand j’ai été le voir là-bas, j’avais l’impression que ce n’était plus mon fils, qu’il n’avait plus besoin de moi. A tel point que je me suis dit : ‘A son retour il faudra mettre les pendules à l’heure’. Et la mère de David d’ajouter, mi-interrogative, mi-affirmative : «C’est normal, non ? C’est l’évolution des choses. Et puis c’est un problème de père. Car à son retour j’ai ressenti autre chose. Il m’a serré dans les bras. Il était fort. C’était devenu un homme. J’ai senti que je n’avais plus besoin de le protéger ».
Quant à l’autonomie, je reconnais qu’il avait déjà une nette tendance à la rechercher. Mais je suis persuadée que cette tendance s’est renforcée. Durant son séjour, par exemple, il nous parlait des problèmes qu’il rencontrait après les avoir surmontés. Il se prenait vraiment en charge ».
A la fin de son séjour, David veut absolument rester au Mexique. « Ca nous a fait peur. On se voyait tous partir là-bas et y vivre définitivement. Et puis… David a changé d’idée. Il est rentré. Une fois en France il a voulu partir pour Cuba. Il se sentait vraiment international».
Aujourd’hui, David travaille. Il est responsable d’un Flunch du côté d’Annecy. « Il a l’air bien. Il a pas mal de gens sous sa responsabilité. Ce job a l’air de lui offrir pas mal de possibilités ».
Jocelyne revient sur le Mexique : « J’ai quand même un petit regret… David n’est jamais retourné au Mexique. Et il a perdu tout contact avec sa famille. Elle ne lui a jamais écrit ». Quasi résolue, Jocelyne ajoute : « Comme on dit : ‘Loin des yeux, loin du coeur…’ Mais bon, c’est un peu dommage.» On sent, au ton de sa voix, que sa façon de voir les choses est autre.’ Loin des yeux, près du coeur’ semble mieux correspondre à l’esprit de la famille. Et la suite des événements à tendance à lui donner raison !
1992. Allison – « Une évidence »
Accueillir était pour les Barreau une évidence : « C’est surtout la moindre des choses. Nous nous sommes décidés vite. On savait ce que c’était que l’angoisse de l’attente ». Le nom d’Allison s’est imposé assez rapidement : «C’était le coup de foudre. Elle parlait d’environnement, de protection de la nature ! Cela nous branchait. Et puis la photo, le visage, le sourire merveilleux. Et quelques mots aussi, des mots glissés dans sa lettre de présentation ». Comme quoi le choix d’un jeune tient à tout et à pas grand chose.
« En l’espace d’un an, Allison est devenue notre fille américaine ». Jocelyne Barreau parle d’elle avec beaucoup d’émotion : « Cette fille avait toutes les qualités : elle était douée, gentille, souriante… Parfaite quoi ! ». Et puis elle lâche cette confession touchante :« A un moment je me suis même demandé si on était à la hauteur ». Jocelyne parle des exploits scolaires de son hôte, de ses connaissances, de son intelligence. Elle revient, ensuite, sur ce qu’elle juge le plus important, à savoir : « ses incomparables qualités humaines ».
L’accueil, Jocelyne ne le nie pas, « c’est quand même une certaine responsabilité. On doit redoubler d’attention. On pense toujours aux parents naturels, à ce qu’on leur doit. Mais alors en retour on reçoit… (Jocelyne achève sa phrase d’un geste qui symbolise le tout ou la profusion) ». Trois ans après son séjour et son retour aux USA, Allison se marie. Gérald Barreau parle nous parle de l’événement : « Nous étions invités. Tout était très préparé, très organisé, très hiérarchisé. Et bien, à l’église, nous étions placés juste derrière les parents, à côtés des grands-parents et devant tout le reste de la famille. C’était très fort ». Jocelyne ajoute : « Aujourd’hui encore, ils ne cessent de nous remercier, alors que cet accueil date de 93 ». Puis elle conclue sur le chapitre Allison : « Mais c’est vrai qu’entre elle et nous, c’est pour la vie. On sait que notre relation est privilégiée ».
1994. Jérôme – « Une habitude »
Jerôme a 15 ans. Il prépare son dossier tranquillement – il est sûr de lui – il veut partir aux USA. Quand on demande à Jocelyne et Gérald si un départ aux USA est plus rassurant qu’un départ au Mexique, d’une seul voix ils répondent : « Il nous aurait dit qu’il voulait passer un an en Finlande cela aurait été pareil. La langue ce n’est pas le plus important dans l’histoire. Et c’est aux gosses de choisir leur destination. De notre côté, ce départ a été plus calme. C’était presque devenu une habitude. Au printemps, le dossier de Jérôme part aux USA. « Il est arrivé une chose très curieuse. Quand une famille d’accueil potentielle a eu son dossier en main elle a remarqué que nous recevions une américaine. Le père a alors téléphoné à Allison, pour qu’elle leur parle de Jérôme ». Le ‘rapport’ d’Allison a du être bon, puisque après s’être entretenue avec elle, cette famille se décide à accueillir Jérôme. « Un autre élément a du jouer également», nous dit Jocelyne, « J’avais dit à Jérôme : ‘Mets cette photo (voir ci-dessus) où tu es avec ta petite soeur. Moi, je serais une mère d’accueil, je flasherais tout de suite.’ Et ça a marché. Il a été reçu par une famille de trois enfants. Ils nous ont confirmé après-coup que cette photo avait été déterminante) ». Jocelyne sourit et nous glisse : « Quelquefois, il faut savoir jouer avec les sentiments ».
Jérôme part en Août. « On était complètement détendus. On avait déjà une bonne expérience (rire !). Le cap le plus difficile était passé. Jérôme est ‘tombé’ dans une super famille. « Il a été heureux pendant un an. Ça a roulé. Cette famille s’est beaucoup battue, à énormément investi pour lui : pour l’inscrire à l’école, pour le soutenir en anglais. Il l’ont littéralement porté – ils ont été très présents. L’école et les professeurs nous l’ont confirmé. Nous savons aujourd’hui qu’ils ont considéré Jérôme comme leur fils. Il est devenu leur enfant. » L’année dernière les Barreau ont rendu visite à la famille de Jérôme. Les deux familles se sont alors découverts beaucoup de points communs. « Nous nous sentons très proches d’eux. Nous avons passé quinze jours ensemble et nous avions l’impression de nous connaître depuis toujours. Et puis, ce n’est pas un hasard si sa mère d’accueil a réagi sur la même photo que moi ».
Une année sans problème ? « Des problèmes, il y en a toujours. Quand on reste chez soi on en a également des problèmes. C’est la vie. On ne peut pas tout ramener au fait d’être ailleurs. »
Un point fort concernant l’année de Jérôme ? Jocelyne répond : « Rien de particulier. Tout était fort, tout était bien ». Gérald renchérit : « Quand j’ai découvert à quel point le père considérait Jérôme comme son fils, ça m’a particulièrement touché. Il bricolait, jouait avec lui. D’ailleurs, quand nous sommes allés là-bas, c’était amusant, car Jérôme était chez lui. C’était sa maison. On était gênés, tant il était à l’aise ». Les parents n’ont-ils jamais éprouvé un sentiment de jalousie ? « Non vraiment, et à aucun moment. Au contraire. C’était merveilleux. C’était puissant. Un grand amour. D’ailleurs quand on les remercie d’avoir accueilli notre fils, ils nous répondent : ‘C’est nous qui vous remercions de nous avoir confié Jérôme’. Je trouve ça tellement gentil que j’ai fait le même compliment à la famille d’Allison (rires)».
Jérôme est revenu des USA beaucoup plus sûr de lui. « C’est un garçon qui jusqu’à l’âge de 12 ans ne nous quittait pas. Il était collé à nous en permanence. Sur ce point-là, il a complètement changé. Le détachement a été très positif. »
En bonne déléguée, Jocelyne cherche ensuite à généraliser les effets de ce type de séjour : « Les jeunes apprennent vraiment à se prendre en charge. De toute façon, dans le positif comme dans le négatif, cette expérience est un révélateur et il faut, à mon avis, s’appuyer dessus pour améliorer les choses, autrement-dit pour améliorer les attitudes et les relations. Jérôme, par exemple, a appris à s’ouvrir totalement aux autres. Il avait, sans aucun doute, ce potentiel en lui. Mais il s’est vraiment révélé là-bas. »
Lygia 96 – « Vingts fois sur le métier remettez votre ouvrage. »
Au retour de Jérôme, les Barreau se décident à accueillir une autre fois. «Après tout, c’était normal, nous avions eu deux départs – il n’était donc pas question d’accueillir une seule fois ». Cette fois, ils choisissent une jeune Brésilienne. Tout est prêt – ils l’attendent. Mais quelques temps avant sa venue, la jeune fille se désiste. « Ca nous a fait un coup». Les Barreau parlent de cet échec de façon grave : « Andrée, notre déléguée, nous a proposé d’autres jeunes, mais nous lui avons dit : ‘Attends il faut qu’on s’en remette’. Vraiment c’était très dur. Et puis on s’est dit, ‘c’est un signe, ce n’est pas le moment, n’allons pas forcer le destin !’». La famille décide donc de remettre l’accueil à l’année suivante. L’année passe. Fidèles à leur promesse, les Barreau se manifestent à nouveau. Ils ‘craquent’ pour Lygia. «En fait on hésitait entre une brésilienne et une japonaise. Or, le père de Lygia est japonais et sa mère est brésilienne. Et franchement, quand on voit une fille comme ça, on ne peut que craquer, non ? » Fiers, ils mettent en avant sa photo. Puis ils ajoutent : « Dans sa lettre elle s’exposait avec une telle franchise que nous n’avons pas hésité».
« Lygia était en proie à pas mal de problèmes familiaux ». Elle trouve, chez les Barreau un vrai foyer, une vraie famille. « Elle ne savait pas ce que c’était que de manger à table, tous ensemble. Elle a appris ça. Avoir un père, des frères, des soeurs ». Récemment, Lygia a écrit à Jocelyne. C’était à l’occasion de son anniversaire : « Elle me dit que j’ai transformé sa vie. Elle est mignonne comme tout, elle me dit même que je lui ai appris plein de choses ».
On demande à Jocelyne et Gérald ce qu’ils pensent, eux, avoir apporté à leurs hôtes. Il réfléchissent longuement. C’est Jocelyne qui répond la première : « C’est dur de savoir… Je ne vois pas, non… Si, en fait, pour Lygia je sais. On lui a appris la vie en famille. Allison c’est plus dur à définir, car elle avait tout. On lui a peut-être appris des petites choses. Moi par exemple, je lui ai appris à faire de la mayonnaise (rires). Plus sérieusement, je dirais qu’on lui a permis de réajuster certaines valeurs (le rapport Europe/Amérique, des choses comme ça…).
En guise de conclusion on tente, tous ensemble, d’édicter quelques conseils. Jocelyne hésite, puis se lance : « Je crois que le fait d’accueillir un jeune aide beaucoup à supporter le départ de son enfant. On comprend mieux les situations. On anticipe les problèmes. Quand on a observé les difficultés que rencontrait un jeune étranger, alors on est mieux placé pour donner de bons conseils à son enfant. En matière d’accueil la seule chose qui compte c’est l’échange intérieur, le contact humain, les relations humaines. L’environnement, le milieu, le niveau de vie, la vie extérieure… Tout ça, ça ne compte pas ». Jocelyne reconnaît, par ailleurs, qu’il est bien difficile de généraliser. « On a quelquefois des conseils de l’extérieur. Les gens nous expliquent comment il faut faire, les choses à dire et celles à ne pas dire ». Avec humour elle rajoute : « Quand on les écoute, on réalise qu’ils ont toutes les connaissances nécessaires pour bien accueillir. Moi, je me demande pourquoi ils ne le font pas !». Elle relance : « On hésite toujours à accueillir, on pèse trop, on a peur de ne pas convenir, de ne pas être à la hauteur, mais en fait on est juste là pour leur offrir une vie de famille, une vie de tous les jours. Et je crois, que lorsqu’on a donné ça, on a tout donné ».
Et lorsqu’on a dit ça, on a tout dit.
Article paru dans le journal Trois-Quatorze n°28