En 1985, Sonia, Pierre et Carole ont vécu l’aventure Américaine. Se souviennent-ils des moments qui ont précédés leur départ ? Avaient-ils les mêmes doutes et les mêmes interrogations ? Aujourd’hui, où en sont-ils? … Que reste-t-il, cinq ans après, de leur année américaine? Tous trois répondent à nos questions.
Carole, Pierre et Sonia… à quel âge êtes-vous partis aux USA ?
Carole: J’avais 18 ans. Je suis allée à Windsor, dans l’état de New York.
Pierre: Je suis parti à 17 ans. J’ai vécu un an à Fort-Wayne dans l’Indiana, près de Minneapolis.
Sonia: à 17 ans et demi. J’ai fêté mes 18 ans aux USA. Je vivais a Dryden dans le Michigan.
Quelles étaient vos inquiétudes avant votre départ?
Carole: Ca faisait très longtemps que je voulais faire ça. J’étais tellement motivée que je n’ai jamais eu l’impression de faire une folie. Je m’étais tellement battue pour faire ce séjour (financièrement car c’est moi qui avait dû le payer) que je l’aimais sans réserve, avant même de commencer.
Pierre: Aucune inquiétude. Absolument aucune. Je ne me suis pas posé de question. Je suis vraiment parti à fond en me disant que ça ne pouvait être que positif. Je ne sais pas pourquoi mais j’avais un bon pressentiment. J’avais pris cette décision huit mois auparavant. Je l’avais prise assez rapidement , car à partir du moment où j’ai su que ce genre de programme existait,j’ai pensé que c’était pour moi. Je n’ai eu aucune hésitation.
Sonia: Des inquiétudes? Pas franchement. D’autant que ma soeur était déjà partie aux Etats-Unis. Elle m’avait montré le ‘Year Book’ (livre de l’école) et ça m’avait plu. Je ne peux pas dire que j’ai hésité.
Dans l’avion, que vous est-il passé par la tête?
Carole: Le voyage en avion? En dehors du fait que c’était mon baptême de l’air, il ne m’a pas laissé de souvenir fort. Je n’ai pas eu l’impression d’une coupure. Je me souviens seulement des dix dernières minutes avant d’atterrir. J’étais pressée. Ca faisait tellement longtemps que je rêvais de ce moment.
Pierre: Ah oui il a été important ce voyage. Ca c’est sûr! En cinq minutes, je me suis posé toutes les questions que je ne m’étais pas posées auparavant. Tout à coup, j’ai vraiment réalisé… et j’ai vraiment flippé. Mais après, tout à été très vite. Aujourd’hui forcément, ça me fait sourire.
Sonia: personellement, c’est pendant ce transfert de New York à Detroit que j’ai réalisé que je partais pour un an. Avant, c’était la rigolade. Et là, je me suis retrouvée devant le fait accompli. Ca a vraiment été un moment charnière. Mais dès que j’ai tourné dans le couloir de l’aéroport et que j’ai aperçu la famille, tout a été fini. J’ai oublié les promesses que j’avais faites dans l’avion au sujet des courriers que l’on s’écrirait, etc… . la page était tournée.
Ce voyage était-il important?
Carole: Je n’avais jamais pris l’avion. Alors c’était une grande aventure. Comme je n’avais jamais réellement voyagé, c’est ça qui m’a le plus inquiétée. J’étais vraiment une grande timide, alors j’avais peur de ne rien comprendre à ce que me diraient tous ces gens que je ne connaissais pas. J’avais peur de ne pas pouvoir communiquer.
Pierre: Je me souviens de l’aéroport. On était tous ensemble. On se connaissait bien puisqu’on avait tous participé au stage. L’avion était en retard je crois. Je me rappelle avoir téléphoné une dernière fois à ma mère… . Dans l’avion, tout allait bien. Enfin,jusqu’à New York, parce qu’après… . durant le second vol , dasn l’avion qui m’a emmené à Fort-Wayne, ça n’a pas été la même chose. Là, j’ai commencé à avoir l’estomac noué. Je me suis vraiment demandé où j’allait tomber.
Sonia: Oh la, la!C’est loin tout ça. Je ne me rappelle de rien. Ni de l’aéroport où on a embarqué ni de l’avion. J’étais déjà ailleurs. Je me souviens quand même de l’arrivée sur New York. C’était magnifique parce qu’on est arrivé en pleine nuit. (Tous les vols transatlantiques sur New York arrivent le jour… NDLD!). Mais ça reste flou. En fait le vol dont je me souviens parfaitement, c’est celui de New York à Detroit. On a beaucoup discuté, on a échangé des adresses. On était très exités. On ne tenait plus debout. Chacun essayait d’imaginer sa famille et se racontait des histoires. On ne savait pas du tout à quoi s’attendre. L’obsession, c’était de se dire qu’il allait falloir passer un an avec des gens que l’on ne connaissait qu’en photos. On avait peur qu’ils ne nous reconnaisent pas. C’était très curieux. Je me rappelle que l’avion était en retard et que les familles étaient fatiguées de nous attendre. Les banderoles étaient tombées, les fleurs étaient fanées.
A un moment de l’année, vous êtes-vous sentis Américain ou Américaine?
Carole: Pas franchement… . Mais le jour où j’ai réalisé que j’avais attrappé l’accent américain, j’étais vraiment fière!
Pierre: Oui. Mais je crois qu’en général, je m’intègre assez bien, alors ça n’est peut être pas significatif. Pour moi, ce moment est venu assez vite. Il me semble que c’était à la première fête de l’école. J’ai réalisé tout à coup qu’il n’y avait plus de distance entre les Américains et moi. En tout cas, je ne l’ai pas perçue. J’ai compris alors que c’était vraiment parti, j’étais dedans!
Sonia: Un jour, je me suis sentie métamorphosée. Physiquement et moralement. Pour la rentré scolaire, par exemple, ma soeur américaine m’avait maquillée. Pour moi c’était un jeu , que je jouais volontiers mais tout en en étant consciente. Et puis petit à petit, je trouvais ça naturel. Pour la ‘Prom’, sans même m’en rendre compte, j’ai enfilé une de ces robes américaines que je trouvais totalement ridicules avant de partir ! A un moment, dans le courant de l’année, j’ai envoyé des photos en France. On m’a répondu qu’avec mon côté un peu poupée, je ressemblais vraiment à une Américaine. Là, j’ai compris. J’avais bel et bien changé.
L’obstacle linguistique a-t-il gêné votre intégration?
Carole: Moins que je ne le pensais. Mais je me suis vraiment efforcée de ne pas dire un mot en français. Jamais. J’ai vraiment eu l’impression d’être à l’aise après quatre mois. Penser en Anglais et dire des gros mots, voilà quels ont été pour moi les signes.
Pierre: Au début, pour les cours, oui. En fait ça m’a posé des problèmes pour les deux premiers mois. Les toutes premières semaines ont été vraiment dures. J’étais toujours fatigué à la fin de la journée. J’avais le cerveau plein. J’avais vraiment du mal à me concentrer. Le vrai déblocage a eu lieu au bout de trois mois. Un jour, je me souviens, j’ai commencé à comprendre les blagues à la télé. Après, c’était parfait.
Sonia: Le premier semestre, j’avais choisi un cours de littérature américaine. C’était un peu difficile. Mais sinon, ça a marché. Un jour, j’ai fait le fameux rêve en Anglais. C’était fabuleux. C’est venu assez vite, le premier mois.
Cinq ans après, quelle image gardez-vous de votre école et de votre famille?
Carole: Ma famille était très sympa. Elle m’a montré beaucoup de choses. C’était très gentil de leur part. A l’école, c’était pareil, j’ai été très bien acceptée. Au fil de l’année, le ‘counselor’ et sa femme sont devenus de vrais amis. J’avais beaucoup d’activités, j’animais un cours de français et, bien sûr, je suivais un certain nombre de matières (‘journalism’, ‘english’, ‘public speaking’, ‘math’, ‘biology’, etc… ). J’ai énormémént profité des après-midi de sport. J’ai pu faire du basket et de l’athlétisme. Et quand je dis faire, c’est faire. C’est à dire intensémént. J’aimais aussi l’école pour son architecture, son aspect extérieur, sa commodité. C’est peut être idiot mais l’école était très spacieuse et très avenante.
Pierre: L’école, c’était vraiment le point le plus magique et le plus original. L’esprit d’équipe, la bonne ambiance, la vie sociale: c’était ça le plus frappant et le plus enrichissant. J’avais un frère américain qui avait plein de copains et qui faisait beaucoup de choses à l’école – alors il m’a fait rencontrer des tas de gens. Dans la famille, ça a très bien marché également.
Sonia: C’est dur de décrire en quelques mots tout un sytème. Je garde surtout le souvenir de toutes ces activités qui étaient proposées, des relations très cordiales qui existaient entre les profs et les élèves, de la vie qu’il y avait à l’école, du sport, des fêtes, etc… L’école, c’était un amusement et quand arrivaient les vacances, on s’ennuyait. Quant à ma famille, ils sont venus me voir cet été… Cinq ans après!
Avez-vous conservé des contacts aux USA?
Carole: J’ai eu très peu d’amis là-bas mais de très bons et je reste toujours en contact avec eux. De même qu’avec la famille. Je suis allée les revoir avant d’aller travailler au Canada.
Pierre: Oui, bien sûr: famille, copains. J’y retourne tous les ans (sauf cet été parce que j’avais les concours). J’ai des amis qui sont venus me voir en France.
Sonia: J’ai conservé beaucoup de contacts. Je commence même à recevoir des cartes de mariage!
Quel est le plus gros problème que vous ayez rencontré pendant l’année?
Carole: La jalousie. Ma soeur américaine était jalouse. C’est le seul regret que j’ai eu. Ca ne m’a pas facilité la vie. Mais en même temps, je me suis dit: ‘tant pis pour elle’.
Pierre: Moi, honnêtement, je n’ai pas eu de vrai problèmes, mais je sais que certains en ont eu. Dans mon cas, l’année a passé trop vite. Sauf peut-être à la fin. Le dernier mois, je ne sais pas pourquoi, mais il m’a paru long.
Sonia: Moi j’ai eu un coup de déprime vers Noël. Je ne sais pas trop pourquoi. Mais à partir du mois de Janvier, tout a été très vite. Ca s’est vraiment accéléré. C’était terrrible.
Des deux départs -France et Etats Unis- quel a été le plus pénible?
Carole: Le retour. Parce que je ne savais pas combien de temps j’allais rester sans voir ma nouvelle famille et mes nouveaux amis.
Pierre: Là, franchement… . je ne sais pas. (Longue hésitation). Pour partir ça ne m’a pas posé de problème et pour revenir, je n’étais pas vraiment mécontent de revenir en France… . alors!
Sonia: Je réponds sans hésitation: le départ des USA. Mon départ de France, comme vous avez pu vous en rendre compte, je ne m’en souviens pas. Je n’en ai pas eu conscience. Tandis que le départ des USA a été terrible. Trois mois avant, avec mes amies américains, on pleurait déjà!
En venant vivre un an aux USA, aviez-vous l’intention de vous métamorphoser?
Vous sentiez vous libre de vous façonner une autre image?
Carole: Je me suis sentie libre mais je ne peux pas dire que j’avais vraiment cette volonté d’être quelqu’un d’autre. C’est peut être dommage d’ailleurs. Mais c’est dans mon caractère.
Pierre: Non. Pas du tout. Je voulais simplement vivre autre chose. Mais je me sentais bien avant de partir.
Sonia: Oh non. Ca non. J’avais trop de préjugés contre les américains pour abandonner ma peau de Française. Je n’étais pas partie pour me transformer.
Votre séjour a-t-il changé quelque chose en vous?
Pensez-vous que votre entourage parle de vous en termes ‘d’avant’ et ‘d’après’?
Carole: J’étais une grande timide et honnêtement, je le suis restée. Je pense que mon entourage s’attendait à me voir changer plus profondément.
Pierre: Je crois que je suis le même. En mieux, peut être!Dans le sens mieux dans ma peau. Plus confiant en moi, plus calme, plus décontracté. Dans ce sens là, ça a vraiment été positif. Mes amis qui m’ont recontacté à mon retour m’ont également dit ça.
Sonia: A mon retour, j’étais devenue totalement américaine (par la taille et par la mentalité), on m’appelait ‘l’Américaine’. Et j’ai mis six mois à redevenir française. Avec au bout du compte une évolution importante: l’impression d’être plus tolérant et un peu moins timide (on m’a quand même appris à parler devant trois mille personnes). Mais il faut être vigilant, car on se laisse facilement aller et on oublie vite. Pour les Américains, c’est définitif – j’étais la petite Française, maintenant, je suis devenue l’Américaine… avec une grand A!
Quel a été votre parcours depuis votre retour?
Carole: En ce moment, je suis fille au-pair au Canada, près de Toronto. J’aime mon boulot et je parle anglais. Ca me plait beaucoup.
Pierre: Je suis parti en fin de seconde. Au retour, j’ai fait ma première et ma terminale. Et puis j’ai passé mon bac. Aujourd’hui, je suis dans une classe préparatoire pour préparer les concours des Métiers d’Arts et des Arts Déco.
Sonia: J’ai fait une année de fac, un BTS tourisme et maintenant je fais un ‘Magister’ d’hôtellerie.
Quels sont vos objectifs?
Carole: Je ne sais pas encore, mais je sais que je veux travailler à l’étranger. Si possible au Canada.
Pierre: Dessin, art graphique, etc. .
Sonia: Travailler dans l’hôtellerie et, si possible à l’étranger.
Article paru dans le journal Trois-Quatorze n°16