PUTAIN DE TEXAS
Marion, Azle, Texas
Un an aux USA
«Marion, Arlette de PIE a appelé pour toi!»
On est en mai 2011. Je rentre de l’école — et pour être plus précise encore, de mon conseil de classe du troisième trimestre! En cette année de terminale S, je suis la déléguée de classe. J’étais donc présente quand mes professeurs en sont arrivés à mon cas… et quand ils ont évoqué mon année aux États-Unis. Ils m’ont posé plein de questions: «Est-ce que je savais où je partais?» Non. «Est-ce que j’avais des nouvelles?» Non. Comme la plupart de ceux de ma promo, j’attendais un appel de PIE, et comme la plupart de ceux de ma promo PIE, je flippais un peu. Juste un petit peu. Disons que je m’étais tellement préparée à l’idée de partir, que je ne me suis pas sentie très concernée lorsque les profs nous ont annoncé que les choix d’universités et de prépas étaient décisifs pour notre avenir. Je veux faire quelque chose de différent des autres, de nouveau, alors je me vois mal faire une rentrée d’étudiante en septembre!
«Je connais des gens à New-York» a dit un de mes profs; «J’ai de la famille à San Francisco» a renchéri un autre. C’était mignon de les voir, chacun à leur tour et à leur manière, tenter de m’aider à rendre ce projet viable.
Je flippais donc un peu et voilà qu’en rentrant à la maison, maman me dit: «Marion, Arlette de PIE a appelé pour toi!»
Je répète: «Arlette m’a appelée», «Arlette m’a appelée». Je veux la rappeler. J’ai envie de savoir et en même temps, j’ai peur de savoir. J’ai peur du coup de fil qui peut changer ma vie. Je vois ma vie se transformer en un roman de plage, le genre de roman avec des chapitres aux titres accrocheurs… Ah ah, je m’égare.
Je finis par appeler… et j’apprends que je pars au Texas, que je suis tombée dans une famille composée d’une mère, d’une grand-mère, de deux enfants (un garçon de mon âge et une fille de 15 ans) et de deux chiens ; que je vais vivre dans les environs de Fort Worth avec des troupeaux… du bétail autour de moi.
Première réaction: je n’aime pas les chiens, ça bave et ça sent mauvais !
Deuxième réaction: une grand-mère de 70 ans ? Ah vraiment ?
Troisième réaction: «P… ! je suis au TEXAS» Y’a vraiment une famille texane qui m’a choisie et qui a cru qu’on avait des points communs? Le Texas: c’est les ultra-conservateurs, les ultra-religieux, les ultra-puritains, c’est Bush, Rick Perry, c’est les racistes. Il paraît même qu’une de leurs occupations est de tirer sur les Mexicains qui tentent de traverser la frontière. Le Texas c’est les cow-boys, les rodéos, la country, le désert et les serpents à sonnettes!
Donc je pleure… et je fais pleurer ma mère.
Je pleure à cause du Texas bien sûr mais aussi parce que, ça y est, cette fois, je pars. C’est plus qu’un projet maintenant : c’est sa concrétisation. J’ai une famille, qui m’attend et avec qui je vais partager la vie pendant un an !
Un an c’est quoi ?
Je peux vous dire, qu’avant de partir on ne réalise jamais ce que c’est qu’une année. Un matin, on se réveille et on se dit : «Jeez, ça fait déjà trois mois!» Et un autre matin, on se réveille et on se dit : «Jeez, encore huit mois!» (la seule chose, vous remarquerez c’est qu’on dit «Jeez!» au lieu de dire «Putain!»
J’ai eu de la chance, j’ai pas encore eu de gros coups de blues; ça ne veut pas dire que je n’ai pas pensé à la France et que la France ne m’a pas manqué… Parfois, je me suis demandée comment la vie avançait sans moi et je me suis demandée si je manquais aux gens. Je me suis demandée aussi ce que j’étais en train de rater… Mais dans ces moments-là, j’ai toujours trouvé la solution. La meilleure solution, c’est d’aller à «Walmart». «Walmart», c’est le « Carrefour » US. Dans les rayons tout est écrit en anglais, alors on comprend. Rien que ça, ça va tout de suite mieux. La deuxième solution, c’est de se faire un sandwich peanut butter/jelly. C’est sucré et ça remonte le moral! Et puis, le mieux, c’est de se dire que ceux qui sont restés en France, ils ratent aussi un truc. Un truc vraiment bien. Celui que vous êtes en train de vivre.
Y’a aussi la solution du dialogue. J’ai dit que je n’avais pas eu de coup de blues, mais j’en ai eu un, une fois, un léger problème avec ma mère d’accueil. C’était plus de l’incompréhension, je pense. C’est toujours dur d’être en phase, surtout au début, car même si on tente de ne pas comparer, la manière dont on a été éduqués pendant plus de 15 ans pèse, et nous pousse involontairement à comparer. Et quand on compare, alors forcément les réactions ou les manières de nos «parents» américains peuvent nous surprendre.
Oui le meilleur allié dans ces situations difficiles reste le dialogue avec ceux qui vous entourent. Que peuvent en effet vos vrais parents? À des milliers de kilomètres, ils ne peuvent que flipper et/ou aggraver les choses. Le dialogue c’est ce qui nous rapproche de la famille qui accueille, et c’est cela qui crée des liens. Partager une année avec des inconnus, ça peut paraître effrayant.
En cas de problème, il faut toujours garder à l’esprit que la famille nous a choisi… nous, parmi tant d’autres ! On se doit de cultiver cette envie de partage et de découverte qui les a poussés à participer à ce projet. Ils accueillent quand même un étranger qui baragouine trois mots d’anglais… et pendant toute une année! Ils sont un peu dans le même cas que nous, en fait.
Dans mon cas, la famille a été la chose la plus importante. Ma famille, ce sont les personnes avec qui je partage le plus de temps, que je connais le mieux, qui me comprennent le mieux. Ils ont modifié ma vision du Texas et de l’Américain.
Et lorsqu’un jour, je les ai entendus dire : «On a eu de la chance, quand même, de tomber sur elle… Comment ça va être l’année prochaine… ? On devrait accueillir son frère !» ce jour-là, j’ai su que j’avais bien rempli mon rôle d’«Exchange student».