DOSSIER — PIE, L’ÉCOLE & LA PÉDAGOGIE
EN GUISE D’ÉDITORIAL
En image : lycée Charles Péguy de Gorges, France
Dans le cadre d’une réflexion menée sur des questions générales de pédagogie et sur la question particulière de la pertinence du séjour scolaire de longue durée, «Trois Quatorze» livre ce constat un peu sévère sur l’état du système éducatif secondaire français (du collège au lycée).
Les classements PISA, publiés à la fin de l’année 2013, ne sont guère encourageants pour notre école. Ils mettent en évidence des failles énormes dans notre système éducatif. Outre une baisse générale du niveau (en lecture, en sciences et en anglais), ils font apparaître avec clarté que le socle sur lequel repose notre système — l’égalité des chances — est fissuré. Notre édifice scolaire est, à l’évidence, fragilisé. Quand on sait que la société française a, à l’aube du XXè siècle, construit sa cohésion nationale sur son école (et sur cette notion d’égalité), on est en droit de s’inquiéter.
Notre école, comme toutes les écoles dans le monde, a dû faire face en un siècle, pour des raisons démographiques et démocratiques, à une explosion du nombre d’élèves. Ce défi énorme peut expliquer nombre de difficultés rencontrées, mais il ne suffit pas à les expliquer toutes, sinon pour constater que cette question majeure n’a pas été estimée à sa bonne mesure ou que les solutions n’ont pas été à la hauteur tant au niveau quantitatif que qualitatif. Pendant des décennies en effet, tous les acteurs du système se sont vantés de l’excellence de notre école (nos ministres allant parfois jusqu’à l’autoproclamer comme «la meilleure»), en refusant de se confronter à la réalité, en refusant de regarder ce qui se faisait ailleurs (sinon pour dénigrer «les autres» en général et les nord-américains en particulier), et en refusant de tenir compte du travail effectué dans les sciences de la pédagogie (on pense par exemple à l’expérience Jacobson). Loin de nous l’idée de croire que tout dans le système éducatif français est obsolète — car un travail énorme est effectué, sur le terrain, par des enseignants et des directeurs d’établissements — et nombre d’initiatives encourageantes sont prises un peu partout —, mais il est de notre devoir, en tant qu’acteur et observateur, de pointer les spécificités françaises supposées nuire à notre école.
Comment ne pas s’interroger par exemple sur une administration qui se prend systématiquement les pieds dans le tapis des grands débats nationaux (hier sur la méthode de lecture, aujourd’hui sur les rythmes scolaires…) en se situant toujours d’un point de vue idéologique —voire bassement politique— et en voulant faire l’économie d’une approche rationnelle et scientifique? Un exemple: dans le débat sur l’apprentissage de la lecture, on a préféré se demander si la méthode globale ou syllabique était de droite ou de gauche, révolutionnaire ou réactionnaire, ou si elle était l’apanage de tel ou tel syndicat, plutôt que de tenir compte du fait que la qualité de l’apprentissage dépendait des acquis au niveau du vocabulaire et d’une bonne conscience phonologique.
Comment ne pas s’interroger sur la puissance de la centralisation française et sur les dégâts qu’elle engendre? Il est logique que ce soit le Ministre de l’éducation qui fixe des objectifs et une ligne générale aux écoles, mais il est tout de même aberrant qu’il décide de tous les principes et de toutes leurs applications (programmes, horaires, méthodes…). Imaginons un Ministre de la santé qui légifère dans tous les secteurs du soin et qui, au lieu de s’en remettre aux médecins et aux spécialistes, établisse lui-même les traitements et les protocoles de toutes les maladies !
Comment ne pas s’interroger sur la verticalité de notre pédagogie? Comment ne pas remettre en cause cette tradition universitaire, basée sur le cours magistral et l’extrême hiérarchisation des relations, qui n’a jamais été adaptée au Collège et au Lycée et qui irrigue pourtant toutes les structures éducatives du secondaire ?
Comment ne pas s’inquiéter du caractère extrêmement anxiogène de notre école, du stress perceptible à tous les niveaux —chez les élèves bien sûr, mais aussi chez les enseignants et chez les parents— et qui finit par faire de tous les ennemis de tous?
Comment ne pas s’inquiéter de relations professeurs-élèves qui ne cessent de se dégrader?
Comment ne pas s’alarmer d’un manque de soutien personnalisé aux élèves (un point sur lequel Montaigne, il y a plus de 400 ans, et les sages grecs bien avant lui, insistaient tant)?
Notre école se situe à un tournant. Il est temps qu’elle adopte une approche plus pragmatique, qu’elle abandonne les vieilles idéologies, qu’elle laisse de l’initiative aux acteurs et qu’elle se penche de plus près sur les sciences de l’éducation et de l’apprentissage (les sciences cognitives notamment) en écoutant ce qu’elles nous disent sur les questions essentielles du rapport entre attention-concentration et acquisition des savoirs, sur celles de la consolidation-répétition desdits savoirs, sur celles du contrôle et du stockage de l’information (effet bienfaiteur du sommeil, etc.)… Ce n’est qu’à cette condition que nous sortirons de la nasse dans laquelle nous enferment à la fois trop de conservatisme et de dogmatisme.
Article paru dans le Trois Quatorze n° 54