Andrée Hamonou, alias Andrée H, du Centre et de « nulle part », déléguée régionale pour Programmes Internationaux d’Échanges.
On entend souvent dire, dans les milieux touchant à l’enfance, que tout se joue entre un et troisans. Quand on dit « tout », on pense bien évidemment au caractère, à la personnalité aux dispositions, aux désirs… Dans le cas présent, « tout » se serait plutôt joué entre cinq et douze ans. Car c’est à cet âge (ni plus tôt ni plus tard) que s’est incurvé le cours de la vie d’Andrée H. Elle menait une enfance tranquille et rien ne la prédisposait au voyage. Et puis il y eut Atar. Quand elle évoque son parcours, elle parle de cette courbure avant d’évoquer quoi que ce soit d’autre : « Je suis Bretonne, mais expatriée depuis toute petite – depuis toujours. Moi et mes parents, nous avons quitté la Bretagne pour l’Afrique quand j’avais cinq ans. J’ai passé cinq années en Mauritanie et une année au Sénégal. » Les parents d’Andrée sont instituteurs – lui est casanier, elle rêve d’aventure. On leur propose un double poste en AOF (« C’est comme cela qu’on disait à l’époque »). La mère fait plier le père. C’est donc l’aventure qui l’emporte.
Que reste-t-il de ce premier voyage ? « Je me souviens de l’avion – c’était la première fois que je le prenais, et du premier poste -, c’était si petit – la maison et l’école étaient construites sur pilotis, au-dessus du sable. Je me souviens aussi des chameaux. On vivait dans des oasis ou à proximité d’oasis – dans des endroits favorables au regroupement des populations. On marchait cinq cents mètres et c’était le désert » – le vrai : celui du Sahara. « On faisait des balades, le soir, dans les dunes. Le paysage changeait tous les jours, au gré du vent, c’était féerique. La dune se déplaçait, insensiblement, mais toujours… Et tous les jours. D’un soir à l’autre le soleil ne se couchait plus derrière le même horizon, il n’y avait plus de routine. » Sur le désert, on ne l’arrête pas – elle a l’étincelle – elle dit, à juste titre sûrement, que ceux qui l’ont connu en sont tombés amoureux, et le sont restés pour la vie. Le désert apprend la solitude – il vous accompagne.
À Atar, le père va diriger l’école des garçons et la mère ouvrir l’école des filles. « Je me souviens que les deux écoles se trouvaient aux deux extrémités du village. Il faisait très chaud. Il y avait un « boy » qui nous apportait une grande bassine d’eau pour que nous puissions boire à la récréation… J’étais la seule petite blanche, enfin la seule européenne – car si les descendants des esclaves étaient noirs, les Maures, eux, avaient la peau très claire… J’avais des petites copines. On jouait beaucoup aux osselets, beaucoup ! ». Les souvenirs remontent comme des flashs. Les regrets aussi : « C’était difficile de lier de longues amitiés car elles ne suivaient pas l’ensemble de la scolarité. Et puis, on vivait en cercle très fermé, entre Européens. L’atmosphère, ne l’oublions pas, était tout de même coloniale. » Ensuite, elle nuance : « On se sentait tout de même petit, autant vis-à-vis du paysage que de la population locale. » Elle revient sur ce boy « qui [l’]adorait et qu‘[elle] adorait », qui allait souvent rendre visite à sa famille qui vivait en plein désert, sous la tente, et qui emmenait la petite Andrée sur Ses épaules « pour ne pas [qu’elle] se fatigue » – « j’arrivais là-bas, j’étais la Reine, on buvait une tasse de thé, j’aimais bien. » Sur Atar, la Mauritanie, le Sahara, elle est insatiable.
Mais les bonnes choses, dit-on, ont une fin.
Le retour en France est programmé au moment du passage en 5é. « En Afrique, le niveau d’études était très faible – et il commençait à y avoir de sérieux troubles, là-bas. » Le retour dans la région parisienne est difficile : « Le choc était réel, j’étais déphasée. » L’intégration se fera finalement bien, mais sur le long terme. Collège et lycée de Saint-Germain-en-Laye, Fac d’Espagnol à la Sorbonne. Les études poussées jusqu’à l’agrégation : « Je ne sais pas du tout pourquoi j’ai tenté l’agrégation, dans la mesure où ça me menait droit à l’enseignement et que je ne voulais pas être prof ». Allez savoir ! L’espagnol, peut-être ? « J’étais en tout cas très attirée par les langues. J’ai commencé l’Espagnol en deuxième langue, et, c’est vrai, ça m’a tout de suite plu : la sonorité, l’aspect musical, ma première prof (que j’ai adorée), et les cours qui étaient plus originaux, plus animés, plus folklos. Je ne saurais dire ce qui m’attirait vraiment. » Quand on lui parle d’un lien entre l’Espagne, les Maures, la Mauritanie, elle dit : « Peut-être bien », puis elle sourit, et avec chaleur, ajoute : « Oui, pourquoi pas ? Nous étions si près du Sahara espagnol. »
Elle déclare, de but en blanc, que l’enseignement ne lui a pas plu, puis se reprend : « Sauf mes années de collège – voir les élèves arriver, incapables de dire un mot, et les voir en fin d’année se débrouiller, ça, oui, c’était vraiment magique ! » Elle compare au programme « accueil » de PIE : « Je suis fascinée par les progrès que réalisent les jeunes étrangers. La première semaine ils ne savent dire que oui et non – ils ne le disent même pas toujours à bon escient – et puis à Noël, ils comprennent déjà tout. » Elle marque un temps puis ajoute : « Quand Jess, la jeune Américaine que nous avons accueillie, a utilisé son premier subjonctif, j’ai pleuré. » Décidément, elle aime vraiment les langues… Et les humains aussi. « Les profs devraient veiller à se faire davantage aimer de leurs élèves, car les élèves bossent en partie pour faire plaisir aux profs. » Pour elle, l’enseignement est d’abord une histoire de relation. Elle revendique le fait de fonctionner d’abord à l’affectif : « C’est primordial. » Est-ce la raison pour laquelle elle s’est toujours sentie en décalage avec le monde de l’enseignement ? Elle pense que le système est ainsi fait que les profs règnent trop par les notes, la terreur, l’échec, et elle le regrette : « Mettre des sales notes n’a jamais encouragé personne. » Elle s’éloigne trop de la pensée officielle.
Elle prend sa retraite à 49 ans. Elle n’en peut plus. Trop de gâchis, dit-elle, et d’expliquer : « J’adorais mes élèves. Je crois qu’eux m’aimaient aussi. Nous étions très proches. Et c’était bien comme ça. Mais je ne supportais plus les programmes et ses contraintes. Je trouvais stupide et inutile de faire faire des commentaires de texte en trois parties, et des analyses à tout bout de champ à des élèves qui ne maîtrisent pas une langue mais qui ne demandent qu’à l’apprendre. À longueur de journée, et dans toutes les matières, les lycéens commentent des textes et des tableaux. » Elle conteste cette pédagogie, qui ne privilégie pas l’essentiel. « L’auteur, dans le deuxième paragraphe, veut démontrer que… », tout ce genre de choses, quand on n’a pas acquis les bases d’une langue, je vous assure que ça ne sert à rien. » Elle ose prétendre que les élèves doivent d’abord aimer ce qu’ils disent. Belle formule. Elle en parle aux inspecteurs, mais ne s’estime ni écoutée ni entendue. C’en est trop, le départ est programmé.
PIE arrive à cet instant-là. Nouveau voyage, nouvel Atar ! Andrée a du cœur à revendre, mais comme le cœur ne se vend pas, elle le donne. Elle travaillera, toujours pour des adolescents, mais bénévolement cette fois. À l’époque, Laurence, sa fille, a décidé de participer à un séjour d’une année aux USA. Dans le cadre de l’entretien de préparation, Andrée rencontre la déléguée de l’association PIE en Bourgogne. Elle comprend aussitôt qu’elle peut et veut agir au sein de cette association. « Mon mari m’a guidée. Il m’a dit : « C’est ce qu’il te faut, cela t’ira très bien. » Il voit juste. Andrée H. sera parachutée déléguée régionale dès la première année. À ce poste, elle s’installe, discrètement. Elle s’y imposera, toujours dans la discrétion. Il faut dire qu’elle est parfaitement adaptée à la situation : « J’étais dans une région un peu délaissée par PIE, j’étais très disponible aussi. » Elle oublie d’ajouter – car Andrée H. est modeste autant que discrète – qu’elle comprend immédiatement le sens, la portée et les enjeux des séjours proposés par PIE. Elle fait semblant d’oublier qu’elle a été marquée par le nomadisme, qu’elle a grandi et qu’elle s’est formée au gré de ses nombreux déplacements : la Bretagne, la Mauritanie, le Sénégal, Paris, l’Espagne, Paris à nouveau, la Bretagne encore, l’Espagne toujours, et puis Bourges… Elle sait que le départ est une solution, une forme d’apprentissage.
Le problème de l’intégration – problème auquel sont confrontés tous les participants aux échanges -, elle connaît. Quand on lui demande d’où elle est, elle répond : « De nulle part », réfléchit, puis ajoute : « Ou de partout, ce qui revient au même ! J’ai été transplantée assez jeune : d’abord une fois, puis une autre, et une autre encore : je n’ai pas vraiment fait de racines ou alors des racines superficielles. Je ne me suis donc jamais sentie arrachée. » Elle connaît, dès lors, la force de ceux qui sont capables de repartir, ailleurs et autrement, de ceux qui peuvent reconstruire leur environnement. Mais elle connaît aussi, pour l’avoir ressentie, la nostalgie – cette douleur d’être loin, cette difficulté qu’on a tous à bâtir un monde nouveau. Elle avoue par exemple qu’elle a beaucoup souffert en s’éloignant de la capitale, le jour où elle a dû retourner en Bretagne. « C’était très dur, tout me manquait, je n’étais plus chez moi. » Elle dit avoir pleuré en regardant la télévision et en entendant le bruit d’une rame de métro qui se ferme !
Elle parle encore de son attirance pour la ville, et de son rejet pour les petits patelins, « où l’on se sent épié et écrasé – par les regards et par les commentaires… Et par la méchanceté aussi ». À défaut de ville, elle n’aime que la vraie campagne, que les endroits isolés, vides, comme chez elle, à Bourges, comme… En Mauritanie. Elle craint l’étouffement – elle affirme qu’il faut savoir prendre l’air : « Mon caractère me pousse à subir plus qu’à ruer dans les brancards… » Elle a appris à s’écarter, à emprunter d’autres voies.
Forces et difficultés du voyage : Andrée H. a cultivé ces deux notions en permanence Elle puise dans cette expérience de quoi aider les plus jeunes à réussir le pari du départ. Elle aime conseiller les participants, rassurer les parents.
Avant de nous quitter, Andrée Hamonou jette un dernier regard vers l’Afrique. « C‘est marrant, normalement j’en parle très peu. C’est resté mon jardin secret. Quelque chose qu’il ne faut pas piétiner. J’ai peur de l’abîmer. » Si on lui parle d’y retourner : « Non, je serais nécessairement déçue. J’ai le souvenir d’un lieu si parfait ! L’idéal. Tout cela a sans doute été embelli par l’enfance. Il faut toujours passer à autre chose. » Alors, Andrée prépare d’autres voyages – alors, elle en prépare d’autres au voyage.
Andrée Hamonou en 7 dates
Octobre 1945
Naissance à Quimperlé, dans le Finistère
1950
Départ pour la Mauritanie
1956
Vit un an au Sénégal
1957
Retour en France. Paris
1968
Une année d’étude en Espagne
1971
Épouse Jean-Pierre Hamonou –
Ils auront trois enfants : Bertrand, Laurence et Violaine.
Retour en Bretagne. Professeur en Collège
1989
S’installe à Bourges
Professeur en lycée
1994
Quitte l’enseignement.
1995
Départ de Laurence aux USA (séjour d’un an)
Accueille Jessamy, une Américaine, pour une année
Devient déléguée régionale de PIE pour la région Centre
Article paru dans le journal Trois-Quatorze n°33