À l’origine de ce témoignage, un film court, que Nabil nous a fait parvenir il y a peu et qui relate son séjour d’une année en Georgie. Un film bâti autour des images saisies, à l’époque, par Nabil en personne, sur son petit caméscope ; un film monté, sur l’air de Georgia on my Mind, toujours par Nabil, mais plus de 20 ans après son année américaine.
Un film bref, qui s’impose comme un condensé de toute une année, où l’on aperçoit la famille, les amis, la High School de Nabil ; un film en couleurs avec des Noirs et des Blancs, qui saisit un État et des états d’âme, un film avec des rires et des étonnements, avec des animaux et des ballons, et des voitures qui roulent ou qui traînent.
Ce film court, de même que le témoignage qui suit, nous en dit long sur son auteur, un homme qui met des années à réaliser qu’il doit devenir réalisateur, mais qui sait depuis l’enfance que tout —à commencer par sa nature— le pousse à capter.
Oui, Nabil “capte”… dans tous les sens du terme, car il est curieux autant de saisir que de comprendre… et avide aussi de restituer.
Ci-dessous, Nabil à lire, et ci-joint Nabil à regarder !
En images : 1. Nabil d’hier (1999) et d’aujourd’hui — 2. 3. 4. — Images extraites du film “Georgia”, réalisé par Nabil à partir de ses rushes
Prénom : NABIL
Nom : SENHAJI
Nationalité : Française
Promo : 1999
Destination : Ray City, Georgia, USA
(Nashville High School)
Situation actuelle : Réalisateur
Pourquoi je suis parti un an avec PIE ?
J’avais 16 ans, c’était en 1999. Comme tout bon ado français de l’époque, j’étais imprégné de culture américaine. J’avais une envie folle d’Amérique, je rêvais rap et hip-hop, basket et NBA, c’était mes deux marqueurs. Le hip hop, matinée de pop, me berçait et m’accompagnait depuis longtemps. Quant au basket, ma chambre était remplie de posters de Michael Jordan… Je ne sais pas si je pensais devenir un crack, mais je voulais jouer —ça c’est évident— et surtout… voir un match NBA ! J’idéalisais, je rêvais New-York et Chicago… Ce voyage me semblait dans la logique des choses, d’autant que mon frère était parti quatre ans auparavant… avec PIE aussi, je crois. donc la question de l’organisme ne s’est pas trop posée.
Arrivé à la fin août, je n’étais pas placé… du coup je n’ai pas fait le stage (NDLR : à l’époque les départs se faisaient fin août et les participants prenaient l’avion à l’issue du stage). J’ai commencé à me dire que je n’allais pas partir, et donc à m’inquiéter… et soudain, une famille de Georgie s’est intéressée à mon cas ! L’idée de débarquer en Georgie me plaisait beaucoup, d’autant que j’avais vu juste avant qu’un jeune était tombé en Alaska… j’avoue que j’avais un peu flippé et que je m’étais dit : “Mais qu’est-ce que je vais pouvoir faire là-bas ?”
Mon année PIE en un mot
Je résumerai plutôt autour d’une idée : celle de la RENCONTRE avec soi-même. Bien sûr, il y a tout ce qui touche à l’apprentissage —la langue, etc.— et à l’adaptation. Tu dois t’habituer à un pays, à un foyer, aux réunions de famille, aux fêtes, aux manières de faire et d’être… à tout un tas de choses. De ce côté là, je dois dire que j’ai été beaucoup aidé, car ma famille avait déjà accueilli plusieurs fois (des Allemandes, des Françaises… mais bizarrement jamais des garçons !) et le père avait beaucoup voyagé. De fait, ils étaient assez internationaux dans l’âme, plutôt avertis sur ce type d’échange, et finalement en phase avec mon expérience. Je me rappelle juste d’un quiproquo à propos —si mon souvenir est exact— d’une tarte aux pommes ! Je n’en avais pas voulu et ça avait fait toute une histoire : ils s’étaient vraiment vexés ; c’était remonté jusqu’à la coordinatrice ASSE… au point qu’ils avaient envisagé un changement de famille. Tout ça pour une tarte aux pommes. Comme quoi, ça peut aller loin l’incompréhension ! Voilà, une année est faite aussi de choses comme ça. Pour moi, au bout du compte, tout a roulé tranquille. Pas de grosses crises, forcément des moments que je n’ai pas trop aimés, c’est sûr, mais tu comprends, avec le temps, que ça fait partie du truc, que tout est bon à prendre !
Revenons-en à la rencontre avec soi-même…
Ah oui ! La chose importante qui me reste, et qui m’a marqué pour toujours, c’est bien le fait de m’être retrouvé seul face à moi-même. Je pars, j’ai 16 ans, je suis un grand enfant et je sens que suis plongé dans un truc qui me dépasse. Exemple : le jour de mon arrivée, j’atterris à Atlanta ; me voilà dans le hub de cet immense aéroport (à l’époque déjà, le plus fréquenté au monde !) et là j’attends… et personne ne vient. En fait, il y avait eu un oubli (de PIE ou d’ASSE ?), et je n’avais pas de connexion, pas de billet d’Atlanta à ma destination finale, où m’attendait en réalité ma famille. J’étais donc tout seul ! J’ai tourné toute la nuit, j’ai erré, j’ai fini par appeler un peu tout le monde, via des hôtesses, via la police… et tout le monde a fait le nécessaire. Ma coordinatrice m’a retrouvé le lendemain matin à l’aéroport et m’a fait décoller. C’était à la fois un peu stressant et, en même temps, pas tant que ça : j’ai eu l’impression de me laisser porter tranquillement par les événements. Je me souviens que j’ai acheté une revue de basket, j’étais trop content ! Cette petite errance illustre assez ce que j’appelle : “Se retrouver face à soi-même”. Cette année vous aide à relativiser, à vous confronter à l’inconnu. à tout moment, on se dit : “Qu’est-ce que je fais là ? Pourquoi je fais ça ?” et on avance et on fait des rencontres, et on comprend mieux comment on fonctionne avec les autres et… avec soi-même. C’est riche de ce point de vue-là.
Dans ma vie, je fais en sorte que les relations soient apaisées et j’essaie de profiter de ce qui se présente en fonction du terrain et des circonstances. J’ai peut-être appris ça, là-bas.
Ce séjour accélère votre vie en fait : vous vous voyez grandir. Au départ, il y a l’idée de l’anglais, et au final, ça va bien au-delà ! Avec les choses qui se font et d’autres qui ne se font pas : moi, par exemple, je n’ai pas pu assister à mon match de NBA !
Mon année a également influencé mon parcours au niveau de ma mentalité et de mon boulot, car même si j’ai fait des études après, j’ai vite compris que tout ne se ramenait pas au parcours scolaire ou universitaire et aux résultats. J’ai été un peu influencé par le côté méritocratie, propre à la culture US, au fait d’attacher plus d’importance à ce que tu veux faire qu’à tes titres ou à tes diplômes.
Une anecdote sur mon séjour
Le Sud est un monde un peu à part, avec d’un côté la culture blanche et de l’autre la culture afro-américaine, laquelle est particulièrement prégnante si on compare à d’autres États ou régions des USA. Les deux cultures se côtoient mais ne se mêlent pas toujours (et il faut ajouter à cela la culture latino-américaine, avec une grosse population mexicaine !) . Il s’avère que je me suis trouvé un peu à la convergence de ces deux mondes. Plusieurs petites choses ont participé à cela : une famille d’accueil très ouverte, le fait qu’une de mes soeurs d’accueil sortait avec un Afro-Américain, le fait que j’intègre l’équipe de basket —sport plutôt pratiqué par les Afro-Américains—, le fait que j’accompagne souvent des gens à la Black Church…. Je me suis fait plaisir en ayant un pied dans ces deux cultures, en fréquentant un peu tout le monde. Je reste persuadé que, côté intégration et compréhension, l’attrait que j’avais depuis longtemps pour le rap m’a beaucoup aidé : il m’a permis de capter assez rapidement le langage du coin, le slang, les Afro-Américains. C’était comme si j’avais une clé d’entrée. C’était d’autant plus précieux que, là où j’avais débarqué, l’accent est vraiment particulier, très fort, très prononcé… même chez les “blancs”… et cela ne m’a pas trop gêné.
Côté anecdote, je me souviens aussi d’un rappeur que j’avais rencontré : le type parlait en rappant en permanence. Il avait une imagination folle. Waouh, j’étais scotché! C’était une sorte de slameur —pas avant l’heure car le slam existait déjà— mais c’était un peu nouveau… Et là ce qui comptait c’est que j’étais en contact direct avec lui. Et ça valait tous les concerts ou tous les matchs de NBA !
Et je me souviens aussi que j’avais dû laver les gros chiens de la famille dans une baignoire. Je n’avais jamais fait ça auparavant ! et faire la lessive et faire à manger… Tout cela, je ne connaissais pas trop, mais, on était nombreux dans la famille, alors on mettait tous la main à la pâte.
Tout, en fait, durant ce type de séjour devient une expérience. Il s’agit de prendre ça comme un plaisir !
Mon camescope
J’arrive aux USA avec un petit camescope dans l’idée de faire quelques images. Mais mon camescope prend l’eau quelque temps après mon arrivée et tombe en panne. Deux mois plus tard, comme par magie, il remarche, et là trop content, je me mets à tout filmer… la maison, les animaux, la vie, tout ce que je vois… même l’école… le basket aussi.
C’est drôle, car quand le coach de basket me voit débarquer, il est persuadé que je vais filmer le match, alors que je suis là juste parce que j’ai besoin de filmer, de capter ce qui m’entoure. Ça paraît banal aujourd’hui car tout le monde a des téléphones et fait des vidéos, mais à l’époque personne n’est équipé et personne ne fait ça. Ce n’est que 10 ans après que j’ai repris tous ces rushs et que j’ai décidé d’en faire un petit film (Georgia), qui s’inscrit comme un clin d’oeil et comme un remerciement à tous les gens que j’ai rencontrés durant mon année d’exil et d’adolescence.
À l’époque j’ai juste l’intuition que, grâce à la caméra, je peux restituer ce que je vois, que je peux être témoin. En même temps —et ça peut paraître paradoxal—, en filmant, je me recentre sur moi-même… quelque part, cela me permet d’être moins seul. Mais, en 1999, je n’ai absolument pas l’idée de devenir réalisateur.
Mon parcours depuis le séjour
L’année aux États-Unis a filé très vite (je n’ai pas l’impression d’avoir été vraiment “homesick”) et je me suis réadapté très vite également. Je n’ai pas ressenti de gros décalage. J’avais accumulé de la confiance, je sentais que j’avais un bagage à moi, en moi, et pour la vie. Mais pour autant, à mon retour, je n’ai pas trop parlé de cette expérience. Je gardais ça pour moi. J’avais accumulé des infos, des images. Elles étaient comme stockées en moi. Et c’était bien comme ça.
En rentrant, je fais une Première L (autrement dit Littéraire). Dans ma classe, il n’y a que des filles. L’anglais m’aide beaucoup. Je suis comme un poisson dans l’eau. J’enchaîne avec le bac, puis des études Anglais et Communication, à Grenoble. Dans la foulée, je travaille en gestion de projets multimedia et vidéo. En parallèle, je tourne toujours plein de petites images personnelles, mais je n’ai toujours pas en tête de faire de la réalisation. Je n’ai même pas conscience que cela puisse être un métier. Je me perds un peu comme stagiaire dans une grosse boîte, puis je fais un taf alimentaire… et là, je ne sais plus trop comment, mais je comprends que je dois faire des films… depuis que je suis tout petit, je filme… et maintenant je dois y aller. Je crois que les études m’avaient fait oublier qui j’étais, m’avaient éloigné de l’évidence, de ce que j’étais. Les études sont souvent contraignantes pour ça, elles vous pousse à faire “ceci” ou “cela” (genre une école de commerce ou du Droit, etc.), sans vous ramener à ce que vous aimez et ce à quoi vous aspirez. Or bien souvent, vous pouvez vivre aussi bien de ce qui vous anime que d’autre chose !
Je m’achète donc un 5D (NDLR : appareil/caméra Canon) et je commence, en parallèle de l’alimentaire, à travailler en “freelance” pour des collectivités, des villes… et, de commandes en commandes, ça prend… et je commence à vivre de ça : films d’entreprises, films “corporates”, puis, quelques années plus tard, la pub. J’ajoute des petits courts métrages, des documentaires et des portraits que je réalise tout seul. Je voyage en Asie, un peu partout. Doucement je me fais la main, Je travaille un peu comme un photographe, la caméra devenant une prothèse de mon regard : je me trouve une “patte”.
Si je n’étais pas parti avec PIE…
Ah… et bien je crois que je serais parti. Je veux dire… je me serais débrouillé pour partir quand même. Je crois que j’aurais trouvé une solution et de l’argent pour le faire… mais je pense que ça aurait pris du temps et que les enjeux auraient été autres, car le fait de partir à l’adolescence a son importance.
Il y a peu, avec ma femme nous avons décidé de partir vivre en Thaïlande, avec l’envie de faire découvrir autre chose à nos enfants. Dans la mesure où je suis freelance, ce que je fais ici, je me dis que je peux le faire là-bas, et comme il n’y a rien qui m’attache vraiment à la France, on part.
Difficile de ne pas rapprocher ce voyage de celui que j’avais fait, il y a plus de vingt ans aux USA. J’ai l’impression de revivre un peu la même chose. ll y a comme un pont.
Ah, pour finir… une dernière anecdote : je suis reparti aux États-Unis pour le boulot quelques années après mon séjour, et j’en ai profité pour aller voir un match NBA.
Comme quoi !