Elisabeth Mostini, nous parle de son travail, du chemin parcouru par les jeunes qu’elle a accueillis ou fait partir à l’étranger, et de ce qu’elle a découvert à leurs côtés. Visite à La Rochelle et petit tour d’horizon en pleine réunion régionale
La maison d’Elisabeth fait penser à celle des feuilletons populaires américains du style ‘Happy Days’ : beaucoup de vie, des portes grandes ouvertes, des garçons dans tous les sens (il y en a quatre). L’aîné (15 ans) qui vous connaît à peine, vous croise et vous demande si vous n’avez pas vu sa ‘combi’ (combinaison de planche à voile – CQFD) – le second (14 ans), qui rentre d’un tournoi de sixte raconte illico-presto les grands moments de la journée – le troisième (10 ans) passe devant vous en courant ou en marchant, s’arrête un peu plus loin pour prendre son pouls, sans vous expliquer qu’il fait des calculs pour un devoir de science nat – le dernier (8 ans) finit sa partie de Nintendo et vous propose de vous accompagner jusqu’au port. Des voisins et des amis rentrent et sortent. Il y a des rires, des petites disputes et beaucoup de mouvement.
Quel rapport, me direz-vous, avec PIE. A priori aucun. Aucun enfant n’est jamais parti à l’étranger. La famille n’a jamais accueilli. Et pourtant, détail important, Elisabeth Mostimi est déléguée PIE. Une déléguée bien particulière puisqu’elle est la seule à n’avoir justement jamais eu dans sa famille ni départ, ni aucun accueil. C’est cette particularité (particularité qui lui vaut de gentilles moqueries de la part des autres délégués), qui nous a intéressés. Pour en savoir plus, il fallait faire un saut au pays d’Elisabeth (la région Poitou-Charentes) et discuter avec notre ‘canard boiteux’.
‘Je m’intéresse beaucoup plus à l’accueil qu’au départ’. L’entrée en matière est franche. Elisabeth s’explique : le programme accueil la concerne beaucoup plus directement, l’implique personnellement. ‘J’ai le bonheur de choisir les familles d’accueil. Je les connais. Les parents deviennent souvent de vrais amis. En fait c’est par l’accueil que je me frotte réellement aux gens et que je voyage’. Elle parle alors du bonheur que lui ont donné toutes ces familles ‘plus chouettes les unes que les autres ‘. Elle s’étonne encore des ouvertures que ce programme lui a crées sur la région, et sur l’étranger. Elle revient sur les invitations au Saskatchewan ou aux USA.
Et le programme départ dans tout ça : ‘Très égoïstement, je dirais que je n’en retire pas grand chose, ce sont les jeunes qui en tirent profit. Pour moi il s’agit d’un travail plus,… comment dire : … théorique’. De son point de vue de déléguée, préparer un jeune au départ tient plutôt du systématisme. ‘Le vrai travail se fera dans le pays d’accueil’. Elisabeth compare un peu un entretien de sélection à un exercice de classification. Le candidat est plutôt comme ci et comme ça. Il réagit de cette façon ou de celle là. Le contact réel, ‘la vraie relation humaine’ s’effectuera plus tard – quand le jeune aura quitté son milieu (famille et école) et qu’il sera vraiment disponible pour un autre monde et d’autres personnes. ‘Son année il la vivra sans moi. Je ne lui serai pas d’une grande utilité’. Toute la phase passionnante, celle où il va évoluer va échapper à Elisabeth. Elle n’assistera pas à la métamorphose. Et elle dit en ressentir une certaine frustration. ‘Dans la phase de préparation, le candidat ne s’ouvre et ne se confie pas facilement. J’ai alors l’impression qu’il appartient à une certaine catégorie. En fonction de cette appartenance, je crois pouvoir deviner ce qu’il va me répondre et l’attitude qu’il va avoir tout au long de notre rendez-vous. Il y a toujours cet aspect artificiel qui fait qu’une interview ressemble plus à un jeu qu’à autre chose. Un jeu avec ses règles, ses travers, son aspect légèrement artificiel’ . En comparaison l’année que le jeune passe à l’étranger ressemble à la vie – elle en a toute sa complexité. ‘Les paramètres, sont plus nombreux. Les choses sont vraies, les jeunes ne jouent pas. Là, ils vivent vraiment. Et c’est cela qui m’intéresse’.
Elle affirme pour conclure ne pas aimer pousser dans ses retranchements un jeune qui refuse de se confier : ‘Ca me rend un peu coupable, un peu voyeur’.
Elisabeth ne peut s’empêcher de rapprocher sa vie (famille et enfants) de son activité à PIE. Elle pense à une réflexion récente d’un de ses fils et parle, à travers cette réflexion, de l’apport du séjour d’une année à l’étranger.
‘ Récemment je sentais que mon aîné en avait un peu assez de tout ce qui l’entourait. Sa mère par exemple. Il connaissait tout ça par coeur. Il me disait qu’au Canada (où il envisage de partir l’an prochain) ça changerait. En bonne déléguée, je lui ai répondu : ‘Attention là-bas, tu en auras peut-être vite marre (de ton père d’accueil, d’un prof, de la nourriture, ou d’autre chose…). Et il m’a rétorqué : ‘Peut-être, mais là-bas, il n’y aura pas toute mon enfance. Et je me suis demandée si tout le sens du séjour ne se résumait pas dans cette formule’. A l’étranger, loin de tout ce qu’ils connaissent (ou de ceux qui les connaissent), les jeunes peuvent faire peau-neuve. C’est le grand cadeau que leur fait PIE.
On parle alors de ce que chaque jeune ‘traîne’ avec lui depuis le plus jeune âge et dont il a bien du mal à se détacher.’Pendant un an ils n’entendront plus, ‘tu as encore fait ça’, ‘tu ne changeras pas’, ‘qu’est-ce que tu ressembles à untel’. Tout à coup ils vont pouvoir sortir des catégories dans lesquelles nous les enfermons et dans lesquelles ils s’enferment. Plus besoin de reproduire les mêmes schémas. Ils peuvent changer’. Et ce, du jour au lendemain. ‘A quinze ans un jeune a déjà avec lui un passif terrible (cela va du bulletin scolaire, au grand trait de caractère). Des schémas lui sont collés’. Or, un matin, en arrivant dans l’autre monde, ces schémas, qu’il connaît par coeur et qu’il a tendance à répéter, vont pouvoir exploser. Partir un an pour sortir des rails. Tant qu’il est encore temps.
‘Vous comprenez maintenant pourquoi le contact avec le jeune étranger est plus enrichissant pour moi’, conclue Elisabeth,’Vu de France, ce sont les jeunes étrangers qui sont les gens neufs. ‘. Ce sont eux qui ont quitté leur monde et que le délégué voit évoluer.
Pourquoi avoir décidé de devenir déléguée : ‘J’aurais bien aimé que mes parents m’offrent ça. Or, ils n’étaient même pas au courant de l’existence de ce type de séjour. Bon sang de bonsoir, me suis-je dit, je n’ai jamais eu cette chance de partir, il faut que d’autres l’aient. ‘Je voulais faire connaître cette alternative à tous les jeunes. C’est devenu une motivation.
Autre motivation : ‘Quand j’ai commencé, mon aîné avait à peine 10 ans. J’avais besoin du contact avec les adolescents. C’était un type de dialogue qui me manquait. PIE était une belle ouverture personnelle’.
Il faut commencer ce travail au bon moment : ‘Pas quand on a besoin d’être écouté. Surtout pas à ce moment là. Car c’est un travail qui demande une grande disponibilité, un grand investissement psychologique’.
Un travail délicat ? ‘Sûrement. Le plus difficile pour moi est de résoudre les problèmes (conflits…) Quand ça roule c’est une très belle activité. J’aime les coups de fils euphoriques des jeunes et des familles. Mais qu’on ne me parle pas de ‘counseling’ : je déteste ça. Je ne devrais pas le dire mais je vis chaque problème relationnel, entre une famille et un jeune, comme un échec : ‘Ai-je suffisamment soutenu tout le monde ? Ai-je fait le bon placement ?…’ Toutes ces questions m’empêchent de dormir’.
Elisabeth nous dit beaucoup apprécier le contact avec les ‘anciens’.’Les jeunes qui reviennent sont les meilleurs ambassadeurs des programmes. Dans les réunions, les stages…, ce sont toujours les plus efficaces pour parler aux futurs partants. Ils ont tellement évolué en une année !’. A leur contact, Elisabeth prend conscience du chemin parcouru par chacun d’eux. Là, elle perçoit les changements majeurs et les bienfaits du séjour. ‘A travers leur évolution, je crois entrevoir le pays, la famille et l’école où ils ont passé leur année’.
‘Aimer les jeunes, avoir confiance en eux, une totale confiance. Je crois que c’est la grande qualité que doit avoir un délégué’. Elisabeth estime que, contrairement aux apparences, les jeunes sont amenés aujourd’hui à prendre de grandes initiatives et de grandes décisions très tôt dans leur existence. Et sans que leur choix ne soient d’ailleurs toujours conscients. Elle pense, pêle-mêle, à la drogue, à l’orientation professionnelle, au fait de partir pour une année.’Dans la mesure où il font le choix de partir et qu’ils envisagent avec lucidité leur expérience, il faut leur faire confiance’. Et leur faire confiance, c’est les encourager.’Ils ont pris le risque de réussir. A nous d’oser les y aider. A nous de les épauler’. Il ne faut pas les tromper. Avant le départ, par exemple, il ne faut pas leur promettre le paradis. C’est à la vie de tous les jours qu’ils vont être confrontés, c’est à ça qu’il faut les préparer. ‘Ils ne sont pas dupes. Ils vaut mieux jouer franc jeu’. Et nous faisons alors allusion à un document fourni par un concurrent :’Ce n’est pas en leur montrant une photo de Clinton qui sert la main d’une famille d’accueil qu’on leur apporte quelque chose… Il faut leur parler de ce qui leur parle’ .
Il y a quelques années, ceux qui étaient sur le point de partir se posaient toujours les mêmes questions, à savoir : ‘Est-ce-que je vais m’intégrer à la famille ? Est-ce-que je vais comprendre quelque chose et réussir à m’adapter à l’école ?’. Aujourd’hui j’ai l’impression qu’ils ne se posent plus trop de questions. Ils ne s’affolent pas. Ils me paraissent assez disponibles à la nouveauté et assez sûrs d’eux. ‘On verra bien’. ‘Je ne vais pas me créer des problèmes maintenant’. ‘J’ai des amis ici, je ne vois pas pourquoi je n’en aurais pas là-bas…’. Voilà le genre de réponses qu’entend Elisabeth. ‘Quand c’est le jeune qui a imposé cette idée de partir à ses parents, il est très maître de sa décision et très confiant’, conclut Elisabeth -‘Dans le cas inverse il est plus angoissé’.
Quand on parle des obstacles au développement du programme, et des freins multiples qui empêchent les adolescents de se lancer dans l’aventure, Elisabeth évoque d’abord les barrières érigées par les parents. ‘Ils me parlent toujours de l’avenir professionnel de leur enfant, de ses études, mais jamais de son avenir au sens large, de son équilibre général. En limitant la vie à la seule réussite scolaire, il me semble qu’ils appréhendent de façon bien étroite la personnalité de leur fils ou de leur fille’. Cette façon de raisonner (de regarder par le petit bout de la lorgnette) empêche d’envisager l’année autrement que comme une année perdue. On dit de l’année qu’elle est ‘perdue’ scolairement – et puis on en conclue qu’elle est perdue tout court. ‘C’est d’autant plus regrettable qu’à quelques exceptions près, les acquis sont énormes. A chaque fois qu’un jeune revient je suis surprise du chemin qu’il a parcouru. Je suis admirative de sa tolérance, de sa capacité d’analyse, et de son aptitude à s’impliquer. Pour rassurer les parents, je dirais que cette expérience a des retombées sur la façon d’envisager la vie professionnelle, via l’évolution générale de la personnalité’. Le séjour tombe à un âge ou les jeunes sont disponibles pour faire encore évoluer leur vision du monde.’C’est très curieux, mais quand ils partent ils ont un idée très précise et très définie du pays où ils vont se rendre et de la façon dont va se dérouler leur année, mais dans la réalité ils sont bien plus capables que les adultes de faire évoluer leurs idées et de s’intégrer dans leur nouvel environnement’. Et cette capacité d’adaptation est telle qu’en revenant dans leur pays et leur famille (dans ce petit monde qu’ils connaissent si bien) ils sont beaucoup plus en phase avec tout le monde – eux qui ont pourtant vécu l’exotisme, et goûté au plaisir du dépaysement. ‘Je crois de toute façon que cet acquis est définitif’. Cette disponibilité, cette décontraction, cet optimisme : Tout cela vaut de l’or – ‘Tout cela me paraît inaltérable’.
Les échecs ? ‘Il y en a, mais je crois qu’un jeune retire toujours quelque chose de son année. Certains sont confrontés à de vrais difficultés. Tou, je crois, ont des moments de cafard intense’. Elisabeth parle d’Eric qui a eu des passages très difficiles dans sa première famille américaine et qui dit avoir surtout appris dans ces moments là.’Ceux qui, face à un mur, réussissent à faire marche arrière et… à reprendre la route – ceux-là auront appris à se sortir de beaucoup de situations’.
Article paru dans le journal Trois-Quatorze n°21