Dans le petit royaume de PIE, Laura tient le rôle de princesse. Du personnage, elle possède indéniablement les attributs essentiels: le sourire et la grâce, la douceur et la légèreté, et la candeur aussi. Notre héroïne a construit sa vie comme un conte, qu’elle a pu —ou su— enchanter, en empruntant un chemin si limpide qu’il en devient déroutant.
Image : Laura Bianco par Xavier Bachelot
On jurerait, de prime abord, qu’elle s’est laissée porter par une bonne étoile et par un destin bienveillant, mais on se rend compte en l’entendant dérouler son histoire qu’elle a su orienter son cours en veillant tout du long à se nourrir —et à nourrir ses proches— de chaleur et de bienveillance.
Lors de son séjour à l’étranger, quand son père cherchait à la joindre au téléphone, au lieu de demander à parler à sa fille, il demandait toujours “Can I speak to the French Girl ?” » Elle s’amuse de cet art du contournement. Laura n’est pas rancunière : jamais.
Il était une fois une petite fille prénommée Laura, que son père n’accepta pas à la naissance… Le récit à vrai dire ne commence pas très bien ; on pourrait s’orienter d’emblée vers un drame social victorien —un roman à la Dickens— mais la protagoniste ne l’entend pas ainsi, qui choisit en tempérant le récit, de l’incliner autrement. Elle nous explique en effet —sans jamais se départir de son sourire et en usant d’une litote— que « [son] père ne l’a pas reconnue », mais que tout compte fait elle n’en a pas souffert, dans la mesure où « [elle] a eu la jeunesse la plus heureuse possible avec sa maman », et dans la mesure où elle a pu « retrouver son père à l’âge de quatorze ans… » Elle ne dramatise pas cette fuite. Elle nous confie sans s’émouvoir que « les retrouvailles n’ont pas été faciles; elles étaient un peu froides et distantes », mais qu’au final « il m’a complètement reconnue et nous nous sommes parfaitement retrouvés. » Plus tard, elle nous racontera, toujours avec le sourire, que « lors de son séjour à l’étranger, quand son père cherchait à la joindre au téléphone, au lieu de demander à parler à sa fille, il demandait toujours “Can I speak to the French Girl ?” » Elle s’amuse de cet art du contournement. Elle le commente ainsi : « C’était marrant ! »… On entend : « Il était touchant ! » Laura n’est pas rancunière : jamais. Elle dit avoir une grande disposition au pardon. Elle l’analyse ainsi : « J’essaie autant que possible de me mettre à la place des autres. » L’empathie, qui chez elle est un moteur, devient pour nous une explication, une grille qui nous permet de déchiffrer son bien-être et son succès.
Elle a alors à peine quinze ans ; elle est accueillie dans une famille « formidable », de sept enfants. Tiens, tiens, notre princesse accueillie par sept petits Américains… Cela nous rappelle quelque chose.
L’année même où elle retrouve son père, elle fait une grande découverte. « Je lisais une revue. Je suis tombée sur un article qui relatait l’aventure d’Anaïck, une jeune Française, partie vivre une année à l’étranger. Je suis allée au salon Expolangues, j’ai rencontré Annie et Françoise, qui ont été adorables et très convaincantes. Six mois plus tard, je partais pour une année aux États-Unis. » Elle a alors à peine quinze ans ; elle est accueillie dans une famille « formidable », de sept enfants. Tiens, tiens, notre princesse accueillie par sept petits Américains… Cela nous rappelle quelque chose. « J’ai passé une année extraordinaire. Vingt-sept ans après, je suis toujours très proche d’eux. » On la questionne sur son séjour ; elle nous décrit un bonheur absolu à peine entaché par des relations tout juste délicates avec une sœur d’accueil un brin jalouse. On insiste, mais notre Blanche-Neige refuse de se transformer en Cendrillon. Elle préfère glisser sur l’événement. « C’était naturel, rien de grave. Il faut se mettre à sa place », dit-elle avec pudeur. Elle conclut sur cette période : « La rencontre avec PIE a été une des deux étapes cruciales de mon existence. » Rencontre : le mot est lâché. En une heure d’entretien, Laura le prononcera soixante-sept fois, apportant de l’eau au moulin de ce courant de pensée qui veut que « je » et « tu » ne puissent vivre séparément et qui affirme que « toute vie véritable est rencontre ». « Oui, je vis pour ça. PIE m’a permis de côtoyer tellement de gens merveilleux. » Elle parle des participants, des parents, des familles, des délégués. Chaque nom est associé à une histoire; chaque histoire est pour elle un apprentissage de l’autre et d’elle-même. Elle cite les prénoms de ceux qu’elle a connus à PIE et dont elle se sent le plus proche —les membres du premier cercle, rencontrés à la fin des années quatre-vingt— en faisant une place à part à Catherine, l’amie parmi les amis.
Le monde de Laura est en expansion. Au fil de sa vie, ses réseaux vont s’étendre. Ce qui est très surprenant, c’est qu’elle aborde toutes ses activités sous l’angle des rencontres qu’elles ont générées. Quand elle parle des voyages —en tant que salariée d’agences touristiques— c’est pour évoquer les collègues, les clients, les habitants qu’elle a pu croiser, tous ces gens avec lesquels elle a sympathisé et échangé ; quand elle parle des cours de Yoga —qu’elle a pris pendant dix ans, avant d’en donner— c’est pour parler de sa proximité avec ses professeurs ou ses élèves ; et quand elle évoque son activité de bénévole à l’hôpital Necker, c’est pour nous faire comprendre à quel point elle se sent bien auprès des malades. Elle ne s’étendra jamais sur les excursions à Rome ou à Pékin, ni sur la technique du Yoga, ni sur les progrès de la médecine dans la gestion des maladies orphelines ; non, elle s’attardera plutôt « sur la richesse de chacun, sur le bonheur que lui procure la proximité avec l’autre. » S’accomplir par l’échange et le dialogue est son credo. On essaie quand même de comprendre en quoi consiste son travail à l’hôpital. Elle répond: « À cajoler les tout petits… ou les plus grands. » Elle est bénévole, depuis 12 ans, pour l’association « Main dans la main». Une demi-journée par semaine, elle accompagne les malades, les occupe, les soutient. Pour nous aider à comprendre, elle dit : « Je passe de chambre en chambre et je fais au mieux ! » Elle ajoute même, sans fausse modestie : « C’est vraiment très simple », autrement dit : « Tout le monde peut le faire. » On comprend en l’écoutant —et parce qu’on finit par bien la connaître— qu’elle sait offrir sans compter ce dont elle dispose : du temps, de la chaleur et du coeur… Dit comme ça, c’est en effet « tout simple » ! Il suffit à la princesse de se transformer une fois par semaine en fée et de rendre ainsi les épreuves un peu plus douces.
Son récit fait des volutes, des arabesques. S’ensuivent les rendez-vous, les fiançailles. Ils se marièrent. Ils eurent trois enfants. Trois garçons…
Venons-en à la seconde rencontre cruciale, à l’autre grand virage : « C’était à Marrackech, à l’aéroport. J’ai vu Gianni au moment d’embarquer. J’ai tout suite su que c’était lui. » Voilà le prince charmant qui pointe ! Laura entre alors avec délectation dans le récit détaillé de ces instants clés. Elle nous parle du « hasard » qui, dans l’avion, fait s’asseoir côte à côte nos deux héros (« J’ai toujours eu beaucoup de chance »), du dialogue qui entre eux s’engage ; du moment où il lui donne son numéro de téléphone… puis de l’attente. Son récit fait des volutes, des arabesques. S’ensuivent les rendez-vous, les fiançailles. Ils se marièrent. Ils eurent trois enfants. Trois garçons… Une force de vie indéniable se dégage de son récit. On la devine heureuse comme au premier jour. Il y a quelque chose de merveilleux dans la façon dont Laura se délecte de cet état de bonheur qui l’habite et de particulièrement touchant dans la façon dont elle arrive à se persuader « qu’[elle] n’y est pour rien… [que] c’est simplement arrivé comme ça ! »
Dans un beau conte, il faut un beau décor. Le sien est parfait. Le «château» est planté au cœur de Paris : un lieu hors normes, une maison de rêve, zen et bouillante, où Laura veille à transmettre ses meilleures ondes. Dans un vrai conte, il faut des méchants. On cherche les affreuses belles-mères: « Certainement pas, dit-elle… elles sont adorables. On s’entend très bien. » On insiste. Elle évoque vaguement une institutrice qui l’a troublée en traitant si mal l’un de ses enfants. « Elle m’a fait beaucoup de peine. » Au lieu d’en vouloir à ses ennemis, elle semble les plaindre. Elle marque un temps et évoque ceux ou celles qui ont essayé de profiter de sa naïveté pour lui extorquer de l’argent ou pour l’embarquer dans des commerces étranges : une femme qui l’a prise pour sa fille, un propriétaire fou, des marchands de produits miracles… Elle a plusieurs fois constaté que la méchanceté autorise ceux qui en sont pourvus à assimiler la gentillesse à de la bêtise. Elle parle surtout de cette tragédie, vécue il y a quelques années, quand la nounou de ses enfants, dont elle était si proche, a été assassinée par son mari. « Je le connaissais très bien également, j’avais entière confiance ! » On mesure la portée du drame. Elle parle pourtant sans violence. Elle invente un précepte : la peine en lieu et place de la haine. Toujours pour vous parler, Laura s’approche au plus près de vous, plonge son regard dans le vôtre et vous regarde fixement. On jurerait qu’elle cherche à la fois à vous comprendre et à ne pas vous perdre. C’est que Laura a horreur de quitter ; c’est qu’elle est avant tout fidèle.
Elle n’est ni stratège ni politique, ni administrative ni juriste. Elle n’est pas experte en éducation et encore moins en gestion. Elle est experte en « humanité ». Elle dégage de la confiance. C’est pourquoi, au sein du royaume, la princesse est aimée de ses sujets et de ses souverains.
À PIE plus qu’ailleurs, on a testé de près ce trait de caractère. Au sein de l’association, Laura a tenu tous les rôles : participante, aide bénévole puis déléguée, pilier de l’équipe de soft-ball, mascotte, égérie (elle a fait la couverture de la brochure pendant des année), puis stagiaire, puis animatrice de stage, puis salariée en tant qu’attachée de presse. Elle est aujourd’hui membre du conseil d’administration. Sa compétence au sein de ce conseil tient à sa personne plus qu’à sa fonction ou à ses titres. Elle n’est ni stratège ni politique, ni administrative ni juriste. Elle n’est pas experte en éducation et encore moins en gestion. Elle est experte en « humanité ». Elle dégage de la confiance. C’est pourquoi, au sein du royaume, la princesse est aimée de ses sujets (les participants) et de ses souverains (du président au délégué général). Laura est d’autant plus travailleuse qu’elle n’en a pas l’air. Entre l’hôpital, les cours de Yoga, la gestion de sa famille nombreuse… et de Yoma, son association, elle court partout et tout le temps. La course est d’ailleurs devenue une passion. Elle a déjà participé à un marathon ! « Mes fils ont couru avec moi les quinze derniers kilomètres, ils m’ont portée. » L’amour est son carburant. Quand on lui demande quelle autre activité ou métier elle aurait aimé faire, Laura répond : « Photographe, institutrice ou sage femme… car j’adore les enfants. » Et d’ajouter: « Mais j’aime aussi beaucoup les grand-mères.» Quand, pour affiner notre portrait, on lui demande quel film elle adore, elle répond : La vie est belle. On pense au film de Capra, où James Stewart en père de famille arrive à nous convaincre que toute vie vaut la peine d’être vécue ; mais elle pense en fait à celui de Benigni, où le héros détourne son fils de la violence et de l’horreur. Qu’importe…. Il nous suffira de retenir un titre. Pour Laura : « La vie est belle. »
De cette rencontre, vous ressortirez à coup sûr enchanté et léger, empli d’une émotion semblable à celle que procure le récit d’une histoire qui aurait dû mal commencer… et qui finit bien.
Il nous faut pour conclure reconnaître et admettre que tout ceci n’est pas un conte. Ni le foyer de Laura, ni Necker, ni PIE ne sont des royaumes imaginaires… et notre princesse, n’est absolument pas un personnage de fiction. Avec un peu de chance, vous pourrez croiser Laura dans un aéroport ou dans les bureaux de PIE, dans un cours de Yoga ou dans un couloir d’hôpital, sur un salon ou sur un parcours de marathon… Vous comprendrez, en la voyant, que son sourire est réel et que son bonheur n’a rien de factice. La grâce qui l’habite ne manquera pas de vous toucher. De cette rencontre, vous ressortirez à coup sûr enchanté et léger, empli d’une émotion semblable à celle que procure le récit d’une histoire qui aurait dû mal commencer… et qui finit bien.
Article paru dans le Trois Quatorze n°53