Jean-Marc Mignon est délégué général de l’U.N.A.T. (Union Nationale des associations de Tourisme), directeur du B.I.T.S. (Bureau International de Tourisme Social), et secrétaire général de l’Office (Office nationale de garantie des séjours et stages linguistiques) – organisme qu’il a contribué à créer et à mettre en place. Il a par ailleurs été président de la F.I.T.Y.O. de 1988 à 1998. Personnalité influente du monde du tourisme associatif, Jean-Marc Mignon connaît bien PIE. En 1981, à l’époque où il dirigeait le Club des Quatre vents, il a en effet aidé l’association à faire ses premiers pas. Il est aujourd’hui membre de son conseil d’administration. Il est donc mieux placé pour nous raconter les débuts de PIE, pour poser son regard d’expert sur l’association et faire le point sur ses forces et ses faiblesses.
Entretien
– Dans quelles conditions a eu lieu la rencontre entre le club et PIE ?
– Tout a commencé dans un petit restaurant de la région parisienne. J’avais été convoqué par Laurent et Pascal, par l’entremise de Jean-Louis Berquer (un ami). À L’époque, je dirigeais le club des 4 Vents, une association solide, spécialisée dans les séjours linguistiques. L’idée était de voir comment je pouvais aider. On s’est retrouvés autour d’une bonne table, et là, j’ai eu l’impression de passer un oral. (Il rit). Ils étaient très sérieux, très prudents : « Est-ce que moi et le « Club » nous étions fréquentables ? » « Est-ce qu’on pouvait s’entendre ? » Je plaisante, mais grosso modo, c’était la teneur de cette première réunion : un vrai examen !
– Je ne comprends pas. C’était pourtant, eux les demandeurs, non ?
– Ce n’était pas forcément l’impression qu’ils donnaient. Ils avaient l’air assez sûrs d’eux !
En tout cas on s’est entendu, c’est bien l’essentiel. Je leur ai dit que le club était prêt à donner un coup de pouce pour que PIE puisse s’établir et démarrer. J’ai mis un bureau à leur disposition, au 1 de la rue Gozlin, et les services communs du club pour le démarrage.
– Laurent et Pascal disent que sans cette intervention, l’aventure PIE n’aurait pas vu le jour. Quand ils parlent de vous, on a l’impression qu’ils évoquent une bonne fée ?
– N’exagérons rien. Le bureau était petit et l’aide modeste – mais je crois que ça a effectivement permis de lancer les choses. En dehors de l’aspect matériel, PIE pouvait s’appuyer sur une association déjà ancienne à l’époque, qui bénéficiait d’une bonne image et d’une bonne adresse.
– Pourquoi cette aide ?
– Les personnalités sont sûrement très importantes dans l’affaire. C’est d’ailleurs le seul projet de ce type que l’on ait soutenu et accueilli. Pour ma part j’ai senti que nos approches étaient similaires – nous avions, je pense, une vision commune de ce qu’était le projet, on se retrouvait bien sur son contenu culturel et éducatif. L’offre était différente de ce que proposait le Club (pas de concurrence directe), mais l’approche était similaire. On avait donc des atouts pour s’entendre. Le Club, par contre, n’attendait aucun retour financier de l’opération.
– À un moment ou à un autre, avez-vous regretté d’avoir fourni cette aide ?
– Aucun regret. L’histoire nous a donné raison, non ? Le travail a été plutôt bien fait et les programmes se sont avérés être à la hauteur de ce que l’on attendait. La cohabitation s’est plutôt bien passé, alors que les conditions n’étaient pas forcément évidentes (notamment au niveau de l’espace). Le seul regret que j’ai par rapport à PIE c’est de ne pas avoir connu l’association quand j’étais adolescent. En aidant à sa construction, je suis peut-être parti par procuration !
– Quels souvenirs gardez-vous de ces trois années de vie « commune » ?
– Deux souvenirs. Le premier c’est le « Milquidou »*. Pascal qui partait livrer la confiture de lait. C’était assez cocasse. Dans le monde des échanges culturels, on ne connaissait pas trop. Ça nous amusait beaucoup. Et puis, plus sérieusement, nos collaborations sur les premiers salons « expolangues » : l’aménagement des stands. C’était un partenariat actif. PIE et le Club proposait des décors originaux qui produisaient un effet certain (l’avion, « breaking the wall…). Tout cela attirait l’attention. Je crois que cela a bien installé l’image de PIE, dans le public et vis-à-vis des partenaires.
– Laurent pense que redémarrer aujourd’hui une boîte dans les conditions dans lesquelles ils ont démarré en 81, ce serait quasi impossible. Il invoque le fait que le secteur s’est beaucoup professionnalisé, qu’il faut des capitaux, des brochures plus professionnelles, etc. Pascal pense le contraire. Il dit qu’il n’aurait pas le courage lui de reprendre à zéro mais que c’est toujours faisable. Quel est votre avis ?
– Il y a vingt ans, la période était plus facile, c’est vrai. On avait moins besoin de démontrer la viabilité économique d’un projet. 81, c’était aussi l’alternance et le fameux état de grâce, (particulièrement sensible autour du milieu associatif). Dans le cadre précis des séjours touristiques, des créneaux étaient encore à prendre. Aujourd’hui le secteur est très bien couvert. La place est plus étroite. On doit toujours pouvoir monter quelque chose. Mais c’est sûrement plus ardu.
– Dans la profession, quelle image a PIE ?
– PIE est une structure particulière. L’engagement de ses responsables est autant personnel que professionnel. Ils s’identifient totalement à ce qu’ils font (quand je dis « ils », je pense à Laurent et Pascal, et à toute l’équipe qu’ils ont pu mobiliser). D’où cette image mixte de professionnalisme (dans l’organisation et la structure) et d’amateurisme (bénévolat, disponibilité de cœur). PIE a l’image d’une boîte qui fait bien son boulot (personnalisation du travail, implication des bénévoles, réseau des délégués, solidité financière, système de bourse), et qui a su se focaliser sur des produits forts. Mais ce qui la distingue des autres opérateurs c’est, je pense, sa spontanéité. 20 ans après, la fraîcheur est restée. Tout le monde le ressent.
PIE, comme toute les associations qui ont perduré, a sa légitimité, son parcours propre. Le sien est loin d’être inintéressant.
– Quels sont les points faibles de la structure ?
– Ils sont toujours liés aux points forts. La permanence des responsables (qui a permis à PIE de bâtir cette image et de stabiliser sa structure) peut, à terme, créer un vrai problème de renouvellement. Quant à l’autonomie et à l’indépendance (qui rendent l’association maître de ses choix et qui lui apporte du crédit), elles limitent peut-être son développement. D’être lié à des réseaux internationaux permet de réagir plus vite, de rebondir. Il manque peut-être à PIE des possibilités d’expansion. Le fait de construire son système sur les personnes (et sur les relations personnelles) est humainement très enrichissant, mais peut cacher une fragilité structurelle. Les difficultés que l’on ressent aujourd’hui sur le réseau américain peuvent s’avérer fatales si l’association n’a pas d’autre alternative que son partenaire privilégié.
– Quel avenir pour PIE ?
– Je suis persuadé que des pistes vont s’ouvrir au niveau des collectivités territoriales. Le lien entre la formation et les séjours de longue durée est une voie à creuser. Les organismes européens, par exemple, peuvent avoir besoin du savoir faire de PIE.
De façon plus générale, il ne faudrait pas que l’association reste une aventure individuelle. Il sera nécessaire, à l’avenir – si tant est qu’on juge l’objet de PIE utile et bénéfique (et je crois que c’est le cas) – que l’association trouve une solution au renouvellement de ses responsables. Il faut avoir ce virage en tête. C’est pour cela qu’il me paraît important d’élargir ses contours, d’impliquer de façon plus vive ses membres, d’élargir son conseil. La solution devrait venir de l’intérieur.
Mais nous n’en sommes pas encore là.
* Au moment où ils créent PIE, Laurent et Pascal, continuent de s’occuper de leur première entreprise (une fabrique de confiture de lait). Ils continuent donc, à cette époque, à fabriquer, à livrer et à commercialiser le produit.
Entretien paru dans le journal Trois-Quatorze n°34