Jacques le Fantaisiste

On pourrait l’appeler “Jacques le Fantasque” (parce qu’il est joyeusement libre et plutôt inspiré) ou “Jacques le Fantastique” (parce qu’il avait, à l’adolescence, sinon les attributs du moins les allures et le culot d’un super héros), mais si l’on opte pour le terme fantaisiste, c’est parce que son histoire est aussi originale qu’imprévue, que son humour et son sourire sont patents, que son parcours est celui d’un aventurier et que son âme est plus proche du poète qu’il n’a pas été que du militaire qu’il est devenu.

Jacques, qui reste une des figures de l’association (ne serait-ce que par sa présence continue dans la brochure de présentation du programme High School) et qui 40 ans après, à l’occasion du départ de son fils à l’étranger, retrouve PIE, nous déroule une partie de son histoire et de son parcours ; l’enfance sombre, la lumière, la vie de baroudeur (dont on devine à demi-mots les dangers), la sagesse sur le tard. Ce passionné de Rimbaud —capable de dérouler par coeur tout ou partie du “Bateau Ivre”— a emprunté des chemins aussi escarpés que le poète, mais a su, contrairement au génie maudit, se réconcilier avec lui-même et avec la vie : c’est son oeuvre… et c’est là qu’intervient PIE ! Récit.

En images : 1. Jacques d’hier et d’aujourd’hui — 2. En famille à San Diego et avec son frère d’accueil — 3. Entre amis — 4. Timothée, fils de Jacques, dans les pas de son père : entrée à l’université de Snow College (Utah) en 2024 

Prénom : JACQUES

Nom : LAUDRIN

Nationalité : Français

Promo :  1985 / Dinosaure

Destination : San Diego, Californie, USA

Situation actuelle : Consultant en gestion des risques (sûreté/atteinte aux personnes)

 

Parcours d'anciens | PIE 1985 | Jacques d'hier et d'aujourd'hui

Pourquoi je suis parti un an avec PIE ?
Je ne sais plus comment j’ai connu PIE (peut-être sur un salon ?), mais ce dont je me souviens parfaitement c’est des raisons qui m’ont poussé à partir. Nous sommes en 1984, j’ai 17 ans. Pour le faire simple, je suis un cancre. Pas un mauvais garçon, pas une forte tête : un cancre. Je suis très mauvais élève, je ne sais pas quoi faire de ma vie —d’ailleurs je ne fais absolument rien—, j’ai redoublé ma 4e, puis ma 3e et j’ai été viré au troisième trimestre de ma seconde. Dans la foulée, j’intègre directement la seconde année d’un CAP Vente, que j’obtiens. Dans le courant de cette même année, ma mère et moi décidons ensemble que je parte de la maison. Un cancre émotif et une mère célibataire à bout de nerfs, y a mieux pour aller de l’avant… On se ressemblait trop, donnant le change à beaucoup en se montrant légers ou gais, nous étions, elle et moi, en réalité des êtres à fleur de peau, souffrant de complexes, de blessures secrètes et anciennes. Il fallait que je dégage la scène. Et logiquement, elle m’y a grandement encouragé. Et elle s’est ensuite engagée à fond pour que je puisse réaliser, non pas ce qui pouvait ressembler à un rêve, mais qui était réellement… une fuite. Une fuite, in fine, salvatrice et bienfaitrice !
En tout cas, ce fut une adolescence difficile pour moi. Beaucoup de souffrances… trop pour rester immobile. Et je suis aujourd’hui troublé de constater que mes fuites se sont transformées en chemins. C’est le mouvement qui détermine notre existence. Sinon, nous nous appellerions des minéraux ! « Quand tu aimes, il faut partir… » nous suggérait le poète. Faudrait les écouter plus souvent ceux-là !

Il fallait que je dégage la scène. Et logiquement, ma mère m’y a grandement encouragé. Et elle s’est ensuite engagée à fond pour que je puisse réaliser, non pas ce qui pouvait ressembler à un rêve, mais qui était réellement… une fuite. Une fuite in fine salvatrice et bienfaitrice !

Parcours d'ancien PIE | Jacques 1985 | En famille

Mon année PIE en trois mots

UNE LIBÉRATION — Ce séjour correspond à mes premiers vrais bons souvenirs post-enfance. Passé le tout jeune âge, tout pour moi est devenu sombre : ma mère, la pension, le rapport avec les autres… tout était compliqué. Et dès que ce projet a pris corps, tout s’est éclairé. J’ai vécu l’arrivée aux États-Unis comme un appel d’air, j’ai senti comme un voile gris qui se déchirait. Il faut imaginer le choc que produisait, en 1985, la découverte de New-York et de l’Amérique. Nous n’avions que quelques images en tête et soudain on plongeait dans cet univers un peu mythique : l’espace s’ouvrait, tout était immense. Chez moi, l’effet a été radical. J’ai eu l’impression tout d’un coup de respirer, d’y voir clair. C’était totalement libérateur.
UN BONHEUR SIMPLE — Il ne s’est rien passé de spectaculaire durant cette année. Mais j’ai découvert là-bas que l’on pouvait vivre chaque jour un bonheur simple, sans conflit, sans aspérité. Chercher son hamburger et sa petite frite et les déguster sur une pelouse en parlant avec des copains et des copines de “University High School” : pour moi c’était juste parfait. Je me sentais si loin des réfectoires, de la pension, etc. Je ne vais pas vous vendre l’idée d’un truc tout rose —car on passe par des moments bien difficiles durant ce séjour— mais plutôt l’idée d’une année extraordinaire dans sa globalité, sans qu’au quotidien rien d’extraordinaire ne se passe !
UN ACCUEIL SINCÈRE — Je pense à ma famille d’accueil. Quand je débarque à San Diego au terme d’une semaine de voyage et de stage, je rencontre une famille très baba —alors que nous sommes déjà en 85— la mère un peu excentrique, super gentille, le père, Pat, avec sa barbe, ses cheveux longs, ses pantalons de velours et ses pattes d’éléphant, les fils Rick et Joe, tellement Côte Ouest… On quitte l’aéroport, on récupère leur van (on s’entasse dans le coffre car il n’y a pas de banquette) et nous voilà partis, direction University Center. Je me laisse brinqueballer à l’arrière et, à travers le pare-brise avant, je devine et découvre mon nouveau monde et ses millions de lumières. Je me demande où je suis, mais je suis fasciné : c’est le début d’un super accueil. Une famille très gentille, très disponible, même s’il y avait des engueulades et des tensions comme dans toute famille… même américaine ! et une école qui m’ouvre ses portes et qui croit en moi.

Une année extraordinaire dans sa globalité, sans qu’au quotidien rien d’extraordinaire ne se passe !

Pour être complet sur “l’accueil”, je me dois aussi d’évoquer celui que m’a réservé PIE quelques mois plus tôt. La première fois que j’ai franchi la porte de vos bureaux, j’ai ressenti quelque chose de spécial. J’étais dans mon marasme, et je me retrouve soudain entouré d’une équipe jeune et belle, certes un peu insouciante et un brin inexpérimentée —parfois même un peu pieds-nickelés—, mais des gens clairement visionnaires et si élégants dans leur propos, leur façon d’être, de sourire, de faire confiance. La semaine de préparation avec PIE, qui s’est déroulée en août, en partie dans la région parisienne et en partie à New-York, a entretenu ensuite nos relations de proximité avec une grande partie de l’équipe.

En un mot comme en cent, la rencontre avec PIE et l’accueil qui m’a été réservé ont changé ma vie. J’étais un cancre certes, mais un cancre à la Prévert, car je savais dire “Oui avec le coeur”. Et je crois que tout ce beau monde — PIE, ma famille d’accueil, mon école, mon environnement américain— l’a compris. En tout cas, on a reconnu que je pouvais avoir de l’humour, du charme, que je pouvais être “smart” J’y ai cru un peu ! (rires)… ça donne confiance ! En tout cas ça m’a réconcilié avec moi-même.

Parcours d'ancien | PIE | Jacques, 1985 | Entre amisUne anecdote sur mon séjour
J’ai été un des tous derniers à être placé en famille d’accueil, au point de douter un moment de mon départ. Durant la phase de recherche de la famille d’accueil, j’ai donc eu largement le temps de fantasmer sur ma destination : dans quel État des USA j’allais débarquer ? sur quelle côte ? dans quelle ville, etc. Les jours passaient et je commençais à flipper vraiment. Un jour quelqu’un me demande : “Alors tu pars quand ? tu as ton adresse ? tu vas où ?”  Et là, je ne sais pas pourquoi —je pense que je ne voulais pas être en échec—,  j’ai menti ! En fait j’ai répondu n’importe quoi (la première chose qui m’est passé par l’esprit. Très sûr de moi, j’ai dit : “Oui, c’est bon, je pars à San Diego !”. 
Deux semaines après, je n’étais toujours pas placé. Mais, quelques jours seulement avant la “deadline”, je reçois le coup de fil libérateur de PIE : on m’avait trouvé une famille… où ça ?… à San Diego ! Je me souviens avoir hurlé de joie. Ça paie parfois d’avoir de l’imagination !

Une année extraordinaire dans sa globalité, sans qu’au quotidien rien d’extraordinaire ne se passe !

Ah,  j’aimerais en raconter une autre…! La première semaine de mon séjour, je rencontre un certain Julian. Le vrai Californien, un super mec, très sympa, très cool. On devient proches. Il m’aide beaucoup pour mon anglais, car il comprend vite que mon niveau est vraiment très faible (en réalité je connaissais quatre mots). Il est patient, il m’explique plein de choses. Et très peu de temps avant mon départ, dans un français absolument parfait, il me lance : “Alors Jacques, ton anglais ? ça y est, tu parles maintenant ?”  Et là, je comprends que bien qu’il parle français couramment, il ne m’a pas dit un mot en français de toute l’année. Il m’explique alors que sa mère est Française et qu’il n’a pas voulu me le dire plus tôt, pour que l’anglais reste notre langue commune, et pour que je ne m’appuie ni ne m’endorme sur mon français. Il voulait me laisser en immersion ! Super fort.

Mon parcours depuis le séjour

Je dois dire que je n’ai pas toujours été à la hauteur de cette merveilleuse rencontre ou expérience humaine que j’avais faite en croisant la route de PIE. J’ai parfois été rattrapé ou débordé par mes démons. J’ai d’abord joué les commerciaux en essayant de vendre de la confiture de lait dans les crémeries (résultat lamentable), et même vendeur de cuisines (tout aussi lamentable !). Je me suis rapidement engagé dans l’armée, dans la Légion Étrangère. J’y ai fait un parcours honorable de parachutiste, puis de commando, au Tchad, en Centrafrique notamment… Puis, je suis tombé amoureux… et cet engagement l’a emporté sur l’engagement militaire, puisque j’ai réussi —grâce notamment à l’action d’une bénévole de PIE— à rompre mon contrat dans la Légion avant son terme (3 ans et demi au lieu de 5 ans).

Cette liaison n’a pas duré (il faut dire que j’étais immature, tendance jaloux, possessif, donc insupportable), donc celle que j’aimais m’a quitté. Alors je suis reparti pour une vie d’aventure. Là j’ai fait des choses passionnantes autant que déroutantes. J’ai beaucoup bourlingué : six mois de gestion de boîte de nuit —Kusu’s Night Club, kilomètre 6 à Douala—… un brin dangereux !) ; de retour en France j’ai suivi un stage de protection rapprochée des hautes personnalités. À partir de là, j’ai pu travailler pour KO International (une grosse boîte) en assurant la protection de personnes “importantes” ou en participant à leur programme de sécurité aérienne sur des vols à risques. Durant une de ces missions, un homme d’affaires, un Prince saoudien, m’a demandé de travailler en direct pour lui. Ce que j’ai fait pendant trois ans. Une vie surprenante, excitante, agitée, (souvent en liaison avec l’actualité !), et qui m’a mené un peu partout à travers le monde : Pakistan, Gabon, Angola, Ukraine, Guatemala, Salvador…, mais une vie faite de tensions et de peurs aussi. Ça m’a donné de la bouteille et de la patine. J’ai achevé ma carrière dans ce secteur d’activité —où je m’étais fait un réseau et une bonne réputation—, en travaillant deux ans pour le groupe Basan, à Madagascar, en tant que directeur de la gestion des risques. Aujourd’hui, je me suis éloigné de cette vie d’aventurier. J’ai rencontré ma compagne il y a 30 ans, sur un vol vers l’Angola, dont j’assurais la sécurité. Nous vivons maintenant en Bretagne. Je suis consultant en gestion de risques. Simon, notre aîné, souffre d’autisme et je dois dire qu’il est au centre de nos préoccupations… au centre et autour. Et Timothée, notre second, vient de partir aux USA pour au moins une année d’études sur un campus américain… avec PIE CAMPUS : Youpi !

À chaque fois —je dis bien à chaque fois—, c’est grâce à mon niveau d’anglais que j’ai été “préféré” aux autres candidats français. Il y a vingt ou trente ans, personne dans ce métier de niche ne parlait aussi bien anglais que moi !

Parcours d'ancien | PIE | Timothée, fils de Jacques | À l'université de Snow CollegeMa relation à PIE ?
J’étais très proche de l’équipe, mais ma vie d’errance m’a éloigné de PIE pendant plus de 30 ans… sans que, pour autant, j’oublie quoi que soit de ce séjour et rien de tout ce qui a permis qu’il se réalise. Ma compagne et mes enfants peuvent en témoigner. Il y a six mois, Timothée nous a annoncé qu’il voulait partir aux USA. Je lui ai dit : “Regarde déjà si PIE existe encore ! Si c’est le cas pas la peine d’aller chercher ailleurs !” On a vu alors que l’association était toujours là, que Laurent Bachelot était toujours impliqué, et on a renoué le lien. J’ai quitté ma High School de Californie, il y a presque 40 ans, et mon fils est entré à Snow College, son université dans l’Utah, il y a tout juste un mois. On prolonge donc le récit. Aujourd’hui, Timothée est épanoui, heureux, alors par ruissellement, je le suis aussi. À son tour, il me parle du sourire des Américains, de leur sens de l’accueil, je le sens investi. Je l’entends rêver et je sais que sa vie va être positivement bousculée par cette aventure. Je suis fier de lui : c’est une sorte de version de moi… en “upgradé” en 3 voire 4.0 !
Je dois ajouter un mot sur l’impact de ce séjour : que ce soit dans la Légion, à la Sécurité de vols internationaux, comme officier de sécurité d’un ministre du Golfe, dans le cadre de travail en binôme avec des gardes du corps américains en Amérique Latine, pour devenir “speaker” durant un symposium anti-terroriste à Islamabad, etc, etc., à chaque fois —je dis bien à chaque fois—, c’est grâce à mon niveau d’anglais que j’ai été “préféré” aux autres candidats français. Il y a vingt ou trente ans, personne dans ce secteur de niche ne parlait aussi bien anglais que moi ! Au-delà de mes compétences, c’est bien cela qui a joué. Bref, cette année PIE aux États-Unis (et le niveau d’anglais que j’ai pu y acquérir) a été un sésame, dont j’ai usé tout au long de ma vie.

Moi j’ai croisé PIE et je crois que c’est ma capacité à prendre la tangente en suivant cette autre voie qui m’a sauvé.

Si je n’étais pas parti avec PIE
Je me serais perdu… à un moment ou un autre, je me serais perdu. Dans des copinages, des camaraderies illégales ou toxiques. J’aurais cherché la facilité.
J’ai malheureusement un bon exemple : celui de mon meilleur ami d’enfance, un cancre aussi, mais dont les parents avaient beaucoup d’argent. L’année de mon départ, nous avions le projet de faire la route 66 ensemble. Mais mon engagement à PIE a compromis ce voyage. Lui l’a fait avec d’autres… et à partir de là, il a sombré : drogue, relations néfastes, accident et handicap. Ce gars-là a été mal accompagné. Moi j’ai croisé PIE et je crois que c’est ma capacité à prendre la tangente en suivant cette autre voie qui m’a sauvé.

Article paru dans la e-3.14 n°60