Jean-Marc Mignon, délégué général de l’UNAT, ancien président de la FIYTO, est une figure majeure du milieu associatif. Il y a 25 ans, en tant qu’ancien directeur du Club des 4 vents, il a ouvert grand ses portes à PIE et permis à l’association d’exister.
Parce qu’il fait consensus, parce qu’on ne lui connaît pas d’ennemi intime, parce que sa carrière est droite et limpide, parce qu’il est tout simplement aimé, Jean-Marc Mignon lance un vrai défi à son interviewer. Il serait plus facile en effet de peindre un homme contestable ou contesté, un être torturé ou complexe, mystérieux ou indéchiffrable. Plus aisé encore de rendre compte d’un exploit hors normes, d’un parcours illisible ou sinusoïdal. Les journaux, c’est bien connu, détestent les trains qui arrivent à l’heure. Or, la vie de Jean-Marc Mignon, à écouter l’intéressé, est faite de petits bonheurs accumulés bien plus que de grands malheurs juxtaposés, quant à son histoire, elle se rapproche plutôt d’une réussite que d’un échec.
Mais, à y regarder de près, il y a quelque chose de merveilleux là-dedans, car ce parcours sans faille apparente — voilà qui relève déjà d’une certaine gageure — nous amène à réfléchir, à nous questionner sur au moins un point : comment avancer, faire carrière, en restant fidèle à ses idéaux ?
Commençons par la fin et par cette petite phrase lancée au terme de près d’une heure et demie d’entretien: « Je crois qu’avant de se quitter, il faut aussi parler de l’essentiel ! » L’essentiel, c’est quoi? : « Ma femme, mes enfants, mes petits-enfants, mes amis. Tout ça, c’est beaucoup de bonheur. Je sais que je n’ai jamais voulu sacrifier ma vie personnelle à mon travail. » Si Jean-Marc Mignon insiste sur ce point, c’est qu’il sait parfaitement qu’il y a quelque chose de paradoxal à vouloir concilier aujourd’hui son bien-être avec le bien-être de la communauté, — celui-là même dont il parle tant et pour lequel il a tant œuvré.
Il est né à Neuilly, il y a juste 60 ans : famille nombreuse, catholique engagée. Aîné de sept enfants, son adolescence est marquée, pêle-mêle, par les années 60 — on ne s’extrait pas de son époque, surtout de celle-là —, par le scoutisme, par Dylan, par Giono, par mai 68, par Luther King… Un homme le marque et l’influence tout particulièrement, son père, journaliste de métier, « qui [lui] transmet le goût de la vie collective et de l’engagement personnel », qui « participe à [son] apprentissage de la responsabilité. » « Il était très impliqué dans la vie sociale et notamment dans un mouvement chrétien progressiste, La vie nouvelle, qui réfléchissait aux relations sociales internationales, à l’avenir de la société… » Jean-Marc Mignon établit aussitôt un parallèle avec son propre parcours de « chrétien pratiquant » d’un côté, de « militant civique » de l’autre. Il se souvient surtout de ce mouvement d’habitat communautaire lancé dans les années 50, auquel son père avait participé activement et qui avait débouché sur un projet concret de création, à Boulogne-Billancourt, d’un immeuble de 100 logements (« il y avait près de 300 enfants »), avec mise en commun de services : buanderie, crèche, classes, parc, cinéma, clubs…. « “Le 14” (le numéro de la rue avait donné son nom au projet) était une sorte de coopérative. On affichait de vraies valeurs humaines, une réelle solidarité. Un détail : personne par exemple ne fermait sa porte à clé ! » La famille intègre l’immeuble quand Jean-Marc a huit ans. Ce passage marquera définitivement le personnage: « Je crois avoir découvert à partir de là (l’idée bien sûr a mûri par la suite) qu’il y a des modes d’organisation et de production parallèles au modèle dominant qu’il faut savoir observer et développer. » Son souvenir le plus frappant, lié directement à cette expérience, reste sa rencontre avec Graeme Allwright — chantre d’un blues à la française, auteur d’une chanson mémorable, Petites Boîtes, qui stigmatisait à la fois la société de consommation, l’assujettissement, l’incapacité à sortir du moule. « Lors d’une rencontre dans une MJC, je suis allé le voir pour lui dire mon admiration et lui proposer un concert dans notre immeuble. Il m’a d’abord demandé de m’expliquer sur cette plaisanterie, et quand je lui ai parlé du concept de notre immeuble, il a été emballé et a accepté. Il est donc venu faire un concert, pour 230 francs ! » — il se souvient avec précision du chiffre — Pour m’assurer du succès de l’opération, j’ai écrit personnellement aux cent locataires de l’immeuble. On a fait salle comble. Ce fut un grand succès. C’est un merveilleux souvenir. » L’enfance, c’est aussi son rôle de meneur-conciliateur au sein d’une famille «très unie, fantaisiste et joyeuse.» « Oui, j’ai eu une enfance très heureuse», dit-il avec un sourire franc qui semble surgir de cette époque. Et d’évoquer au passage les bons moments, les sorties, le sport : « J’ai fait de l’athlétisme – du saut en longueur — du basket aussi… je me débrouillais pas mal, alors que je n’étais vraiment pas très haut. » Mais la grandeur, on le sait et il en est une illustration, n’a pas grand-chose à voir avec la taille!
Toutes ces influences ou expériences nous aident à comprendre l’intérêt très marqué de Jean-Marc Mignon pour la politique. Pas forcément la politique comme on l’entend ou on l’imagine couramment, celle, faite de petites trahisons et de grandes ambitions, que les puissants de ce monde pratiquent avec un certain talent non, la vraie politique, celle de l’engagement au service de la cité et de la communauté. « L’engagement civique, l’implication dans les mouvements majeurs de la société, j’ai toujours été attiré par cela. » JeanMarc Mignon va très tôt s’investir pour la cause commune. Dès l’université, en tant que premier étudiant élu au conseil d’établissement et en tant que président des élèves, et plus tard, dans sa ville de Garches en tant que conseiller municipal. Il briguera et obtiendra plusieurs mandats et ne devra qu’à sa couleur politique le fait de ne pas être maire, et d’échouer à l’élection législative: « Je vis dans une région où la majorité n’est pas celle du parti que je représente! » Il sourit de sa périphrase et se reprend. « Je suis membre du Parti Socialiste et la ville est clairement ancrée à droite. » On doit admettre également que si ses qualités pour la politique sont réelles — écoute, sens du dialogue, goût pour le consensus, et pour l’action aussi — il n’a pas non plus toutes les caractéristiques du prototype politique. Car on sait qu’un « bon » politique ne doit pas s’attacher — autrement dit, qu’il doit trahir —, qu’il doit manifester une volonté à toute épreuve — autrement dit qu’il doit être dévoré par l’ambition, et qu’à l’instar des culbutos — ces objets qui toujours se redressent — il doit être capable de se jouer de toutes les situations pour les retourner à son avantage. Non, Jean-Marc Mignon n’est pas exactement celui-là. Lui est plutôt un pur. Au-delà de son action civique en tant qu’élu local chargé des finances, c’est dans la vie professionnelle qu’il va user au mieux de son idéalisme teinté de pragmatisme, de son sens de la diplomatie, marié à son goût pour l’action. Jean-Marc mène des études d’interprétariat à l’ISIT (français/espagnol/anglais), avec déjà en tête l’idée de s’orienter vers les relations internationales. « C’est plus cela qui m’intéressait que le pur interprétariat. » Diplôme en poche, il ouvre une parenthèse faite de petits boulots (petites annonces au Monde, vente de mousse à raser, fourniture de matériel électrique…), qu’il referme lorsque se profile un travail qui correspond vraiment à ses objectifs. Il entre au « Club des 4 vents » en 1974. Le voilà plongé dans le monde associatif, dans le milieu du Tourisme et de la Culture. Il ne quittera plus ce monde, ni ce milieu. « Je n’ai connu que deux employeurs majeurs dans ma vie : “Le Club” et l’ “UNAT”. » Il le dit avec une certaine fierté, au nom de la fidélité sûrement, au nom surtout de sa capacité à suivre une ligne, à enfoncer le bon clou, à maîtriser un domaine, jusqu’à y tracer un sillon visible et profond.
Il se souvient que son premier jour de travail au « Club » correspond à la naissance de son premier enfant. « Un jour mémorable ! » Déjà, le choc du public et du privé ! Jean-Marc Mignon va prendre en charge les échanges avec l’Espagne et les Etats-Unis et mettre notamment en place des programmes de jobs aux USA. Il apprend… vite, à n’en pas douter, puisqu’en 79, il devient directeur adjoint du « Club », et trois ans plus tard, directeur. Le « Club des 4 vents » va, sous son contrôle, dépasser le secteur purement linguistique pour développer le secteur éducatif autour du thème de l’échange international.« Nous avions vraiment une démarche ouverte et globale. » C’est dans ce cadre qu’ ilaccueillera sous son toit une association naissante : « PIE !»
Le «Club des 4 vents» est membre de la FIYTO (Federation of International Youth Travel Organisations). La fédération regroupe 60 à 70 pays, mais souffre à l’époque d’avoir à sa tête un président et un secrétaire général, qu’avec son sens aigu de la nuance, Jean-Marc Mignon définit comme « des hommes nous posant quelques problèmes ». À mots couverts, il parle ensuite d’inaction, « de choses qui n’allaient pas dans le bon sens ». Avec une modestie non feinte, il explique son entrée au sein du comité exécutif :« Il y avait un contingent français important ! » Il glisse sur les débuts difficiles (« les gens en place regardent toujours les petits jeunes avec méfiance »), pour évoquer son élection en tant que Président, cinq ans plus tard, au terme d’une campagne qu’il qualifie de « plutôt active». « Par la suite cela a été beaucoup plus facile, personne ne s’est jamais présenté contre moi ! » Il en rit : « Un vrai dictateur nord-coréen. » Le poste est clé, le rôle est majeur. Jean-Marc Mignon devient, de fait, le défenseur du tourisme de jeunes auprès des autorités internationales. La fonction exige déplacements et rencontres. Il souligne la richesse de tous ces échanges. Avec la distance, il s’en amuse même un peu : « On a fait des rencontres marrantes. Je pense notamment au rendez-vous avec le vice premier ministre chinois, Xiang Zé Minh, pas très connu des occidentaux à l’époque, et qui allait devenir le président du pays. » Il évoque cette invitation du ministre indien du Tourisme, « un Maharadjah, qui [lui] a ouvert son palais, gigantesque et magnifique. Moi, je pensais à mon petit appartement ! » Il s’étonne encore que des contacts aussi inattendus et exotiques aient pu s’établir, et aime à souligner qu’ils l’ont été « pour faire avancer des causes communes ». Il raconte — mais l’espace est trop court ici pour la rapporter dans toute sa grandeur — une petite virée dans la jungle amazonienne, qui tourne en épopée après l’accident d’un de ses collègues et l’impossibilité d’être rapatriés ! Il dépasse ensuite l’anecdote pour nous faire comprendre qu’à ce poste, il a tissé un immense réseau professionnel, et noué de vraies amitiés internationales. Il énumère : «Mexique, Vénézuela… partout.»
Jean-Marc quitte « Le club des 4 vents » en 91 pour prendre la tête de la délégation générale de l’UNAT (Union nationale des associations de tourisme). Il occupe alors une fonction centrale dans le secteur, et se voit offrir la possibilité, à ce poste, de pousser encore un peu plus loin un travail qu’il juge d’intérêt général. « À l’UNAT, nous représentons tout le secteur associatif du tourisme — dans toutes ses composantes (tourisme familial, tourisme de jeunes, vacances, voyages…) — auprès des pouvoirs publics, du gouvernement, des autres partenaires du monde du tourisme. » Là, Jean-Marc Mignon peut mieux qu’ailleurs, mettre en avant ses qualités de négociateur et d’animateur (création de l’Office, développement du tourisme solidaire). Son but essentiel est de promouvoir une politique associative du tourisme qu’il juge «particulièrement précieuse dans ce secteur». Les difficultés: « Lutter contre les conservatismes du milieu, contre la réunionite aigüe, et une efficacité pas toujours à la hauteur des objectifs. » Lui, le social, veut faire face à la réalité et afficher un réel souci de pragmatisme. Il parle de « gestion » et cite à ce titre PIE: « C’est un vrai exemple, à ce niveau.» Venons-en à PIE et à ses débuts : l’occasion de se rappeler un autre bon souvenir. Un jour de 1981, il a vu arriver au «Club des 4 vents » un trio assez étonnant, voire détonnant : JeanLouis Berquier, Laurent Bachelot & Pascal Blox. Le trio n’a aucune carte en main — pas un sou, pas un client, pas une once d’expérience (les trois ont moins de vingt-cinq ans) —, sinon un projet prometteur, qui consiste d’un côté à envoyer de jeunes lycéens français vivre un an à l’étranger, et de l’autre à recevoir de jeunes étrangers. Il s’en souvient avec amusement : « Ils avaient du culot : je me rappelle très bien que ce sont eux qui ont posé leurs conditions ! » Il apprécie le trio et fonce, sans arrière-pensée: « Je n’ai pas fait d’étude de marché, ça c’est sûr ! » Il signe une convention dans laquelle il s’engage à prêter bureau et logistique. Presque inconcevable aujourd’hui. Il ne le regrettera pas : PIE démarre et se développe. «C’est un bel exemple de réussite, » dit-il. Vingtsept ans après, PIE, de son côté, est toujours reconnaissant à l’égard de celui qu’elle considère encore comme son « parrain ».
« Parrain » : au-delà du cas PIE, notre titre n’est, bien entendu, rien d’autre qu’une antiphrase. Car le milieu dans lequel baigne Jean-Marc Mignon n’a évidemment rien de sicilien. Et si Jean-Marc est un des maîtres de ce milieu, c’est grâce à des caractéristiques en tout point opposées à celle des caciques de Cosa Nostra. On le sait en effet sage, raisonnable, mesuré, maître dans l’art d’arrondir les angles. On le devine critiqué, mais on le devine aussi intelligent face à la critique. On ne l’imagine pas violent, pas colérique. Si l’on admet que tous les calmes sont de faux calmes, on doit admettre dans le même temps qu’il est sûrement la plus belle exception à cette règle. « Je crois que j’aime les gens », nous lance-t-il en guise de devise, « sinon je ne me serais pas investi dans le militantisme politique. Car si tu n’aimes pas t’occuper des problèmes des autres et si tu n’es pas prêt à leur donner de ton temps, ce n’est vraiment pas la peine de
faire ça. » Quand, pour finir, on lui demande quelles sont ses peurs, il ne nous parle ni de la mort ni de la maladie. En guise de réponse, il préfère citer de mémoire un proverbe sud-américain — qui dit que « la terre n’est pas un héritage de nos aïeux, mais un prêt de nos
enfants » — pour bien signifier que ses peurs touchent à l’universel, et pour nous rappeler que l’esprit collectif doit toujours primer sur l’esprit individualiste, sans que pour autant l’individu ne soit jamais réduit ou assujetti au collectif.
Article paru dans le journal Trois-Quatorze n°46