Roseline Bénétreau, déléguée régionale PIE en Aquitaine, est très active au sein de l’association. Elle a entraîné Laurent, Claire et Pierre dans son sillage ! Portraits croisés pour un rêve unique.
De son fils Pierre, Roseline parle avec évidence et clarté. Elle semble bien le connaître. Il faut dire qu’elle lui ressemble : par la taille d’abord – ils sont grands tous les deux – autant que par le talent : talent à dire simplement les choses, à aller vers les autres avec chaleur et cordialité. Quand elle évoque le voyage d’une année au Canada que Pierre a entrepris quand il avait 17 ans, elle le fait d’ailleurs avec la franchise et l’enthousiasme de ce dernier : « Il a appris que sa soeur voulait partir et il a aussitôt décidé qu’il partirait. C’était évident pour lui. Ça paraissait très simple dans sa tête. » Elle dit de son fils qu’en général il ne se pose pas trop de questions, qu’il fonctionne plutôt à l’instinct. Et d’insister sur l’évidence avec laquelle elle l’a vu mettre en place ce projet. « On ne peut même pas parler de mise en place, il n’a rien préparé de particulier. Sa soeur était partie, il partait… point final. » À partir de là – c’était donc une évidence – tout allait bien se passer : « Il était très sûr de lui. Il n’évoquait même pas ce qui l’attendait, et encore moins les problèmes éventuels qu’il pourrait rencontrer. D’ailleurs, on aurait pu dire ce qu’on voulait, je crois qu’il n’écoutait rien. Il était dans son “ trip ”. » Du côté de Roseline, on s’engage dans l’aventure avec la même assurance : « Je connaissais tout », avoue-t-elle sans détour mais sans forcément réaliser qu’elle souligne là encore une similitude entre elle et son fils. « Avec Claire, cela c’était bien passé, j’avais déjà posé toutes les questions, je maîtrisais tous les rouages, et j’avais une grande confiance. » Une grande confiance, née de ce mélange d’assurance et d’inconscience qui animait Pierre.
Tout était donc écrit : tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Mais boum, patatras… « Dès les premiers jours, il nous a appelés en pleurant, » nous dit sa mère. « C’était la cata. J’ai eu droit à tout. Il me disait : “Maman, je veux rentrer. Je ne peux pas. Je te rembourserai. C’est trop dur. ” Et tous les soirs à la même heure, il appelait pour répéter : “Qu’est-ce que je suis venu faire dans cette galère. Pourquoi je suis là ? ” » Et Roseline de se souvenir de cette période en répétant plusieurs fois : « L’horreur, c’était l’horreur. On ne savait plus quoi faire. Il voulait nous parler à tous les trois tous les soirs. On s’organisait pour savoir ce qu’on devait lui dire. » Avec distance, Roseline analyse assez bien la situation : « Il avait tout simplement un gros coup de “ blues”. Je ne l’ai pas vu venir – pas plus que les autres d’ailleurs – car dans la mesure où Pierre a horreur d’être seul, qu’il recherche toujours le contact, qu’il est toujours entouré d’amis, je m’imaginais qu’il s’intègrerait automatiquement. Je crois qu’en fait, il est parti avec une conception totalement fausse du séjour et qu’il se disait : “ Je vais là-bas, je regarde, j’observe – ce sera d’ailleurs très intéressant – et puis je repars. ” » Elle parle d’un choix inconscient, celui de ne pas s’intégrer, de rester simple visiteur, de vivre à côté des choses, en simple observateur. « Agir ainsi c’est possible quand on part un mois, mais pas un an ! Dans ce cas-là on court à la catastrophe. »
« Je ne m’étais peut-être pas rendue compte que Pierre avait besoin d’être entouré, d’être presque “ pouponné ”. « Mais moi je ne suis pas une mère poule, » dit-elle comme pour s’excuser. Il faut dire, à sa décharge, qu’à l’époque Pierre est déjà sacrément grand et costaud et que sa mère est loin de supposer qu’il puisse avoir cette fragilité. « En fait, il était beaucoup moins indépendant que Claire et pour lui la fracture n’en a été que plus difficile. » Elle avance encore une explication : « Les conditions à son arrivée n’ont peut-être pas été idéales non plus, dans le sens où elles ne correspondaient sans doute pas à son goût pour le rangement et l’organisation, et puis il y avait eu un accrochage avec le père… mais enfin. » Roseline ne cherche pas plus d’excuses aujourd’hui qu’elle n’en cherchait à l’époque. Jamais en fait, elle n’entre dans le jeu de son fils : « Pour moi il n’a jamais été question qu’il rentre. Je ne l’ai jamais imaginé. Parfois j’ai vraiment tapé du poing sur la table. J’ai su lui dire qu’il exagérait. Mon mari était plus diplomate. Parfois, ajoute-t-elle, j’avais même honte de ce qu’il reprochait à sa famille. J’avais vraiment l’impression qu’il lui manquait de respect. Je lui disais aussi : “ Si tu trouves que la maison n’est pas assez rangée, range-là ! ” »
Mais le problème perdure : une semaine, puis deux… puis un mois… puis deux. Et puis soudain cela cesse. Du jour au lendemain, en fait. Pierre est comme ça. Tout un coup, une crise naît… tout à coup elle est réglée – la phase d’intégration est passée, on passe à autre chose : « Pierre dit tout. Contrairement à ma fille qui a sûrement affronté en silence les difficultés, lui a dit tout ce qu’il avait à dire, à haute voix, sans pudeur et sans honte. » Elle s’amuse aujourd’hui de la suite du parcours de Pierre, du fait qu’ils n’ont quasiment plus eu de ses nouvelles jusqu’à la fin du séjour, de l’évolution de sa personnalité, de la tolérance qu’il manifeste aujourd’hui, de son ouverture d’esprit : « Je parle de Pierre, mais il en est ainsi de la plupart de ceux qui s’engagent dans cette aventure, ils ne vivent pas dans leur petit monde étriqué. » Elle revient à son fils pour évoquer ses années d’études, sa fidélité au monde agricole dont elle et son mari sont issus, de tous les séjours, stages et emplois qu’il a faits ou qu’il va faire à l’étranger (USA, Australie, Canada), de sa liberté de mouvement, de sa capacité à ne pas se fixer – qu’elle admire – et qui en même temps l’inquiète : « D’un côté, c’est beau, dit-elle, mais d’un autre, je me dis qu’il papillonne peut-être. » Elle nous interroge alors du regard. En l’écoutant, on se dit que sans être une mère-poule, une mère n’en reste pas moins une mère. Roseline en vient à définir le statut actuel de Pierre, lui qui, pendant deux mois, la suppliait de rentrer et qui désormais ne souhaite plus qu’une chose, repartir… sans cesse repartir. « Maintenant oui, on peut dire qu’il sait s’en aller ! Il se dit “ intermittent de l’agriculture ” (en référence à sa soeur qui est “ intermittente du spectacle ”), on pourrait dire aussi “ agriculteur nomade international. ” » Et à écouter Roseline parler ainsi du voyageur au long cours, on sent que c’est bien l’admiration – ou tout du moins la fascination – qui l’emporte tout compte fait sur la crainte.
De Claire, sa soeur, et de son expérience d’une année à l’étranger, Pierre parle avec respect. Sans elle, il a conscience qu’il ne serait sans doute jamais parti. Sans idéaliser son aînée, il se souvient l’avoir regardée avec fierté : « Pendant un an, j’ai pu dire : ma soeur est partie au Canada. » Il se souvient aussi d’un séjour sans tension ni anicroche : « On me dit qu’elle en a rencontré des problèmes, qu’elle les a même évoqués mais que je n’ai rien voulu entendre. Peut-être. Je crois que j’ai préféré en rester aux bons côtés des choses. » Il soutient aussi que sa soeur est très discrète, qu’elle s’est peu manifestée pendant l’année. « Ces moments difficiles elle les a gérés toute seule. Mais je me dis qu’elle a dû être costaud. » Claire est comme ça : solide. « Elle ne fait pas de vagues. Autant, moi et ma mère, on peut s’emballer, autant Claire reste calme. » Elle ressemble à son père.
De son père Laurent, Claire dit justement qu’il est modérateur. Dans la structure familiale, il incarne la sagesse. À chaque étape, il veille à alerter les autres sur les risques potentiels. Mais qu’il s’agisse d’accueillir, de partir, ou plus tard de s’impliquer dans la structure associative, Claire pense qu’ « il a toujours adhéré, sans freiner, mais sans foncer tête baissée. » Ma mère s’engage toujours plus frontalement, elle est plus rebelle, mon père garde toujours plus de distances, il analyse. Elle dit qu’il est « discret, presque effacé, en retrait » – elle sait bien que c’est Roseline qui sur cette affaire donne le tempo. « Lui, c’est plus un soutien, mais c’est un soutien franc. » Elle pense que les valeurs humanistes de l’association lui correspondent bien et évoque du même coup son travail social, son investissement militant : « Je crois qu’il retrouve ça à PIE et que c’est ça qui l’intéresse, les rencontres, l’échange, la dimension humaine. »
De Roseline, sa femme, Laurent dit qu’il a été épaté par la façon dont elle s’est investie dans PIE, dans cette activité de correspondante, puis de déléguée. « Elle est partie au quart de tour, sans calcul et avec un réel enthousiasme. » Pourquoi cet étonnement ? « Parce que, dit-il, nous venons l’un comme l’autre d’un milieu rural, d’un milieu social relativement simple qui n’a aucune notion, du moins aucune relation directe au voyage. Alors cet enthousiasme m’a surpris, presque pris de court ! Moi j’ai écouté, analysé, et j’ai dit pourquoi pas. » En fait, Laurent parle autant de son accord pour les départs successifs de ses deux enfants, que de l’engagement de Roseline en tant que bénévole de l’association, de cette étrange façon dont tout le monde (parents et enfants) a embrayé sur PIE, et s’est trouvé plus ou moins impliqué dans « l’affaire ». Il évoque un effet de quasi attraction, de quasi gravitation : « C’était quasi passionnel. » Et de citer aussitôt un petit souvenir, presque rien, juste une phrase, en passant, qui lui est revenue en mémoire récemment et qui pourrait tout expliquer : « Dans les premiers moments où on se fréquentait avec Roseline, elle m’a dit : « Moi mon rêve, tu sais, ce serait de prendre l’avion ! » C’était il y a bientôt 30 ans. Et à l’époque pour moi c’était énorme. Prendre l’avion, c’était presque inconcevable. » Il se demande si la source de tous les mouvements qui ont suivi et au centre desquels se trouve Roseline, ne tirent pas son origine de cette volonté, presque enfouie mais si profonde, de voyager. « Roseline, par rapport à moi, a toujours voulu bouger et c’est peut-être Claire, dit-il, qui a capté, quasiment en un seul jour, ce message diffus, et qui soudain l’a transformé, ellemême en un projet énorme : partir une année. » Et pour pousser son raisonnement on en vient à penser que c’est peut-être Pierre qui réalise, en ce moment, ce rêve d’incarner à la fois ce que notre milieu culturel nous pousse à être (agriculteur, dans ce cas) et ce que notre nature profonde nous invite à devenir (ici, un voyageur). Laurent revient sur l’engouement et l’engagement de Roseline pour PIE. Il évoque son goût pour l’aide, l’entraide, le travail avec les jeunes, l’aspect éducatif. « Je sais qu’elle est comme ça, qu’elle donne sans calcul, mais parfois, je sais que je dois être vigilant. » Il fait référence à l’énergie qu’elle laisse dans l’écoute des parents, dans la disponibilité qu’elle manifeste tant à l’égard des familles et des participants que de l’association (avec ses demandes et ses exigences). « Elle y laisse vraiment beaucoup… Même financièrement. Je trouve qu’elle consent des sacrifices que je ne la soupçonnais pas pouvoir faire. » Il évoque maintenant la notion de famille : « Nous sommes assez proches tous les 4, mais pour des raisons précises, Roseline est peu investie dans sa famille au sens large. » Il en déduit qu’elle a peut-être trouvé en PIE une communauté qui se rapproche d’une famille. « Entre une invitation à PIE et une invitation dans sa famille, elle choisira PIE… Oui, à coup sûr. » Si, pour finir, il s’accorde à reconnaître que tous les Bénétreau sont investis d’une façon ou d’une autre dans PIE, il tient bien à préciser que c’est Roseline qui est au centre de cette relation, qu’elle en est le moteur. « Elle a encore beaucoup de choses à vivre autour de ça. Cette histoire, pour elle, c’est une quête. » Et il laisse entendre, qu’après Claire et Pierre, c’est peut-être au tour de Roseline de trouver un moyen de partir. Histoire sans doute de boucler la boucle.
Roseline Bénétreau en quelques dates
Article paru dans le journal Trois-Quatorze n°42