Quelques heures avant de quitter leur terre d’accueil, les participants au séjour d’une année scolaire à l’étranger se confient à « Trois quatorze ». C’est le moment des adieux, des regrets, de la nostalgie, de la mémoire : partout l’émotion affleure, quand elle ne déborde pas ! Mais la dernière heure est aussi celle du premier bilan : inconsciemment ou non, chacun mesure le chemin parcouru, sonde ses acquis, revient sur les difficultés rencontrées et sur les obstacles surmontés : alors, c’est l’allégresse et la fierté qui l’emportent. Et qu’elles paraissent loin, à cet instant, les craintes et les peurs qui nourrissaient les heures, les jours et les mois précédant le départ.
C’est demain. Ça fait plus de huit mois que j’appréhende ce moment-là. Je vais devoir tout quitter et je ne veux pas repartir. Ma vie est trop belle. J’ai eu le coup de foudre pour tout : la Californie, ses plages, son climat, ses forêts – pour Piedmont, son école, ses habitants, sa vue – pour Jamie, sa maison, sa famille, son chien, ses passions. Combien j’ai aimé aller à la plage, regarder Jamie, Nat, Seth, Boggie et les autres surfer. Moi, j’ai essayé quelquefois, mais la peur des requins m’a toujours retenue. J’ai été si bien accueillie ! et partout… Parce que j’étais l’unique « Frenchie », parce que mon accent était si mignon. Je me suis créé des relations fortes et durables comme je n’en avais jamais créées auparavant. Tout est passé trop vite. J’appréhende le retour. En France, qui me donnera d’aussi bons conseils que Lisa ? Qui me consolera, me prendra dans ses bras, me fera rire, m’emmènera dans les plus beaux coins, comme le faisait mon petit ami, Jamie ? Et qui m’énervera comme ma sœur d’accueil, Hillary ?
Voilà, mes yeux se sont ouverts, j’ai vu de nouveaux horizons. J’aperçois mieux le futur. Demain, j’achève la plus belle année de ma vie, je pense à mes parents et les remercie.
Claire
Le temps file trop vite. J’ai réservé mon dernier jour à Jen, ma meilleure amie – ce jour s’est achevé aussi. Jen, en me quittant, m’a laissé une cassette.
J’attends mon père d’accueil – c’est lui qui doit me conduire à l’aéroport. Dans la voiture, je glisse la cassette que m’a laissée Jen. C’est sa voix. Elle me dit qu’elle est contente de m’avoir rencontrée… Et bien plus encore. J’écoute ensuite les chansons qu’elle m’a enregistrées. Chacune est un souvenir – je pleure. C’est le plus beau cadeau qu’on ne m’ait jamais fait.
Dans l’avion, je regarde la petite bouteille que m’a donnée Samara – elle contient un peu de Pacifique. J’ai du mal à laisser tout ça. Suis-je folle ? Bien sûr je veux revoir mes parents, mais j’ai l’impression que je pourrais plus facilement vivre sans eux que sans mes amis. Mon départ de France aura été plus facile que mon retour… Ô combien ! Car j’étais sûre de revenir, tandis que là ? Summer, je veux revoir ton visage – Samara, je voudrais partager avec toi de nouveaux fous rires (tu sais, à cause de nos « sexy moves ») – Jen, avec toi j’aimerais refaire des « pancakes ». Et Caleb et tes strip teases, et…
Izzy, Walport
Chaque objet est un souvenir. En les posant un à un dans ma valise, c’est mon année que je range : Noël, anniversaire, prom, graduation… Autour de moi, dans la maison, l’atmosphère est tendue. On voudrait profiter de tout, étendre les heures, mais l’intensité les raccourcit. On me téléphone sans cesse, on me rappelle que c’est demain et qu’il va falloir partir. Moi, je pense au premier jour, à mon arrivée, timide. Je ne comprenais rien, j’étais effrayée. Et maintenant c’est si loin – j’ai pris de l’assurance, je maîtrise l’anglais. Encore des souvenirs qui reviennent : campings, « rodeo shows », « homecoming », « color’s day »… Tout à coup je suis contente de rentrer. Cette année est derrière moi, elle me suit, je la sens, juste là, derrière moi, pour toujours.
Céline
En montant dans l’avion, je repense à tout ce qui m’est arrivé pendant un an, aux bons moments et aux mauvais. J’ai dans mon sac toutes les photos que j’ai prises. Je m’assois, je les regarde, je me remémore chaque instant. Je suis triste, mais dans le fond fier aussi. Et puis, je suis content… De revoir mes parents et mes sœurs. C’est pour demain. Dans pas longtemps.
Éric
Il est sept heures : personne n’est réveillé. Je prends mon petit-déjeuner. Je ne peux pas partir le ventre vide. Je vais faire un petit tour du jardin avec Roo, le chien. Il est sept heures trente : je réveille tout le monde. On saute dans la voiture. Les filles ne parlent pas, elles ont veillé tard. Mon frère et moi, on se marre. Le fait de partir ne me dérange pas beaucoup car je rentre à la maison, après un an, et le fait de revoir mes parents me ravit.
À l’aéroport, on se serre dans les bras. On se promet de se revoir. On échange des petits cadeaux, je monte dans l’avion. On décolle. Je ne pense à rien. Je lis les mots qu’ils ont tous écrits pour moi. Je verse une larme de tristesse, et une autre de bonheur – on se reverra.
Nicolas
C’est si dur de partir. J’ai amassé tellement de choses, de souvenirs, d’objets ! Impossible que tout cela tienne dans des valises. Je ne sais pas par où commencer. En réalité, je suis paumée : je suis toujours là, mais plus vraiment chez moi, car je ne peux plus faire de projets : plus de pizza pour demain, plus de ciné, plus de « party »… J’attends. Les derniers moments, les dernières heures, je les passe à avaler un « sundae », à discuter avec les parents – qui cherchent à me faire sourire -, à regarder mes petits frères et sœurs. Je suis si attachée à eux – ils font tellement partie de ma vie ! Et pourtant, je sais bien que dans quelques mois je serai, à leurs yeux, redevenue une étrangère. Maintenant c’est sûr, le grand voyage est terminé – il n’y a plus qu’à l’admettre. Je n’arrête pas de me dire qu’en une année je suis devenue plus sûre de moi, plus mûre et plus forte. En théorie, je sais que cette force que j’ai acquise devrait m’aider à surmonter l’épreuve du retour. En théorie seulement… Car en fait, c’est très dur.
Anonyme
Mon avion décolle dans 3/4 d’heure. 3/4 d’heure ! La dernière fois que j’étais là, dans cet aéroport, c’était il y a dix mois : petite fille fière, habillée dans ses jolis vêtements tout neufs. Que de chemin. Comment ai-je fait pour atterrir ici, au Texas, pour m’y intégrer, pour créer des liens – des vrais -, pour construire une vie. Moi qui viens d’une autre planète. J’ai surmonté les rires, les larmes, les chansons, les prières. J’ai connu Courtney (au début je m’en souviens, je n’osais même pas lui parler), Alyssa, et tant d’autres.
1/2 heure. J’attends Karen, ma meilleure amie, et Debbie, ma déléguée. Karen arrive : « hugs & kisses » – comment vais-je faire sans elles ? Je trouverai une solution pour revenir. Je fais confiance au destin.
Ma mère pleure. J’ai encore plus mal. Elle s’en va. Il reste Karen, plantée derrière le grand mur de verre. Debbie arrive tout juste. La police m’accorde une minute de plus. Une extra-minute, juste le temps de renouveler les « hugs & kisses ». Et maintenant, c’est fini, définitivement. Je tourne le dos à une année merveilleuse, à une part de ma vie. Je ne veux pas regarder devant sinon pour me persuader qu’en pensée, je reviendrai souvent à Tyler-Texas. Durant le voyage, je réalise que j’aime ce pays et les gens qui y habitent. À chaque escale, mon cœur crie : « Home » – un cœur que je sais définitivement planté là-bas.
Radia, Tyler
J’ai choisi de passer le dernier soir, seule, avec une copine. On va au resto. Vers 20 heures, elle vient me chercher. Mais elle a oublié quelque chose chez elle. On repart. Quand j’entre dans le salon de sa maison : SURPRISE. Big surprise. Je découvre tous mes amis – ils sont réunis sous une grande banderole : « WE’LL MISS YOU SUE ELLEN ». Tout le monde a signé. « Mes parents » sont de la partie, et mes frères, et ma nièce. Les larmes coulent – je n’en crois pas mes yeux.
La nuit est courte – pourtant je ne dors pas. Le lendemain, dans la voiture qui nous mène à l’aéroport, il y a beaucoup de tension, de stress. En arrivant, on apprend que l’avion a une heure de retard. Encore une heure ensemble : c’est la fête. Une heure plus tard, ce sont les larmes. Mon père craque. Je n’entends plus que des « Love ya » et des « Take care ».
Et me voilà dans l’avion. C’est là que s’achève mon rêve.
Au revoir Ramer, le Tennessee, les Etats-Unis.
Sue Ellen
J’ai encore mon collier de fleurs autour des épaules. J’ai quitté la maison à cinq heures du mat. Ma mère d’accueil avait les larmes aux yeux. Moi je n’ai pas pleuré – j’ai pensé à tout ce que j’avais construit, à mon implication dans la vie d’Hawaï, au fait que je me sentais bien. La veille au soir, j’avais savouré mon dernier « ahee », ce poisson local que mon père m’avait préparé avec le plus grand soin. Je préfère penser à tous les liens qui, au cours d’une vie, se font.
Ten months of learning so much, already gone.
Nicolas
Dernière heure, heure d’un premier bilan. Il est mi-figue, mi-raisin. Très bonne entente avec la famille, très moyenne intégration à l’école. Quand je regarde en arrière, je me dis que j’ai bien fait de partir mais que j’aurais dû partir ailleurs. Mais il est trop tard. Et puis j’ai fait de supers progrès en Allemand, et ça compte beaucoup pour moi. Et puis j’ai visité la Turquie, la Pologne, La République Tchèque et Munich et Berlin et Passau et Weimar. Je crois que j’aime l’Allemagne pour un an mais pas pour la vie.
Pierre
Je me réveille. Il est six heures. J’aimerais dormir un peu plus longtemps, mais je n’y arrive pas. Je reste allongée sur mon lit et contemple ma chambre pour la dernière fois. C’est le vide : rien sur les étagères, plus de photos, plus d’images. Mais c’est le plein dans ma tête.
À sept heures trente, je prends une douche, je descends, je vais dans la cuisine. « Good morning Jenny ». C’est ma mère d’accueil. Je sais qu’elle me fait la tête. J’y ai déjà eu droit les derniers jours. « We’re going to miss you Jenny, we just love you ».
Ma sœur descend à son tour. Elle me demande comme toujours : « Do you wanna go for a ride ? » Et nous voilà parties pour un petit tour dans la ville. La radio passe notre tube. Je ne peux pas me retenir, il faut que je pleure. On rentre et puis on repart. Cette fois-ci, c’est pour de bon.
Je dis au revoir aux chiens. Dans la voiture on rigole. En arrivant à l’aéroport, on pleure.
Je retrouve Katrin, une « exchange student » allemande avec laquelle j’ai eu une grosse dispute il y a quelques mois, et avec laquelle je m’entends si bien depuis quelques temps. Puis Jill arrive. Pour plaisanter, elle me dit qu’elle va se débarrasser de mon billet. Je souris. Elle me pose plein de questions du genre : « qu’est-ce que tu fais après l’aéroport ? » et « où veux-tu aller déjeuner ? ». Jill a été merveilleuse avec moi. Elle m’a aidée tant de fois – elle était là où peu de gens étaient. C’est au tour de Janelle d’arriver. Elle me donne une lettre et un cadre avec une photo de nous. Jannelle m’a accompagnée partout cette année – elle m’a fait découvrir tant de coins, tant de gens. Mes parents à leur tour me donnent une lettre. Je la glisse dans ma poche. Ils découvriront la mienne en rentrant à la maison – ils la trouveront dans la cuisine, juste à côté de l’évier. Nous ne nous disons rien, mais nous nous serrons fort. Joanna éclate en sanglots. Je me mets à pleurer autant qu’elle. Je me souviens de nos fous rires, de toutes les fois où, la nuit, nous avons nagé ensemble, des cafés où nous avons traîné (du « state dinner » surtout, car c’était mon préféré), des fêtes où nous sommes allés, des cours de maths, de nos « sleep over », des garçons que nous avons aimés, des bêtises que nous avons faites, des querelles que nous avons eues. Je pense à notre vie, celle de deux sœurs, durant toute une année.
On se sépare. Je leur tourne le dos. Pour moi ce sont eux qui s’éloignent. À travers le hublot, je devine leurs silhouettes. Ma vue est trouble – les larmes toujours -, mais je les reconnais grâce à leurs habits. Ils me disent au revoir, mais je sais qu’ils ne me voient plus. Il nous reste les lettres que nous lirons plus tard et qui nous feront encore pleurer. L’avion décolle. It’s over.
Jennifer
Je ne peux pas dormir, je suis trop excitée, trop confuse, impatiente et désespérée. Vous ne pouvez pas imaginer à quel point rentrer me semble inimaginable. J’ai passé une année tellement extraordinaire et j’ai accompli tellement de choses. Il y a dix mois, je me demandais ce que je faisais là – j’étais perdue, isolée, effrayée, timide – je ne comprenais pas un mot, je ne reconnaissais pas la nourriture. Et puis le temps a fait son œuvre, et puis la barrière de la langue a sauté. Je ne croyais pas les autres étudiants quand ils disaient avoir oublié leur français, mais la même chose m’est arrivée. Quand je téléphone en France, je garde mon dictionnaire à mes côtés. Maintenant j’ai deux langues, deux cultures, mes rêves sont bilingues. Tout cela est effrayant autant que magique.
Aujourd’hui tout le monde veut me garder – on me menace même de brûler mon passeport, et de me cacher quelque part dans la maison. On rigole… Mais le fait est que, dans trois jours, je suis dans l’avion.
Solange
Demain est mon dernier jour ! J’ai du mal à trouver mes mots et mes yeux me font mal. Et pourtant, malgré ce chagrin, ou plutôt « à cause de ce chagrin », je ne regrette absolument rien. Parce que j’ai vécu ici, grandi ici, parce que j’ai aimé, pleuré. Ce séjour est un merveilleux cadeau. Merci Papa, Maman, merci PIE, merci à tous ceux qui me l’ont offert. Et merci à moi-même, car, croyez-moi, rien ni personne ne peut vous offrir ce que vous n’êtes pas décidé à recevoir. C’était un peu fou de partir un an, mais la folie est parfois bonne conseillère.
Nathalie
Envie de tout rattraper en si peu de temps, de faire tout ce qu’il n’a pas été possible de faire. Voir et revoir tous ceux qui ont compté pendant l’année, leur dire « Good bye » – en espérant secrètement que les « Good bye » soient des « See you later » -, envie de faire un tour au Wall Mart du coin, d’aller une dernière fois au Taco Bell. C’est drôle, je m’aperçois que je suis presque nostalgique du Taco Bell, de ce lieu insignifiant avec sandwichs qui vous laissent un goût amer. Le bonheur de revoir la France est gâché par la tristesse de quitter les Etats-Unis. Mais rien n’arrête le cours du temps. France, prends garde à toi, me revoilà.
Agnès
Maintentant je réalise ce qui est important, et je comprends ce qui a compté pour moi durant toute cette expérience. Je mesure le chemin parcouru, je sais mieux qui je suis. Je ne suis pas différente de celle que j’étais l’an passé – je me suis simplement complétée. J’ai ajouté à mon puzzle la pièce qui manquait… Pour me trouver !
Radia
Article paru dans le journal Trois-Quatorze n°33