Un article pour décrire la France et décrypter son identité : tel est le défi qu’en tant que Français nous devions relever ! Gageure même, car si parler d’un pays éloigné et inconnu n’est pas simple, décrire sa maison et parler sereinement de soi et des siens devient un pensum ! 3.14 a choisi de s’appuyer sur un court sondage, adressé aux jeunes étrangers venus séjourner une année en France, pour livrer une vision très subjective de notre pays, et pour offrir une vague esquisse d’une terre bien-aimée, abritant un peuple aussi attirant que controversé.
En images (ci-dessous) ; 1°/ Paysages et monuments de France — 2°/ Fromages, vins et pâtisseries — 3°/ Ils ont fait l’histoire — 4°/ Dictionnaire de la langue française — 5°/ Personnalités françaises — 6°/ Bonnet d’âne — 7°/ Partition de “Douce France”, de Charles Trenet
EN GUISE D’INTRODUCTION
Cette petite histoire, qui circule en Amérique du Sud, en dit long sur notre pays, la France, et sur la façon dont les étrangers la perçoivent :
Un jour que Dieu s’ennuie, il confie à un ami son intention de créer une nouvelle planète, la Terre : « Je vais faire d’abord un grand pays qui possédera toutes les richesses possibles dans son sous-sol, mais pour équilibrer les choses, je ne mettrai à sa tête que des dirigeants autoritaires et sanguinaires… je l’appellerai la Russie ; plus à l’ouest, je ferai le pays le plus puissant au monde, mais il sera régulièrement dévasté par des tornades… je l’appellerai les États-Unis ; un autre tout en longueur, très élégant et très cultivé, mais sans cesse menacé par les tremblements de terre, le Japon ; un autre encore qui aura la plus grande et la plus prolifique forêt au monde, mais son peuple sera victime de grandes inégalités, le Brésil. Et Dieu de créer ainsi tous les pays, puis de conclure : “Et enfin je ferai un tout petit pays, charmant, aux paysages magnifiques et variés, au climat doux, aux richesses abondantes et à l’abri des misères de la nature, et il y fera bon vivre… et ce pays-là je l’appellerai LA FRANCE. Son ami de s’étonner : « Ce n’est pas juste, ce pays n’a que des atouts et des avantages. » Et Dieu de répondre : « Eh non, car je vais y mettre les Français ! »
Cette histoire pourrait n’être que distrayante, mais elle est aussi signifiante. Si elle nous touche, c’est qu’elle est à la fois explicite et moqueuse, et que tant sur la forme que sur le fond, elle en dit long sur notre pays. En un mot comme en cent, cette histoire semble viser juste ! Voyons plutôt :
PEUT-ON ENVISAGER UN PAYS PLUS CHARMANT QUE LA FRANCE… ?
… avec ses mers, ses vallons, ses bocages, ses forêts, ses chemins, ses monts ; avec ses côtes escarpées, ses plages plates et tout en longueur, ses larges plaines et ses petits chemins ; avec ses fleuves, ses fontaines, ses lacs, ses canaux, ses cascades et ses ruisseaux ; avec ses petites églises, ses cathédrales, ses enceintes, ses tours, ses marchés, ses gares, ses ponts, ses phares, ses ports, ses demeures, ses jardins ; avec sa Dame de Fer et sa Dame Gothique, son Mont, Blanc ou Saint-Michel, ses châteaux sur la Loire, son île toute de Beauté, sa dune du Pilat et sa Pointe du Raz, son Pic du Midi et son Puy-de-Dôme, son pont du Gard et son cirque de Navacelle, son Vieux Port et sa promenade pour les vieux Anglais, ses terres exotiques et lointaines, sa place des Vosges et son tout Paris…
Peut-on faire pays plus contrasté et plus varié surtout ? Sur un espace relativement étroit et confiné, une terre aux dimensions humaines, la France touche et goûte à tout : aux brises doucement glacées du Nord, aux chaleurs du Sud, aux souffles marins et alpins, à la moiteur des cités. À l’ouest, La France a les pieds dans l’eau, à l’est, elle grimpe ; au Nord, elle s’abrite du vent et de la pluie, au Sud, du soleil et du vent aussi. La France est bleue par ses mers, vertes par ses champs, rouge quand elle fleurit, jaune quand les blés mûrissent. Elle est plus « arc-en-ciel » que multicolore, car les spectres qui la composent se touchent, mais jamais au point d’altérer leurs franches couleurs et leur identité.
La France subit toutes les influences, mais sans excès. Comparée au reste du monde, l’Europe est douce, mais au cœur de cette Europe, la France est, de par sa nature, plus douce encore. Parce qu’elle est autant atlantique que méditerranéenne, autant campagnarde que montagnarde, autant urbaine que rurale, parisienne que provinciale, elle s’inscrit définitivement dans le tempéré. Elle profite, plus que tout autre, de la richesse des quatre saisons : des hivers fermes aux étés francs, en passant par de longs printemps et de tendres automnes qui la rendent subtile.
La France subit toutes les influences, mais sans excès. Comparée au reste du monde, l’Europe est douce, mais au cœur de cette Europe, la France est, de par sa nature, plus douce encore. […] Elle s’inscrit définitivement dans le tempéré…
Les jeunes étrangers qui ont appris à connaître notre pays, ne s’y trompent pas. Quand on les interroge sur les qualités premières de notre pays, beaucoup —alors même qu’ils n’ont séjourné en France ni en voyageur ni en touriste— évoquent la beauté de nos paysages… et la beauté de nos monuments aussi. Monuments qui s’intègrent à la terre comme s’ils en émanaient et qui semblent, de par le travail et l’usure du temps, relever du naturel autant que du culturel.
Mais si le pays marque et impressionne —au sens premier du terme— nos voyageurs, c’est justement avant tout par sa culture, accumulée au fil des siècles et qui s’est déposée en strates sur une terre propice à l’accueillir. À leurs yeux, quatre domaines émergent, lesquels vont nous guider comme quatre points cardinaux, ce qui ne manque pas d’être paradoxal quand il s’agit de visiter ou de rendre compte d’un hexagone.
LA GASTRONOMIE
La gastronomie tient la corde. On sait que le monde entier la place la aux tous premiers rangs de la hiérarchie mondiale. On ne peut qu’approuver car, sans dénigrer des cuisines aussi justement réputées que la chinoise, l’indienne, la libanaise, la japonaise, la péruvienne —et on en passe— on ne saurait nier l’extraordinaire richesse de la France quant à la diversité de l’offre culinaire. Certains pays auront l’art de se distinguer dans des domaines précis (qui le poisson, qui les pâtes, qui la charcuterie, les grillades, le pain, la bière, le vin ? etc.) quand la France se distinguera dans nombre de ces domaines, et en veillant à n’en négliger aucun. En France, dans le domaine culinaire, qualité rime avec variété.
Dans trois secteurs précisément, notre pays fait preuve d’une telle excellence qu’elle nourrit sa célébrité et sa notoriété globale ; à savoir, le vin, les fromages et la pâtisserie. Dans ces spécialités, si la France peut être en concurrence (notamment du côté de l’Italie), elle reste inégalable en termes de profondeur et de largeur.
On a entendu parler des trois cents fromages, qui sont autant de saveurs et d’odeurs —mais on sait que si l’on ajoute toutes les productions locales, on en dénombre bien plus— ; on dit qu’il y aurait plus de trois mille vins différents —et près de quatre cents appellations—, ce qui semble presque infini et ne laisse à aucun palais la possibilité de se lasser ; quant à la pâtisserie, on retient pour preuve de sa richesse et de sa variété, le fait qu’un Français connaisse trois à quatre cents noms de gâteaux quand un Anglais, par exemple, n’en connaît pas plus de vingt.
Bien au-delà de la qualité et de la quantité, on ne peut évoquer la question culinaire sans avancer le fait qu’en France, tout ce qui touche à la nourriture est central.
Bien au-delà de la qualité et de la quantité, on ne peut évoquer la question culinaire sans avancer le fait qu’en France, tout ce qui touche à la nourriture est central. Un Français place presque toujours la nourriture au cœur du jeu : il parle « bouffe » du matin au soir et, sur le sujet, est intarissable ; il collectionne les recettes et les livres gastronomiques, il se passionne pour des shows télé où on ne cesse de le faire rêver autour de plats qu’il ne goûtera jamais ; la table en France est par ailleurs une véritable institution, et le partage autour d’un verre ou d’un en-cas un moment précieux, voire crucial ; quant aux repas, ils rythment les journées d’un Français, parfois même les structurent et en orientent le contenu… au point de faire dire à un grand écrivain (Molière en l’occurrence) que c’est la bonne nourriture et non les belles paroles qui font vivre ! Un Français ne saute pas un repas, il se bat pour défendre ses spécialités régionales et les faire vivre ; il pourrait se vendre pour un cassoulet, un aligot, un Parmentier, un pot-au-feu, une raclette, une blanquette, une fondue, une omelette, un Saint-Honoré, une Tatin, un Camembert, un saucisson, un jambon, un croissant, une baguette… On sait que la liste est modulable. Elle est surtout interminable !
La France, à travers la Révolution et la “Déclaration des droits de l’homme”, s’est quelque part placée au centre de la réflexion autour de la vie et de l’esprit démocratique. Elle tire à juste titre fierté et notoriété de cette position qui perdure dans le temps.
L’HISTOIRE
39% de nos sondés considèrent que c’est l’Histoire de France qui détermine le mieux son identité. Il faut dire que cette histoire s’est construite sur la durée (près de deux millénaires) qu’elle a été façonnée par des siècles d’événements et d’influences diverses et a clairement fini par façonner à son tour le pays en définissant son caractère. La France naît dans la continuité d’une longue période de présence romaine en Gaule (d’autres diraient, « d’invasion » ou de « colonisation »), laquelle, bien que bousculée par des percées barbares (Germaniques, Francs et autres), a laissé des traces importantes et indélébiles dans notre vie et dans nos paysages. La romanisation des esprits a modelé notamment notre langue et nos structures et a assis les bases d’un État puissant.
La France moderne, qui naît en 498, au moment du baptême de Clovis (roi des Francs et unificateur), converti sur le tard au catholicisme, se consolidera en 843 sous l’impulsion de Charlemagne, puis se développera en plusieurs phases —qui sont autant de périodes de centralisation— autour de personnalités marquantes : Philippe Auguste, premier « Roi de France » qui, après Bouvines, fera de son royaume le plus puissant d’Occident ; Philippe le Bel, premier grand administrateur ; Jeanne d’Arc symbole de sursaut et de résistance ; Louis XI restaurateur de la monarchie ; Henri IV, père de la réconciliation et apôtre de la liberté de culte ; Louis XIV qui vint synthétiser le travail de ses prédécesseurs, tant comme chef militaire que comme monarque absolu ; Napoléon qui stabilisa les acquis de la révolution, réforma de fond en comble l’État, créa l’essentiel des institutions actuelles du pays, mais qui, au nom d’une unification de l’Europe, plongera cette dernière dans des guerres sans fin qui bouleverseront les frontières et auront des répercussions politiques, démographiques, militaires et sociales durables. Étrange figure que celle de ce jeune défenseur de la République qui devint Empereur et qui conduisit la France à la Restauration ! Charles de Gaulle, enfin, symbole lui aussi d’une forme de résistance, et dont le plus grand fait d’armes restera l’instauration d’une constitution des plus solides du XXe siècle, qui perdurera, renforcera le pouvoir exécutif et permettra de stabiliser le pays et ses institutions.
Si nos jeunes étudiants étrangers retiennent sans surprise les noms de Louis XIV et Napoléon, parmi les figures françaises, on remarque avec intérêt que c’est la Révolution de 1789 et les droits de l’homme qui, selon eux, symbolisent le mieux notre pays. Il faut dire que, par-delà ses paradoxales dérives largement sanguinaires et autoritaires, la Révolution française a diffusé les principes républicains et démocratiques de liberté et d’égalité —et de fraternité dans une moindre mesure—et a inspiré, à travers la déclaration de 1789, les mouvements nationalistes et, de façon plus large, la reconnaissance des droits de l’homme dans le monde entier.
Malgré les controverses qui entourent la Révolution française et la remise en question —liée aujourd’hui notamment à l’impuissance de l’universalisme— la France, à travers cet événement, s’est quelque part placée au centre de la réflexion autour de la vie et de l’esprit démocratique. Elle tire à juste titre fierté et notoriété de cette position qui perdure dans le temps.
LA LANGUE
De façon peut-être un peu plus surprenante, la langue française est, aux yeux des étudiants d’échange, un symbole important de notre pays. Il faut dire, qu’en dépit de notre petite taille (mais en raison de notre passé colonial), notre langue, avec ses 300 millions de francophones, est à la fois :
> la 5e langue la plus parlée au monde ; elle est donc un véhicule majeur de notre culture, tant en philosophie qu’en musique et en littérature, et, à ce titre, elle a joué un rôle important dans la diffusion des idées ;
> un outil de diplomatie tant politique que culturelle, renforçant l’influence du pays à travers des institutions internationales telle que l’ONU, la Francophonie, les JO, etc. ;
> une langue importante dans les affaires et le commerce, en particulier dans les secteurs tels que le tourisme, la mode, la gastronomie et la technologie, autant de domaines où la France excelle.
La langue française est difficile d’accès, c’est vrai, mais elle est belle ! Ressemblerait-elle au pays ?
La langue française a forgé la France et a fixé son unité. Au fil des siècles, elle s’est imposée —et a été imposée— à l’ensemble du pays, à travers un processus historique de centralisation politique, d’essor culturel, d’éducation et d’affirmation de l’identité nationale. N’oublions pas que l’article 2 de la constitution française nous dit que « La langue de la République est le français », et que la Constitution européenne reconnaît le français comme seule et unique langue officielle de notre pays (NDLR : la France est la seule dans ce cas, avec la Grèce !). Notre langue tient d’ailleurs une place tout à fait privilégiée au sein de certaines instances de l’Union. Il faut savoir que cette valorisation totale du français s’est faite, depuis plus de cinq siècles, au service de l’unité, mais au prix d’une quasi disparition —pour ne pas dire liquidation— des autres langues de l’hexagone, la France jetant ses bébés régionaux avec l’eau du bain national. Ainsi le breton, l’alsacien, le basque, l’occitan, et dans une moindre mesure le corse, disparurent petit à petit du quotidien et du paysage.
Le français s’est imposé également dans le monde entier par le biais de la colonisation et d’une forme d’éducation des élites locales, via le commerce, la migration et la création de diasporas.
Langue romane, issue du latin, le français est complexe, tant au niveau phonétique qu’au niveau grammatical. Avec ses genres, ses accords, ses liaisons, ses conjugaisons, sa richesse lexicale, son usage abusif de la négation double, son orthographe obscure, c’est une langue qui fait tout pour se faire remarquer. Quand on demande aux étrangers ce qui est difficile à maîtriser dans notre langue, la plupart répondent : « Tout ! » C’est d’autant plus vrai qu’en français l’exception fait la règle. Et on verra que le citoyen se plaît d’ailleurs à imiter son langage !
La langue française est difficile d’accès, c’est vrai, mais elle est belle ! Ressemblerait-elle au pays ?Belle en effet, et riche tout autant. On en veut pour preuve ces quelques lignes, qu’on isole et qu’on choisit avec impuissance et subjectivité, comme on le ferait avec six grains de sable pour décrire la beauté du désert :
« Le jour n’est pas plus pur que le fond de mon cœur. » (Racine)
« Les grelots des troupeaux palpitaient vaguement, une immense bonté tombait du firmament. » (Hugo)
« Sois sage, Oh ma douleur, et tiens-toi plus tranquille. » (Baudelaire)
« Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie. » (Pascal)
« Le souvenir d’une certaine image n’est que le regret d’un certain instant ; et les maisons, les routes, les avenues, sont fugitives, hélas ! Comme les années ! » (Proust)
« Passons, passons, puisque tout passe… » (Apollinaire)
Les étrangers qui, comme nos étudiants d’échange, ont pris le temps d’apprendre notre langue et notre pays reconnaissent la puissance du français et ce qu’il a produit de sublime : de Ronsard à Proust en passant par Molière, La Fontaine, Racine, Hugo, Stendhal, Flaubert, Apollinaire, Rimbaud, Char, Aragon… et tant d’autres. C’est vrai pour la littérature et la poésie, c’est vrai tout autant pour la philosophie, car de Montaigne à Camus en passant par Descartes, Pascal, Montesquieu, Rousseau, Tocqueville, Bergson, Sartre, etc., les penseurs ne manquent pas non plus ! Notre langue, c’est certain, a produit du remarquable en quantité.
Et ce que notre langue a fait pour l’oral et l’écrit, notre pays l’a fait par d’autres biais, via la peinture, la musique, l’architecture, la danse.
Dans le concert mondial, la France, à l’évidence joue bien sa partition. Mais est-elle pour autant au centre du jeu ? Certainement pas ! Et c’est là que le bât blesse.
LES PERSONNALITÉS
Au-delà de la langue, il est vrai que la France, eu égard à sa taille, a donné naissance à nombre de talents qui sont autant de personnalités marquantes et influentes. Certains d’entre eux ont changé la donne mondiale. Proust, et à un moindre degré Céline, ont pénétré et influencé la littérature mondiale. Poussin, Chardin, Ingres, Géricault, Delacroix, Cézanne, Monet, Braque, Léger… ont modelé nos regards. Pascal, Pasteur et Curie ont fait faire des bonds à la science ; Papin, Ader, les frères Montgolfier et Lumière à la technique ; la notoriété de Jeanne d’Arc, de Louis XIV ou de Napoléon a largement dépassé le petit cadre de la France. Olympe de Gouges (chantre de la fin de l’esclavagisme et de l’égalité des sexes), Colmar (inventeur de la machine à Calculer), Moreno (de la carte à puce), Appert (de la boîte de conserve), Bourseul (pionnier du téléphone) ou Michaux (du vélo) ou Cugnot (de la voiture), Delabost (qui mit au point la douche), ou encore Laënnec (le stéthoscope), ou Guérin (le pansement), ou Braille (qui créa le braille) ou Cadolle (le soutien-gorge)… tous, bien que moins célèbres que les premiers cités, n’en ont pas moins marqué l’histoire en révolutionnant la vie au quotidien.
L’EXCEPTION CULTURELLE !
Dans le concert mondial, la France, à l’évidence, joue bien sa partition. Mais est-elle pour autant au centre du jeu ? Certainement pas ! Et c’est là que le bât blesse. Car les Français, dans leur ensemble, sont persuadés du contraire. Ils se plaisent par exemple à cultiver l’idée « d’exception culturelle », au point même d’en faire un concept purement français, sans penser un seul instant que tous les pays ou presque pourraient revendiquer cette spécificité. Tous, à commencer par nos voisins européens, ont des génies. Pour n’évoquer que la seule littérature, on citera Dante en Italie, Shakespeare en Angleterre, Joyce en Irlande, Nietzsche en Allemagne, Cervantes en Espagne, Kafka en république Tchèque, etc. ! Il y a donc bien une exception culturelle italienne, allemande, anglaise… et de la même façon, et à n’en pas douter, une exception américaine, chinoise, japonaise, sud-africaine… Impossible de les citer toutes. Or le peuple français se convainc sans complexe qu’il est à part, unique dans son genre, et qu’il constitue une exceptionnelle exception. Il en tire une forme de supériorité, qu’il cultive allègrement et qui le fait passer aux yeux du monde, pour un peuple « légèrement » prétentieux lequel se place volontiers au centre de la création.
Et nous voilà revenu à notre histoire première. Le Français gâcherait-il sa nature si belle en se croyant si beau ? En un sens oui, car toute prétention mal placée conçoit de grands projets et accouche de petitesses avec excès.
On se demande parfois si la réputation des Français de mal recevoir les étrangers dans la rue, les gares ou les aéroports, de mal les servir dans les cafés, de proposer une cuisine bien loin de sa réputation dans les restaurants, n’est pas tout simplement le fruit de cette prétention. Car celui qui se voit trop grand a du mal à se résoudre à tout donner à celui qu’il juge moins important.
« On se voit grand, dirait Pascal, et on se sait misérable ! » S’ensuit cette forme de complexe de supériorité qui vire —en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire— à une forme de complexe d’infériorité, laquelle pourrait bien expliquer ce travers français au dénigrement permanent, au pessimisme, cette tendance à toujours prévoir le pire (sans vraiment l’anticiper), à râler dès que quelque chose ne fonctionne pas (ce qui est relativement courant), à minimiser la grandeur des autres, à déprimer et à angoisser (nous sommes les leaders mondiaux en termes de consommation d’anxiolytiques !), à tenter sans succès de nous valoriser, à dire « Non » pour un oui ou pour un… à faire d’autant plus le beau qu’on est ridicule. Coluche disait à juste titre du coq, notre emblème national, qu’il était le seul animal “à chanter quand il avait les pieds dans la merde”. L’immense comique et le génial fou du roi qu’il était nous caractérisait ainsi avec pas mal de justesse, et c’est d’ailleurs ainsi que nous caractérise globalement le monde extérieur.
Nos sondés sont catégoriques sur ce point : ils parlent presque tous de la prétention française, du Français râleur, du Français mécontent et même « méchant » (c’est le premier défaut qu’ils lui trouvent), du Français qui ergote sans cesse, qui ajoute un « mais… » quand on lui avance un bon argument, qui contredit sans cesse, qui se joue des règles, qui biaise toujours et qui ment souvent.
Là où la chose devient paradoxale et intéressante c’est que, dans le même temps, le Français a une aptitude certaine à se moquer de sa propre petitesse, une faculté à l’autocritique et à l’auto-dérision. La littérature française la plus officielle (de la Fontaine à Saint-Simon en passant par La Bruyère ou Malraux) sait par exemple être rétive, incrédule, voire résistante. En bon et vrai cartésien qu’il est, le Français peut tout remettre en doute —y compris lui-même—, mais il ne vous laissera pas le faire à sa place. Il ne reconnaîtra ses faiblesses qu’en se cachant derrière un humour dont il ne manque pas et dont il saura, si besoin, largement user à ses dépens. Cette attitude paradoxale le rend complexe et difficile à déchiffrer pour un étranger, lequel prendra sa faiblesse pour une force corrosive et son esprit critique ou son mauvais esprit pour de l’orgueil et du mépris.
FAILLES ET CONTRADICTIONS
Étrange pays que le nôtre, qui cultive donc d’immenses contradictions. Capable tout au long de son histoire du meilleur comme du pire. Novateur en bien des domaines —berceau, on l’a vu, des Lumières, des Droits de l’Homme, de l’abolition des privilèges et de l’esclavage, chantre de la laïcité, de la séparation de l’Église et de l’État, défenseur d’un certain savoir-vivre— mais attardé voire rétrograde, sur d’autres sujets : vote des femmes, inégalité de genre, politique éducative, rigidité administrative… pour ne parler que du XXe siècle !
Un sujet précis vient souligner cette dichotomie française : en 1791, la France fut la première nation à reconnaître formellement le droit de citoyenneté aux Juifs et à leur accorder par décret les mêmes droits civiques qu’aux autres citoyens. Véritable révolution mondiale, à l’origine de la sentence « Heureux comme un Juif en France » et, qui permit, entre autres, aux Juifs d’accéder, aux rangs et aux honneurs de l’administration française. Ce fut le cas un siècle plus tard d’un certain capitaine Dreyfus, lequel fut pourtant victime d’un véritable complot qui scinda le pays en deux clans ennemis, symboles tous deux d’un conflit intérieur typiquement français. Le combat pour la justice fut gagné par les Dreyfusards, mais le combat contre l’antisémitisme largement perdu, puisque le débat fut loin d’être clos et parce que, quelques décennies plus tard, l’État français allait s’engluer dans une Collaboration immonde dont les Juifs furent les premières victimes. Le paradoxe perdure aujourd’hui encore, dans la mesure où, alors même que notre petit hexagone se place au deuxième rang mondial en termes de diaspora juive (derrière les États-Unis) —manifestant par là-même un esprit d’ouverture—, l’antisémitisme, bien que souvent dénoncé, y resurgit en force au premier prétexte.
Nos cadres, nos dirigeants, nos ministres eux-mêmes, n’hésitaient pas, il y a à peine dix ans, à considérer l’école française comme « la meilleure école au monde », niant en cela les enquêtes, les recherches, les évaluations, les classements…
Malgré son discours et ses efforts pour promouvoir l’égalité et la justice sociale, la France, parce qu’elle refuse souvent de faire face au réel et qu’elle adore s’arc-bouter sur des positions purement idéologiques, continue de cultiver des inégalités importantes en matière de revenus, d’accès aux soins de santé, d’éducation, d’opportunités économiques pour certains groupes de population (notamment immigrés et notamment d’Afrique, et plus particulièrement d’Afrique du Nord). Historiquement la France est adepte de phases d’immobilisme et de révolutions, petites ou grandes. Elle aime vivre sur le passé, avec autant de paresse que de nostalgie, jusqu’à ce que le système sature et casse. Elle entre alors dans des périodes de déconstruction aussi inévitables —et parfois bénéfiques— que ravageuses.
L’École, sujet crucial, est peut-être le meilleur exemple de ces atermoiements typiquement hexagonaux. Elle a longtemps, et jusqu’il y a peu, été considérée par les Français dans leur ensemble comme un sujet de grande fierté. Nos cadres, nos dirigeants, nos ministres eux-mêmes, n’hésitaient pas, il y a à peine dix ans, à la considérer comme « la meilleure école au monde », niant en cela les enquêtes, les recherches, les évaluations, les classements. La France, préférant casser le thermomètre que de voir monter la fièvre, s’arc-bouta —et elle le fait encore— sur des grands principes. Elle s’enfonça, et s’enfonce aujourd’hui encore, dans un débat totalement stérile entre la défense d’une école égalitaire et la défense d’une école du passé. Les partisans de l’immobilisme, se cantonnent au principe d’égalité, et nient le fait que le système qu’ils défendent —et qui coûte très cher— produit de plus en plus d’inégalités et laisse de plus en plus d’enfants sur le bord de la route. Quant à ceux qui revendiquent un retour à une école du passé, ils le font au nom de principes peut-être républicains, mais en aucun cas démocratiques, car si l’excellence a eu cours, elle n’a jamais touché qu’une frange infime de la population. Il faut savoir que l’école de Jules Ferry était bâtie sur le principe des écoles militaires mises en place par Napoléon au XIXe et que les bases sur lesquelles on l’a construite s’avèrent obsolètes, non seulement parce que les mœurs changent, mais parce qu’on veut, et on se doit, d’éduquer aujourd’hui, non pas seulement une élite, mais le plus grand nombre. N’oublions pas qu’en 1930, 3% seulement des élèves dépassaient le certificat d’études et 2% seulement obtenaient le baccalauréat… ! et combien de femmes parmi eux ?
Tous les jeunes étrangers qui sont venus étudier un an au lycée français insistent sur un point précis : les journées trop chargées pour les élèves, le nombre d’heures de cours excessif, le temps passé à écouter passivement bien trop élevé. S’ensuit une fatigue importante. L’élève français, nous disent les étrangers, est globalement soumis à une grosse pression : planning quotidien et hebdomadaire, compétition, manque de sport, manque de pratiques artistiques…
Il est temps que la France cesse de se regarder le nombril et qu’elle s’inspire en profondeur de ce qui fonctionne ailleurs —en Finlande ou en Corée par exemple—, qu’elle tienne compte des acquis des sciences cognitives en matière pédagogique, qu’elle intègre le fait que la note n’est ni la seule ni la meilleure des évaluations, que l’excès de stress nuit à l’apprentissage, que les tensions extrêmes sont contreproductives, que discipline et bien-être ne s’opposent pas, que ne s’opposent pas non plus équilibre de vie et intégration des acquis, que respect et bonnes relations entre professeurs et élèves ne sont pas antinomiques, que copier apprend à regarder, que réciter par cœur a du bon, que chanter en chœur apporte de la cohésion, que dessiner vous oblige à observer, etc, etc.
L’image du mammouth, qui a tant fait hurler les adeptes de l’immobilisme, symbolise une triste réalité. Il est donc temps également de décentraliser pour de bon, de redonner du pouvoir aux écoles, aux responsables des établissements scolaires, aux professeurs surtout ! Il est temps de laisser agir localement. Ce sera la seule et unique façon d’appliquer tous les remèdes salvateurs. Mais que le chemin paraît escarpé et long ! Sans vraie réforme, il y aura c’est certain une révolution !
RETOUR AU BEAU PAYS
Ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain. Tout dans notre système scolaire n’est pas à proscrire, loin de là. On sait que notre école remplit bien les têtes, qu’elle insiste sur les acquis, sur les savoirs. Pour que nous, Français, ressemblions bien à des Français, elle nous apprend surtout à disserter, autrement dit à argumenter et à contredire, à commenter aussi. Nous en tirons notre savoir-faire ou plutôt notre savoir-dire.
Finissons-en avec notre petite histoire… et ne soyons pas, au final, trop durs avec nous-mêmes. La France reste la 7e puissance économique mondiale, elle est stratégiquement vivace, elle est internationalement entendue, et même si elle est moquée, elle est écoutée ; notre petit hexagone est le pays le plus visité au monde, et certainement un des plus cotés. Il cultive un certain savoir-vivre, symbolisé, on l’a vu, par sa beauté (nature et culture), sa gastronomie, son passé, la capacité de ses habitants à résister à une certaine mainmise de la modernité. Tous nos sondés mettent en évidence un point précis mais crucial : la France sait « prendre son temps » profiter de la vie, jouir des beautés qui l’entourent, cultiver l’amitié et le rire, adopter face à la vie une « certaine attitude »… que le monde nous envie. « Douce France », nous dit la chanson…
La France diffuse également quelque chose de particulier, qui a sans doute à voir avec son universalité. Car si l’on doit mettre une qualité en évidence, c’est la capacité de notre pays, à avoir, tout au long de son histoire et de son développement, su assimiler les cultures, su s’enrichir des contacts et se nourrir des événements extérieurs… qu’ils soient heureux ou sombres. Sur un substrat gaulois, tribal, guerrier —composé de petites tribus libres et indépendantes, mais vite submergées de toutes parts par des invasions structurantes—, s’est construit petit à petit un peuple fort et finalement uni qui, de par sa position géographique et son ouverture à tous les vents, n’a cessé d’être touché par des vagues extérieures puissantes et pénétrantes. La France, contrairement à d’autres, n’a jamais superposé les « envahisseurs » ; elle a su habilement les mêler, les digérer, les assimiler. Elle les a francisés, longtemps christianisés, et les a engloutis dans un grand tout. Il est amusant de noter qu’elle s’est même approprié certains étrangers, en les considérant sans complexe —et pour la bonne raison qu’ils étaient francophones et qu’ils avaient du talent— comme Français. On pense à Rousseau, et, pour ne parler que du siècle passé, à Picasso, Soutine, Brel, Stromae, Hergé, Simenon, Godart, Yourcenar, Magritte, Charlebois, Ventura, etc.
La solution de la fermeture, de la digue ou du mur, est une illusion, car elle est à la fois impossible à mettre en place et contre nature. La France quand elle s’est orientée vers une tolérance éclairée a été grande.
La France aime avaler et assimiler. C’est une force indéniable. Mais maintenant que le monde est devenu plat, sans obstacle infranchissable, elle a du mal à le faire. Pourquoi ? Parce qu’elle se sent envahie ? La mondialisation, qui s’accélère à vitesse grand V, la confronte donc à un immense défi. La solution de la fermeture, de la digue ou du mur, est une illusion, car elle est à la fois impossible à mettre en place et contre nature. Car la France quand elle s’est orientée vers une tolérance éclairée a été grande.
FRANCE TERRE D’ACCUEIL
Oui, on le répète, plus la France a accueilli en assimilant, plus elle s’est grandie. A contrario, à chaque fois qu’elle a choisi de se fermer, elle a rétréci et s’est appauvrie. Les facteurs qui expliquent les difficultés actuelles de non assimilation sont nombreux et connus : échec des politiques d’immigration et d’intégration, absence de maîtrise des flux migratoires, discriminations, identité culturelle trop forte, rejet de certaines valeurs, puissance du communautarisme, tensions internationales… Les solutions quant à elles ne sautent pas aux yeux.
Notre petite histoire nous raconte quand même quelque chose. Quelque chose qui touche, on l’a vu, à une forme de complexe de supériorité… ou d’infériorité. Complexe que nous cultivons, sûrement inconsciemment, que nous tentons de soigner par l’humour, et qui s’apaise à chaque fois que nous permettons aux étrangers de nous questionner, de nous aider à nous connaître, de façon collective et interindivuelle.
Car ce n’est au final ni notre langue, ni nos fromages, ni nos monuments, ni nos origines ethniques qui définissent notre pays. Comme toute nation, la France ne s’est construite et ne survit que sur un désir de vivre ensemble : désir mutuel, désir partagé… lequel est toujours mis en danger, parfois par de vraies menaces, souvent par de faux discours, basés sur des enfermements idéologiques ou des fantasmes. Notons à ce propos que notre pays a su, de façon particulièrement originale, mettre en avant le concept de fraternité, au point de l’inscrire dans sa devise nationale et d’en faire un des piliers de son unité ! Ernest Renan parlait de la nation comme d’un “Plébiscite de tous les jours”, une sorte d’accord tacite en faveur d’une volonté de vivre une expérience commune, de partager des projets et des habitudes. C’est ce que nous expérimentons tous les jours à PIE à travers l’accueil de jeunes étrangers ; accueil qui n’est possible que si des familles hôtes font preuve d’hospitalité, sans idéaliser ni diaboliser l’hôte, et que si des jeunes étranger manifestent au quotidien leur désir de s’intégrer. Que si les uns et les autres choisissent justement de partager l’exceptionnel et le quotidien.
Chaque fois que nous invitons de jeunes étrangers à partager en profondeur notre pays et notre vie, nous élargissons le chemin du bien-vivre et du bien-être… Bien-vivre et bien-être dans ce qui, pour notre bonheur, est —ad Vitam Eternam, on l’espère— un bien beau petit pays… Un bien beau petit pays qu’on appelle LA FRANCE. “DOUCE FRANCE”… quand elle le veut bien !
Légendes des mosaïques (ci-dessus) :
1 – Paysages et monuments de France : la Tour Eiffel, Sous-bois d’une forêt tempérée, le Château de Versailles, La dune du Pilat, paysage de Provence, Notre-Dame de Paris, le Mont-Blanc, le Château de Chenonceau, le Pont du Gard, le Mont-Saint-Michel, la Pyramide du Louvre, village de Bourgogne, La Promenade des Anglais, un marché d’Aix-en-Provence, Etretat, Lille
3 – Ils ont fait l’histoire : Vercingétorix, Clovis, Philippe Auguste, Jeanne d’Arc, Henri IV, Louis XIV, Robespierre, Napoléon, La liberté guidant le peuple, Clémenceau, de Gaulle
5 – Personnalités françaises et francophones : Montaigne, Rabelais, Catherine de Medicis, Ronsard, De la Tour, Pascal, Richelieu, Molière, Racine, Rameau, Lully, Madame de la Fayette, La Fontaine, Chardin, Olympe de Gouges, Diderot, Voltaire, Rousseau, Danton, Talleyrand, Ingres, Balzac, Hugo, Bizet, Géricault, Stendhal, Berlioz, Delacroix, Baudelaire, Manet, Flaubert, Rimbaud, Pasteur, Ader, Sand, Monnet, Cézanne, Péguy, Apollinaire, les Frères Lumière, Colette, Curie, Bergson, Debussy, Gaugin, Proust, Weill, Baker, Céline, Simon, Simenon, Arletty, Renoir, Jouvet, Soutine, Moulin, Malraux, Trenet, Saint-Exupéry, Char, Gabin, Camus, Kessel, Sartre, de Beauvoir, Anquetil et Poulidor, Picasso, Cerdan, Piaf, Gary, Mimoun, Jankélévitch, Sedar Senghor, Brassens, Bardot, Delon, Brel, Veil, Bresson, Mitterrand, Yourcenar, Badinter, Legrand, Barbara, Godard, Truffaut, Signoret, Melville, Deneuve, Platini, Coluche, Pérec, Pialat, Girard, Duras, Zidane, Manaudou, Houellebecq, Stromae, Mbappé
Article Paru dans le e-314 n°59