Trois Quatorze a choisi d’observer à la loupe le moral des participants aux séjours de longue durée. Le journal a mené une enquête qui porte sur le premier mois en terre étrangère. Cette observation nous permet de mieux comprendre le processus d’intégration et de tirer des enseignements quant aux attitudes à adopter pour mieux s’adapter à l’étranger.
> Pendant un mois, une fois par jour, les participants au programme ont estimé leur moral et l’ont noté sur une base de 1 à 10, à partir du barème suivant : 1 à 2 – très mauvais – 3 à 4 – mauvais – 5 à 6 – moyen – 7 à 8 – bon – 9 à 10 – excellent. Ils pouvaient s’ils le désiraient associer à la note un bref commentaire explicatif.
> Sur les 200 participants au programme d’une année scolaire à l’étranger, plus d’une centaine ont été sollicités (en réalité tous ceux qui ont participé au stage de préparation). 50 ont joué le jeu en se prêtant avec rigueur et ponctualité à l’exercice (soit 25 % du nombre total de participants). Chaque soir, ils ont attribué une note à leur moral et, au terme du premier mois, ils ont communiqué leurs notes et leurs commentaires à la rédaction.
> Ces données, assorties de commentaires, sont représentatives et parlantes, autant par les constantes qui se dégagent (courbe moyenne et courbe la plus fréquente) que par les variables (courbes atypiques).
Quelques généralités
> « Avoir » ou « ne pas avoir le moral » est une notion si subjective – il est clair en effet que confronté au même événement, un participant notera 2 pendant qu’un autre notera 8 ! – qu’il peut paraître curieux d’établir une courbe moyenne du moral des participants. C’est en effet plutôt la façon dont évolue chaque courbe qui semble fournir des informations exploitables. Il n’en reste pas moins vrai que cette courbe, parce qu’elle minimise et isole les cas particuliers, donne une bonne information sur « le moral des troupes ».
> On observe que sur les 31 jours que dure l’expérience, le « moral moyen » des participants est bon ou excellent (note supérieure à 6) pendant 29 journées, et excellent pendant 10 journées. On note, avec attention et amusement, que le jour où la courbe moyenne est au plus bas (5,2 sur 10) est le jour de l’arrivée au stage, donc l’avant-veille du départ. On en conclut que c’est plus l’attente et la peur de l’inconnu qui perturbent les adolescents que l’expérience en ellemême. On note également que la majorité des courbes sont ascendantes. On peut donc affirmer objectivement que partir un an à l’étranger est globalement « bon pour le moral ».
> L’analyse détaillée des résultats nous prouve que la destination choisie (USA, Canada, Italie, Allemagne…) semble n’avoir aucune incidence sur le moral proprement dit. Aucun pays ne vous protège du coup de blues, aucun pays a contrario ne vous condamne d’emblée à avoir « le moral dans les chaussettes ».
> Si la moyenne générale est élevée, la courbe reste accidentée. Le moral n’est donc pas toujours au beau fixe. On note de légères variations sur la courbe moyenne et des variations flagrantes sur la plupart des courbes (ces variations n’ayant pas toujours lieu au même moment, elles ont naturellement tendance à s’annuler sur la courbe moyenne). À la lecture des commentaires, il semble que l’année à l’étranger exacerbe les sensations et les sentiments. C’est du moins ainsi que l’on comprend cette remarque : « Ici, ce qui est particulier, c’est que mon moral peut changer du jour au lendemain. Et ça, c’est dur ! ». Pour la plupart, la tendance est donc au grand écart, mais pour certains (une dizaine en fait) elle est plutôt à la grande stabilité (les notes fluctuent alors entre 9 et 10, voir courbe la plus haute).
Moral d’acier & moral à zéro. Quand et pourquoi ?
À observer l’ensemble des courbes, certaines évidences se dégagent :
> L’avant-veille du départ est une journée plutôt difficile pour l’ensemble des participants. Les adieux sont souvent pénibles, l’inquiétude est grande. La grande majorité regarde en arrière et se tourne donc vers ceux qu’elle quitte (notes variant alors de 1 à 5). Une petite minorité se tourne au contraire vers ce qui l’attend (note de 8 à 10).
> La veille du départ (jour du stage) c’est plutôt l’inverse qui se produit. Excitation et curiosité l’emportent, les participants se soutiennent mutuellement : les courbes remontent brutalement (voir une courbe type – page de droite).
> Le jour du départ, deux cas se présentent. Soit c’est la fatigue qui l’emporte (la note baisse) soit c’est la curiosité (la note est alors au top). « Il est temps d’y aller », nous dit l’un, « Je suis nase et stressé », nous dit un autre.
> Le premier jour en terre étrangère est le plus souvent pénible : c’est le choc de l’arrivée, la perte des repères (qu’accompagne généralement un fort sentiment de nostalgie), la confrontation avec la famille et l’environnement (pour le meilleur et pour le pire). « Le premier jour, j’ai énormément pleuré, seule dans ma chambre. Je me suis demandé ce qui m’était passé par la tête pour avoir voulu faire un truc pareil. »
> À partir de là, les choses vont en s’améliorant. Sur la grande majorité des courbes, on note une ascension nette et régulière. Dans leur majorité, les participants entrent alors dans une nouvelle phase, celle que les sociologues ont coutume d’appeler « la lune de miel ». «Maintenant tout roule – mon mot d’ordre désormais, c’est : “ Enjoy ! ” »
> On remarque que 40% des participants vont enregistrer un petit tassement de leur moral dans le courant de la deuxième semaine et 30% dans le courant de la troisième. Détail surprenant : 18 % des participants vont tomber malades à la même époque, entre le 19è et le 23è jour exactement, enregistrant du même coup une baisse très nette de leur moral !
> Les commentaires nous en disent long sur les causes des fluctuations. On peut les ranger en cinq catégories :
- Problème de compréhension : cette participante dont la note passe en une journée de 5 à 8 accompagne sa note d’un commentaire qui en dit long sur l’importance de la question de la langue : «Hier, je ne comprenais rien. Aujourd’hui, je comprends un peu. Ça fait du bien ! » Le problème de compréhension dépasse parfois le problème purement linguistique : « Je ne comprends rien à ce que je vis », nous dit un participant. Mais cette impression peut s’accompagner soit d’une hausse soit d’une baisse du moral « C’est flippant », nous dit l’un. » « C’est super comme ça, je me laisse aller ! », nous dit un autre, plus zen.
- Adaptation à la famille d’accueil : ceux qui s’entendent immédiatement avec leur famille d’accueil, voient leur moral grimper très vite. Pour les autres la courbe est plus fluctuante.
- Isolement et ennui : une chute sur la courbe s’accompagne souvent d’un commentaire du type « soudain, je me suis sentie seule » ou « la solitude me guette » – la courbe en pointillés est de ce point de vue significative. Dès qu’elle s’ennuie, cette participante n’hésite pas à noter sa journée d’un 1 ou même d’un 0. Dès qu’elle s’active (« aujourd’hui, j’ai fait beaucoup de choses »), la note remonte à 7 ou 8. Un fait se dégage avec évidence : sitôt qu’un participant va vers les autres, dialogue avec eux et s’engage dans des activités, il se porte mieux. « J’ai fait des rencontres extras », équivaut à un 8 ou à un 9, « I’m in love », à un 10 (« voire plus ! »). À l’opposé, le repli sur soi est dramatique : c’est la chute garantie. La nostalgie s’avère être également une mauvaise compagne. Aussitôt qu’un participant se tourne vers la France – mais il est impossible de ne pas le faire par instant – le moral en prend un coup et la courbe s’affaisse.
- Mauvaises nouvelles de France : « J’ai eu mon père à l’hôpital, ça ne va pas trop » – « J’ai appris la mort de mon grand-père » – « Aujourd’hui on enterrait un proche »… Les mauvaises nouvelles en provenance de France sont dures à encaisser, la distance accentuant sans doute leur effet négatif. Mais, de façon plus générale encore, on s’aperçoit que les communications avec la France (même si elles ne s’accompagnent pas de mauvaises nouvelles) sont synonymes de baisse du moral (parfois de 5 à 6 points) : « J’attends un mail, ça me stresse ! » – « Je me suis engueulé avec ma mère naturelle » – « D’entendre mes proches, ça m’a abattu ! » . Un simple coup de fil peut valoir une chute d’un point ou deux sur la courbe. Il équivaut rarement à une hausse.
- État physique : coup de barre, fatigue et maladie jouent directement sur le moral. Les courbes illustrent parfaitement le dicton : « Quand la santé va, tout va.
Des cas particuliers
> Au rayon des cas particuliers, on s’intéressera à la courbe de R. dont le moral fluctue uniquement en fonction des résultats de son équipe de foot américain et de ses performances individuelles au sein de son équipe. Une défaite ou un mauvais « kick » le fait passer de 10 à 6, une victoire ou un 5/5 au « kick » lui assure un « moral de fer ». De façon moins anecdotique, on remarque que les résultats scolaires influent aussi sur le moral : « J’ai eu un super résultat à mon devoir » équivaut par exemple à un saut de 4 à 8. C’est dire qu’« il en faut peu parfois pour être heureux » !
En guise de conclusion
> On conclura après observation de ces courbes et après écoute des commentaires qui les accompagnent, que si le projet de « partir une année » est prometteur en matière de moral, il ne protège nullement un adolescent des difficultés de la vie ordinaire (difficultés scolaires, difficultés sentimentales, ennui). À l’opposé, on se gardera de faire de cette année d’exception une sorte de bouc émissaire – on admettra en effet qu’une année « à la maison » est ponctuée elle aussi de baisses et de hausses du moral, et que « ne pas partir un an » ne garantit aucun bien-être et aucune stabilité dans ce domaine.
> Il ne faut pas perdre de vue que nous nous sommes attachés à l’observation du premier mois d’une expérience qui en compte 10. Mais ce mois clé quant à l’intégration est sans conteste crucial, dans la mesure où il colore bien souvent l’ensemble du séjour. Nous prolongerons l’expérience et observerons, dans un prochain numéro, l’évolution du moral entre le deuxième mois et le dizième.
Article paru dans le journal Trois-Quatorze n°42