J’en ai rêvé

Rêve

Rêve (Illustration : Jose Maria Gonzalez)

Entre juillet et aôut prochain, ils seront près de cent-cinquante adolescents à partir vivre toute une année scolaire à l’étranger. Autant de départs autant de rêves… Des rêves sombres parfois, parfois légers, des rêves souvent chargés d’espoirs et de craintes, qui nous sont ici rapportés et/ou commentés par leurs auteurs.

COMMUNICATION

Katiane (destination : USA) — Je rêve que je suis dans une file d’attente d’une boulangerie. Et je vois à l’extérieur de la file, ma meilleure amie qui me parle dans le langage des sourds. Elle m’a beaucoup énervée.
Martin (USA) — J’étais dans la rue. Un ami est accouru en pleurant. Il m’a dit qu’il allait mourir car il ne parlait pas coréen !
Florence (USA) — Je revenais de mon année aux etats-Unis. Ma mère m’a demandé de lui raconter mon séjour, et j’avais tout oublié, et quand j’ai passé mon oral d’anglais, j’étais incapable de sortir un mot.
Perrine (USA) — Je suis aux états-Unis et les gens me parlent dans une langue bizarre… alors j’en frappe un que je n’aime pas.
Eloha (USA) — Je me retrouve aux US, je parle espagnol et personne ne me comprend.
Audren (USA) — On ne parle qu’en français, et je ne comprends rien.
Perrine (USA) — J’ai rêvé que je descendais une allée sur mon cheval et que je discutais avec lui.

Je me souviens avec précision que je me suis surprise à discuter tranquillement avec le cheval. Et en même temps, cela ne m’étonnait pas […] L’allée est importante. C’était tranquille. On se promenait. […] En quelle langue, je parlais ? aucune idée […] Ce que l’on s’est dit : vraiment, je ne sais pas, mais je sais que l’on se parlait […] Non, je ne vois aucun rapport avec mon année […] Ah oui, l’idée de parvenir à s’exprimer dans un langage inconnu ? Oui pourquoi pas ?

PARTIR OU NE PAS PARTIR…

Élise (USA) — Aux résultats du bac, il n’y a pas mon nom sur les listes. Sans le bac, je ne partirai donc pas. Alors, c’est la panique.
Noémie (USA) — Je rêve que j’ai une famille d’accueil. Et puis je me réveille… sans famille. C’est horrible.
Maud (USA) — Je débarque dans une famille française, et on refuse de me parler anglais.
Justine (Japon) — Je suis dans une gare rouge. Dans le train, il y a un Japonais : c’est mon grand -père d’accueil. Pour me faire plaisir il me fait de la cuisine française. Tout à coup, je pête un plomb et j’exige qu’il me fasse des sushis.
Hélène (USA) — Mon lycée américain ressemble en tout point à mon lycée français, sauf qu’il y a des membres de ma famille française.
Céline (USA) — Je suis à l’aéroport, de retour des US. mes parents sont là. ils m’annoncent une mauvaise nouvelle… Mais je ne sais pas quelle est la mauvaise nouvelle.
Marie (USA) — J’arrive dans ma famille et je découvre que tout le monde parle le français. Je rentre dans le salon, et je vois ma copine. Il y a là tous les gens que je connais. On est tous tombés dans la même famille.
Mahaut (USA) — Ma « High School », ressemble en tout point à mon lycée français. Il y a les mêmes profs et les mêmes élèves. C’est horrible.
Justine (USA) — J’ai rêvé que ma famille d’accueil habitait dans un aéroport, et du coup, à mon arrivée, quand je me suis dirigée vers la sortie, ma famille d’accueil m’a arrêtée et m’a dit que c’est là que je passerai mon année.

Je suis bloquée, c’est clair… J’ai peut-être peur de ne pas avoir de famille […] Oui, c’est vrai, j’ai vu le film “Terminal”, mais il y a longtemps […] Je dois préciser que leur maison était vraiment dans l’aéroport. Je faisais ma petite vie là-dedans pendant toute une semaine. Après, je ne sais pas, le rêve s’est coupé. […] De ma maison dans l’aéroport, je voyais les gens passer […] C’est vrai qu’il y a sous-jacente l’idée que je me balade entre l’envie de partir et celle de rester […] Est-ce que j’aimerais vivre dans un aéroport : pas vraiment, non.. Mais s’il n’y a que cela comme possibilité de partir, je n’hésite pas… Je préfère ça à l’idée de ne pas partir !

IDENTITÉ— PERTE

Tiffany (USA) — Je rêve que je mange tellement de hamburgers que je ne peux plus rentrer dans ma robe de « Prom » !
Timothée (USA) — Je rêve que je dors avec d’autres moi !
Ken (USA) — Je me perds dans une forêt. Elle grande et profonde.
Justine (USA) — J’arrive en Amé-rique et je ne trouve jamais ma famille d’accueil. Jamais.
Edwige (USA) — J’arrive à l’aéroport, ma famille est super bof ! Alors je reprends l’avion et je me retrouve en Russie.
Vincent (USA) — Premier jour de « High school » : je me retrouve dans les couloirs sans pantalon.
Vincent (USA) — Je reviens de mon séjour et je ne connais plus personne.
Anna (USA) — à mon retour, tous mes amis ont 30 ans. Ils sont mariés et ils ont tous des enfants.
Andrea (USA) — Je suis perdue au milieu du néant. Ma famille habite sur l’Everest, et l’Everest est en Alaska. il neige tout le temps. Je ne peux plus aller à l’école. Dans ma famille — qui est d’ailleurs supercool — il y a Axelle, qui travaille à PIE.
Lucie (USA) — Je marche dans la rue, et je peux m’acheter tout ce que je veux. Tout à coup, je m’aperçois dans une vitrine. Je vois mon reflet mais ce n’est pas moi. C’est un autre corps totalement différent du mien. Panique.

La ville était énorme. Je faisais tout ce que je voulais… Et puis soudain, c’est moi et c’est pas moi que je vois dans la glace. En fait c’est moi, mais c’est pas mon corps. J’étais blonde, j’avais les cheveux courts […] Ce mélange est bizarre c’est vrai : dans un premier temps, être très à l’aise, et, au final, ne pas se reconnaître […] L’idée de se perdre, de disparaître […] Oui, j’ai envie de changer, d’aller de l’avant, de bouger, mais c’est quand même un peu angoissant. Je veux et je veux pas.

Aurore (USA) — Je rêve qu’un de mes amis est mort.

Là, c’est les autres qui disparaissent. […] On ne me reconnait plus. Mon monde n’est plus le mien. […] L’ami du rêve c’est un mélange de tout le monde, de tous mes amis, garçons et filles […] J’ai un groupe d’amis, on est très soudés… et il va se passer tellement de choses en un an. […] J’ai peur du retour. J’ai peur qu’on m’oublie […] ça m’angoisse bien plus que le départ. […] Il y a aussi autre chose en parrallèle… mais je ne veux pas en parler.

EXOTISME

Melchior (Canada) — J’ai bu cinq litres de sirop d’érable.
Anthéa (Japon) — Je suis en haut de la tour de Tokyo. Je peux voir le nord du Japon, et le sud et l’est et l’ouest. Au loin, je vois toutes les frontières.

EXPLOITS…

Antoine (USA) — Dans mon rêve, je chevauchais dans les grandes plaines, on chassait les bisons, puis on les mangait avec ma famille d’adoption !
Aymeric (USA) — Je suis au Madison Square Garden : je marque 3 points, à 5 minutes de la fin en finale du championnat de « High School »… et dans la foulée, je rejoins le Celtic de Paul Pierce.
Charlotte (USA) — Je deviens championne de rodéo.

STARS

Meg (USA) — J’ai rêvé que j’étais dans une tasse en porcelaine et que je voguais sur une rivière avec Juno (Ellen Page).
Robin (USA) — Je fais du ski avec Alex Turner, le leader des Arctic Monkeys. On fait 400 kilomètres. Mais Alex est pris dans une avalanche.
Thomas (USA) — Je suis camisolé dans une pièce sans porte ni fenêtre avec Céline Dion qui chante « Titanic », en boucle, et à la fin, je chante avec elle.
Raphaëlle (USA) — Je rencontre Gloria Gaynor et elle me dit : « I will survive. »
Julien (USA) — J’incarne Gollum, du Seigneur des anneaux.
Marion (USA) — J’ai rêvé qu’il m’arrivait exactement les mêmes choses qu’à Cendrillon !
Ugo (USA) — Je tombais dans la famille de Koby Briant (des Lakers).

PEURS

Antoine (USA) — Mon avion vole vers Kansas City, et il explose au-dessus de l’Atlantique. Ce rêve revient souvent.
Zoé (Australie) — à mon arrivée, mon avion s’écrase en Australie.
Laure (USA) — Ma famille d’accueil parle français et je n’arrive pas à les comprendre. Le fils aîné est un policier qui fait des cambriolages, enfermé dans sa chambre noire, au sous-sol. Et après, toute la famille m’en veut. Ils m’emmènent dans un bateau à voile dans une crique pour me jeter à l’eau et me noyer.
Nicolas (Australie) — Je me fais bouffer par un requin et mordre par un serpent.
Lena (USA) — Je joue Carrie dans le remake du film.
Marion (USA) — J’étais à Jurrassik Park. On était poursuivis par des dinosaures. J’ai refait le même rêve quelques temps plus tard. Comme je connaissais l’histoire, on a réussi à s’en sortir et à survivre.
Margot (USA) — Je me fais courser par un grizzli.
Kelly (USA) — Un ours attaque mon lycée.

L’ours passait et plein de gens criaient […] Un rapport avec “Ele-phant”… peut-être… j’y avais pas pensé. Et c’est vrai que le film m’avait fait un peu peur. Mais je me dis que statistiquement j’ai quand même peu de chances […] Et puis les ours c’est mignon aussi […] Je me dis que je suis un peu folle […]

FANTASMES

Jordan (USA) — Je sors avec une fille trop canon.
Fanny (USA) — Je vais au lycée. Il y a écrit French sur mon front. J’ai une longue cape bleu, blanc, rouge. Tout le monde danse autour de moi. C’est super agréable… et, là, le réveil sonne.
Benjamin (USA) — Je rencontre une jolie américaine, je me marie et je reste là-bas.
Nicolas (USA) — Je fais une attaque kamikaze sur Michelle Obama, avec un vélo ailé.
Céline (USA) — Je me retrouve dans le lycée des frères Scott et je tombe amoureuse de Lucas.
Marine (USA) — Je me fais kidnapper.
Mathilde (USA) — Je suis « Pompom girl » et je sors avec le Quaterback.
Marie (Australie) — Je danse avec un kangourou et je surfe avec de beaux australiens.
Benoît (USA) — Je me marie avec ma soeur d’accueil.
Maud (Corée)— Je me suis invitée sous le parapluie d’un inconnu.

On ne voyait rien, il faisait sombre, mais l’ambiance n’était pas sombre, pas noire, pas glauque. C’est juste qu’il pleuvait beaucoup… La mousson… […] Je devine quelqu’un sous le parapluie, mais je ne le vois pas, il n’a pas de visage distinct […] Je vais sous le parapluie. C’est moi qui m’invite […] Certains me disent que le parapluie c’est ma maison d’accueil. […] Oui c’est vrai, ça pourrait aussi être la Corée […] L’inconnu c’est… l’inconnu… Et moi je me lance. Je ne suis pas timide, non. […] Une envie de rencontre ? […] Sans doute, oui. […] Un côté comédie musicale ? Peut-être aussi.

PARENTS

Victor (USA) — Une fille de ma classe était enceinte d’un père inconnu. Elle a accouché le jour où tout le monde s’en est rendu compte. On l’a accompagnée chez sa tante. Elle est arrivée avec un bébé très moche. Tout le monde voulait le prendre dans ses bras. Moi, quand je l’ai pris, j’ai failli le faire tomber.
Faustine (USA) — Je tombais en pleine montagne dans une sorte d’auberge, chez un paysan. Mon père, qui n’avait pas voulu me laisser partir, se trouvait là aussi, avec moi. Plus tard, au lycée, j’ai demandé de l’aide pour ouvrir mon casier, et, quand on a réussi à l’ouvrir, j’ai trouvé ma mère qui dormait dedans.
Dans l’auberge où je vivais, il y avait souvent des avalanches (ils appelaient ça des anges de plomb) et on devait courir jusqu’en bas pour y échapper.

Ce n’est qu’un bout du rêve […] Je me souviens aussi que c’était sombre. Ma mère était endormie dans le casier […] Comme si elle m’avait suivie jusque-là. […] Oui, elle était repliée de dos, un peu en position foetale. […] C’est sûr qu’il y a mes deux parents dans cette histoire. […] Et c’est sûr que mes deux parents sont super stressés que je parte. Mon père surtout […] Oui, je le vois bien m’accompagner le plus loin possible. […] L’ange et le plomb ? Je ne sais pas comment interpréter ça, mais il est certain que ce nom que l’on donnait aux avalanches (“ les anges de plomb ”) m’a marquée. Je me rappelle qu’il fallait fuir, s’échapper.

MAIS AUSSI…

Etienne (USA) — Je tombe de cinq étages et je me brise une jambe. Je me souviens que ça pique un peu.
Claire (USA) — Toute ma famille française part avec moi, et on se retrouve tous dans ma famille d’accueil. On mange, dans une grande cuisine sans éclairage, du pain d’épices et des « Curly ». Je vais chercher le journal et quand je reviens, il y a des bougies allumées.
Etienne (Canada) — Je suis pousuivi par un américain obèse qui veut me faire manger ses pancakes. Je me réveille au moment où il me plaque par terre en me menaçant avec sa fourchette.

La veille, j’avais vu Zorro. Et le gros, — oui, le sergent Garcia, c’est ça — il m’a fait penser à un Canadien […] Et la veille aussi, j’avais mangé des crêpes… […] Crêpes… sirop d’érable… pancake… Canada… […] Partir, c’est quand même manger beaucoup, non ? Partir, c’est dévorer non ? […] C’est peut-être ça, mais c’est peut-être autre chose. Finalement, ce n’est qu’un rêve, non ? […] Et il est drôle le gros dans Zorro, non ?

Article paru dans le journal Trois-Quatorze n°49