EXTRAIT DU BLOG D’ALEXANDRE — Journal d’une adaptation
Alexandre, Bungador, Victoria
Partir une année scolaire en Australie
AOÛT — Lundi 8 — Me voilà enfin arrivé dans la famille, sur mon nouveau continent. Tout a changé ou disparu. Huit heures de décalage horaire, je ne connais plus personne et je ne comprends plus rien. « Où suis-je ? » et « Que fais-je ici ? » sont les questions qui me viennent à l’esprit ces premiers jours. C’est l’hiver, il fait froid dehors. Rien aux alentours à part vaches, moutons, cochons, oiseaux. La nature est différente. La famille de cinq enfants m’a très bien accueilli. Les enfants sont gentils et attentionnés. Les parents travaillent à la ferme la journée pendant que les enfants étudient à trente kilomètres. À mon arrivée, ils m’ont annoncé qu’il n’y avait pas de wifi. J’ai aussi pu observer que le réseau téléphonique ne passe pas. Comment communiquer avec mes proches. Pourquoi ai-je choisi de quitter pour dix mois ma famille, mes amis, ma vie que j’aimais tant en France ? Le soir de mon arrivée, avant de m’endormir, je n’arrêtais pas de pleurer. Pleurer, le matin en me réveillant aussi. Je compte les jours, les heures et les minutes… Ma famille me manque déjà énormément, mes amis aussi, ma maison, mon lit, mes habitudes, la routine quoi ! Tout cela me manque déjà ! De savoir que je suis loin de tout, loin de mon pays, sans réseau ni wifi à la maison pour communiquer avec la France est impensable. J’ai déjà envie de rentrer et de retrouver les êtres qui me sont chers. Mais non Alexandre : je dois m’adapter, évoluer et apprendre. Je me pose toutes les questions du monde pour savoir comment je vais tenir le coup, 10 mois là-bas ! Je n’arrête pas de pleurer en cachette, je regarde mon téléphone pour voir une barre de réseaux s’afficher afin que je puisse seulement entendre la voix de ma maman, mon papa… rien ! Je dois me faire à l’idée de vivre sans être auprès d’eux ni leur parler tous les jours.
Mercredi 10 — C’était mon premier jour au « College », je suis dans la classe 11 A. Les élèves m’ont accueilli chaleureusement. Pendant les heures de cours, les professeurs ont pris le temps de parler avec moi. Ils sont très gentils. En Australie, les cours sont si différents de la France: la relation prof-élève, le travail, les horaires, l’organisation… J’ai même eu droit aux Jeux Olympiques de Rio à la télé en cours de Business Management.
Jeudi 11 — Il n’y a pas qu’en « Business » que je regarde les JO de Rio, mais dans tous les cours : c’est très amusant ! À la ferme, je découvre peu à peu la passion du père pour son métier: nourrir les animaux, rassembler un troupeau… C’est très intéressant et nouveau pour moi.
Samedi 13 — Voilà le weekend : en me levant, je pleure ; à la douche je pleure; je n’ai pas arrêté de pleurer ce samedi matin. Je repense à la France : la famille, les amis et les activités que j’aurais pu faire. En fin de matinée, je suis allé chez les grands-parents paternels qui habitent à 500 mètres à vol d’oiseau. J’ai assisté dans un premier temps au découpage du cochon qu’ils avaient tué le mardi. C’est très intéressant. Après j’ai passé un long moment à découvrir les nombreuses passions de la Grand-mère. Son jardin et ses créations sont splendides. En fin d’après-midi, je suis allé avec mon père d’accueil pour nourrir tous les veaux, préparer les champs pour le lendemain et soigner une vache malade. Puis il m’a expliqué le fonctionnement de la production de lait. En fin de journée à la tombée de la nuit, il m’a emmené devant un champ qui se trouvait derrière une forêt et j’ai pu y observer pour la première fois de ma vie un troupeau de kangourous. Grand moment d’émotion que j’ai partagé avec mon père d’accueil.
Dimanche 14 — J’ai passé la matinée avec mon père d’accueil, il m’a fait découvrir son métier, qui n’est pas un métier mais une vie. Être producteur de lait, c’est un job à plein temps. Les animaux sont comme les hommes, ils ont besoin de manger et boire. Il faut donc les nourrir chaque jour, les déplacer chaque jour dans des champs différents pour avoir à nouveau de la bonne herbe, les redéplacer pour les traire ou encore s’occuper des nouveaux-nés avec attention. Je ne peux écrire la totalité des choses à faire dans une ferme tellement il y en a ! Ce n’est pas facile tous les jours, mais pour mon père d’accueil, c’est une passion. Il faut savoir qu’à ses 18 ans, il a acheté un grand terrain et une vieille maison, pour y construire petit à petit sa ferme.
Lundi 15 — Les cours ont repris, le blues aussi, la routine s’installe. Il faut que j’arrive à m’intégrer au collège mais ce n’est pas facile quand on ne comprend rien. Seul point positif, j’ai du succès auprès des filles. Les profs me disent qu’elles parlent toutes de moi en cours. Ma sœur d’accueil me dit la même chose : voilà une bonne nouvelle !
Mercredi 16 — J’ai assisté à la représentation de la comédie musicale faite par les élèves du collège. Sincèrement, c’était super : on aurait dit des professionnels, alors qu’ils ont mon âge et étudient avec moi en cours. Une telle mise en scène : les danses, les chants, les lumières, la musique… magnifique.
Semaine 3 — Lundi — Je passe la journée à aider avec passion et attention mon père à la ferme. Ça y est, je commence à bien comprendre le job. Le matin tôt : traite des vaches, disposition des bottes de foin pour la nourriture. L’après-midi préparation des prairies pour la nuit et le jour suivant, puis, en fin de journée, traite de nouveau des vaches. Il faut aussi déplacer et redéplacer les troupeaux durant la journée, s’occuper des veaux et des taureaux. Me voila pris dans le feu de l’action, à crier ou siffler pour rassembler le troupeau, à préparer et traire 16 vaches en même temps, ou encore à prendre petit à petit des initiatives. Mais voilà que la nuit tombe, je n’ai point vu le temps passer.
En ce qui me concerne, le moral va de mieux en mieux, il m’arrive bien sûr d’avoir des moments de tristesse. Ainsi la question qui me revient souvent est : ça passe vite 10 mois ?
Après trois semaines, je ne peux qu’approuver ce que m’a dit ma grand-mère maternelle : « Tu sais, sans connexion internet, on peut vivre, on regarde davantage la nature et on est plus à l’écoute des autres. » Eh bien oui, je partage beaucoup plus de choses avec ma famille. Dans les moments de blues, comme je ne peux pas aller sur les réseaux sociaux, je décide d’apporter mon aide à la ferme et je pense que c’est plus convivial et plus intéressant que de rester des heures devant un écran. J’apprends de nouvelles choses et vis la passion de mon père d’Australie. C’est une vie plus humaine et plus relationnelle.
SEPTEMBRE — Je remercie particulièrement mes parents pour cette aventure : après 4 semaines sur ce continent, je découvre la chance que j’ai d’avoir une superbe famille d’accueil qui partage ses passions et son métier avec moi. La chance de découvrir la scolarité à l’autre bout du monde, la chance de me faire de nouveaux amis. Je vis et partage cette nouvelle vie si différente. Je commence à être heureux dans ce grand pays. Je profite de l’instant présent en me laissant guider par la découverte et la différence. Je suis fier de vivre cette expérience. Et ce n’est que le début…
Lundi soir — Dans quelques heures, ce sera la rentrée des classes en France. Je n’y serai pas. Ma classe et mes amis me manquent énormément : c’est la première fois de ma vie que cela me fait pleurer. C’est plutôt rigolo. Ma famille d’Australie me console en me disant que quand je reviendrai, l’amitié sera encore plus forte. Je ne peux pas rester dans la maison à ne rien faire sinon je pleure, alors je pars pour aller traire les vaches avec mon père et ma mère australiens.
Me voilà chaque jour plus autonome, plus investi : j’ai troqué, pour 10 mois, le tablier de viticulteur pour les bottes et la chemise à carreaux.
Je passe de très bons moments avec ma famille. Mais je ne peux m’empêcher durant les moments de solitude de penser à la France. C’est étrange comme je repense à des moments, des habitudes, des sons, des odeurs qui me paraissaient banals en France. Mais ces petites banalités me manquent et il me tarde de les retrouver. Bref, arrêtons de déprimer, ce n’est pas en restant sur mon ordinateur à décrire mes peines que cela va aller mieux. Je dois aller de l’avant et éviter de m’isoler.
En cours, je comprends de mieux en mieux. Les élèves sont toujours très gentils et attentionnés. Mais l’école m’intéresse peu. Alors en rentrant des cours, je me rends tous les soirs à la traite des vaches pour aider mes parents. Au lieu de rester à ne rien faire à la maison, j’enfile mes bottes et ma chemise à carreaux pour aller au contact de la nature et des animaux. Ce n’est pas facile tous les soirs, la fatigue s’installe mais je continue car c’est une expérience et une chance. Je me dis que c’est exceptionnel d’aller traire les vaches après les cours.
Ma nouvelle vie est juste un bonheur. Mon anglais ne cesse de s’améliorer. Cette expérience est incroyable. Je n’aurais jamais pensé m’investir autant et avec autant de passion à la ferme. Je ne veux pas en faire mon métier, loin de là, mais je pense que c’est une vraie opportunité de découvrir tout ça. Je pense qu’en rentrant en France, lorsque je boirai du lait, je vais me rappeler qu’on ne le produit pas en claquant des doigts.
Et je souhaite dire aux jeunes qui veulent partir à l’étranger, que l’on peut tomber dans un lieu lointain et un mode de vie exotique, un monde que l’on ne choisit pas, et que c’est une chance. C’est une chance d’apprendre un métier, une chance d’apprendre un mode de vie. Je ne remercierai jamais assez les organismes qui préparent à cette expérience et, bien sûr, je ne remercierai jamais assez mes parents qui ont investi dans ce voyage pour mon éducation scolaire et mon éducation « à la vie », la vie de tous les jours. Il me reste seulement six mois maintenant, je n’ai plus besoin de compter les jours. J’ai juste à faire en sorte que chaque jour compte !
Article paru dans le Trois Quatorze n° 57