Aurore, participante au programme d’une année scolaire au Japon, a choisi après les événements qui ont frappé le Japon, de poursuivre son expérience dans son pays d’accueil. Elle revient sur ce qui a motivé cette décision.
Trois Quatorze — Tu as choisi, après les événements du Japon — et avec l’accord de tes parents bien sûr — de rester sur place. Est-ce que ton entourage a compris ta décision ?
Aurore — Mon entourage japonais ne s’est même pas vraiment posé la question. Mais en France, c’est vrai, on m’a prise pour une folle. Pour les Français, le Japon c’est un seul bloc, et tout le monde a été touché, mais je vis à Nagoya, à près de 600 kms de la zone touchée par le tsunami (et de la centrale de Fukujima). Je pense donc que, vu l’endroit où j’habite, il n’y a pas de raison de rentrer.
Trois Quatorze — Tu n’as jamais hésité ?
Aurore — Si bien sûr : la semaine qui a suivi le tremblement de terre, la question s’est posée. On en a tous parlé, avec l’organisme japonais, PIE, mes parents, la famille d’accueil… Je sais qu’au début on regardait avec attention la météo. Je dois dire que si j’avais écouté les voix de la France et tous les commentaires sur « Facebook », j’aurais aussitôt plié bagage. Mais le calme sur place contrastait totalement avec l’affolement français, alors dans la mesure où mes parents naturels sont restés eux aussi très calmes, j’ai pu relativiser et agir en fonction des informations et de ce que je ressentais sur place. Mes parents m’ont dit que j’étais la plus apte à juger. Ils ont fait confiance à moi-même et à ma famille d’accueil.
Trois Quatorze — Quel est l’argument qui a fait pencher la balance du côté « je reste » ?
Aurore — La raison principale, je le répète, c’est l’endroit où j’habitais. Il faut savoir que beaucoup de Japonais touchés par le tsunami et ses conséquences sont venus se réfugier à Nagoya ! Après, ce qui m’a poussée à rester c’est que je suis bien où je suis. Je n’aurais peut être pas dit la même chose il y a six mois. Mais là, j’ai fait tellement d’efforts pour m’intégrer, pour trouver mon équilibre, mon petit rythme, que je me voyais mal repartir. Je suis bien installée, complètement dans mon élément, comme chez moi.
Trois Quatorze — Tu as raisonné en Japonaise en fait ? Tu n’avais pas plus de raisons de repartir en France qu’un Japonais de quitter le Japon ?
Aurore — C’est exactement ça. En fait, je crois que je suis attachée au Japon… Oui peut-être comme un Japonais peut y être attaché : je comprends tout, je parle avec tout le monde, j’ai mes amis, une famille… je sors… je vais à l’école… je vis quoi ! Oui, c’est cela : j’ai réagi comme la Japonaise que je suis devenue.
Trois Quatorze — Qu’est-ce qui t’a inquiétée le plus : le tremblement de terre ou les risques nucléaires ?
Aurore — Avant de venir, je savais que le Japon était un pays à haut risque sismique. J’ai donc pensé que je devais assumer cet aspect-là. J’avais choisi de venir au Japon, en toute connaissance de cause, et comme je n’ai pas été atteinte directement (au sens où ni moi ni mon entourage n’avons été blessés et où rien autour de nous n’avait été détruit) je n’avais pas de raison de ne pas rester.
Trois Quatorze — Tu n’as pas ressenti le tremblement de terre ?
Aurore — Oh que si. J’étais toute seule chez moi ! J’ai été surprise par la longueur plus que par l’intensité. Ça faisait peur quand même. Mais comme ma mère d’accueil — qui avait subi le tremblement de terre de Kobé — m’avait énormément parlé de tout ça et préparée, je n’ai pas paniqué. Et puis, là encore, nous étions assez loin de l’épicentre. Par contre en voyant les images et tout ce qui a suivi, j’ai réalisé l’ampleur du truc et c’était plus stressant.
Trois Quatorze — Et qu’en est-il du danger nucléaire ?
Aurore — La première semaine, on en parlait beaucoup. Mais il faut bien comprendre qu’il y a une énorme différence entre Nagoya et le Nord du pays, et même entre Nagoya et Tokyo. Je sais qu’à Tokyo, il y a eu des restrictions, que les gens ont fait des réserves et que certains ont eu (ou ont encore) peur, mais, ici pas du tout. Ici, la vie a continué tout à fait normalement. Vu de France, on avait l’impression que tout le Japon était contaminé (et l’effet était renforcé parce que c’est une île, et parce que le phénomène est invisible) ! Vous savez, dès qu’une information circule, via la télévision, la presse ou la radio, on imagine beaucoup de choses et comme on est loin, on met tout le monde dans le même sac. Mais ici, on se sent très loin de la zone dangereuse. Les Japonais font preuve de beaucoup de solidarité et de compassion vis-à-vis de leurs compatriotes qui ont été touchés, mais pour autant ils ne se sentent pas tous atteints directement. Pour eux, la vie suit son cours.
Trois Quatorze — Est-ce qu’au Japon on parle encore beaucoup du risque nucléaire, car ici, en France, cela ne fait plus du tout la une de l’actualité ?
Aurore — Non c’est pareil au Japon. C’est comme s’il fallait aller de l’avant. De toute façon, ils sont hyper calmes par rapport à tout ça. À ce niveau, la différence de mentalité avec la France joue à plein. Ce qui m’a frappée pendant toute cette affaire, c’est qu’ils ont vraiment réagi en Japonais. Calme et solidarité : c’est cela qui a prévalu. Aujourd’hui, les Japonais participent financièrement, ils font du bénévolat, ils se restreignent, ils aident partout où ils peuvent. Tout le monde fait un effort. « Un pour tous, tous pour un », pourrait être la devise du Japon.
Trois Quatorze — Tu parlais tout à l’heure de difficultés à t’intégrer en début de séjour. Des difficultés de quelles sortes ?
Aurore — Tout ce qu’il y a de plus classique : galérer pour se faire sa place, pour comprendre, pour décortiquer tout ce qu’il y a de nouveau, rencontrer des gens, prendre ses marques, ses repères… C’est un vrai boulot de trouver le bon rythme, d’atteindre une sorte de plénitude, d’apothéose. Et je suis arrivée à atteindre cet état-là. Alors repartir comme ça d’un seul coup, ça aurait été trop dur. Et puis j’aurais eu l’impression d’abandonner tout le monde. J’ai eu la chance, c’est vrai, d’être loin de la région dangereuse, du coup j’ai eu un délai, un temps de réflexion pour ne pas succomber à la panique. C’est peut-être ça qui m’a permis de rester.
Aurore Bellay
Née le 22 avril 1992 à Chamonix
2010-2011 : une année scolaire à Nagoya, au Japon