Feuilleton pas très réaliste de PIE – 4e épisode – Poisson d’avril
Au bureau de PIE, tous ceux qui travaillent sont très sérieux. Mais, en même temps, ils ont chacun des petits défauts. Presque rien, rassurez-vous, mais des petits défauts quand même.
Françoise, par exemple, a repris ses études. Elle étudie en cours du soir, la grammaire, la poésie et tout ça. Etudier, en soi, c’est pas méchant, mais on sait jamais sur quoi ça débouche… Récemment on en a parlé sérieusement avec tous les autres et on était tous d’accord. Tant qu’elle étudie ça va, mais on a peur qu’elle se mette à écrire des poèmes.
Laurent, le chef, il est plutôt sympa. Mais quand quelque chose ne va pas, il devient vraiment terrible. Il tape du pied, il devient tout blanc et il rappelle le règlement. Il nous fait vraiment peur Laurent. Catherine, la nouvelle, est très gentille. Mais comme elle vient d’apprendre l’ordinateur, elle a tendance à nous casser les pieds avec ça. Elle emploie des termes techniques incompréhensibles, mais sinon elle est plutôt gentille.
Il y a aussi Laura, qui joue très mal au base-ball – Caroline qui a peur des souris et qui a vraiment des réactions bizarres – et Pascal qu’est toujours content, car comme il est un peu sourd, il entend pas quand on se moque de lui.
Le Ier avril, on s’est bien marré. Laurent, le chef, est arrivé de bonne humeur. Il a dit que cette année on pouvait faire des blagues drôles et qu’on pouvait se moquer, à condition qu’on se moque pas de lui. ‘C’est normal’, il a dit, ‘puisque c’est moi qui décide’. Alors il a décidé de faire une blague à Laura et une blague à Françoise.
A ce moment là, Pascal, celui qui est sourd et qui est rigolo, a commencé à courir de travers dans le bureau. On l’a tous regardé bizarrement. Laurent a cru qu’il était malade. Il a appelé sa femme qui est américaine et qui est aussi infirmière. Elle lui a dit un truc très compliqué en anglais. Laurent qui est plutôt doué pour les langues est devenu tout blanc . On a pensé que sa femme lui avait dit que c’était contagieux et on a tous cru qu’il allait commencer lui aussi à courir de travers. Mais quand Pascal s’est arrêté, Laurent a compris qu’en fait Pascal était pas malade et que c’était tout simplement sa façon à lui de montrer qu’il était super content. Dans ces cas là, il se met à marcher très vite, mais comme il boîte il a tendance à partir de travers. Et sa raison d’être content c’est qu’on allait faire des blagues drôles et qu’en plus d’être marrant ça serait une bonne excuse pour pas bosser. On en a conclu que les études d’infirmière étaient pas géniales mais on a décidé de ne pas le dire à la femme de Laurent car c’est quand même la femme du patron. On a eu peur qu’il l’apprenne et qu’il nous rappelle le règlement. Tout le monde alors s’est mis à discuter et ça faisait un peu fouillis dans le bureau. Alors Catherine a commencé à s’impatienter. Elle a dit que si ça continuait, elle participerait pas aux blagues car elle avait vraiment autre chose à faire. Elle a dit qu’elle devait se pencher sur son ordinateur en silicium et cliquer la souris sur les icônes. Et comme elle a dit le mot souris très fort, Caroline qui a eu très peur s’est mise à hurler très fort. Alors il a fallu que Laurent calme tout le monde et quand tout est rentré dans l’ordre on a pu commencer à s’amuser.
A ce moment là, Laura, la nouvelle attachée de presse, est arrivée. Elle était plutôt de bon poil. C’était déjà un avantage. Dans son courrier, on lui avait glissé un faux fax.
Ce fax était sensé venir de TF1. L’assistant de Poivre d’Arvor demandait à Laura de le contacter car il envisageait de réaliser un reportage sur PIE pour le journal de 20 heures. Laura a lu le fax calmement . On avait l’impression qu’elle en recevait des comme ça tous les jours. Une vrai pro. Mais en même temps on sentait bien qu’elle était fière intérieurement En tout cas elle y croyait. On allait bien rigoler. Rien qu’à y penser, Pascal s’est mis à courir carrément en diagonale. J’ai cru qu’il allait tomber dans l’escalier.
Après on s’est arrangé pour faire croire à Laura qu’elle avait un rendez-vous à 15 heures avec l’assistant en question. A midi elle est partie pour se changer et quand elle est revenue elle était transformée. Elle était vraiment classe. Très impatiente aussi. Vers 15 heures 3O, elle a commencée à tourner en rond – un peu à la façon de Pascal mais pas pour les mêmes raisons. C’était beau à voir, car à eux deux ils faisaient comme une petite chorégraphie dans le bureau. Je dis pas que j’aurais payé une place au théâtre pour aller voir ça, mais pour des amateurs qui faisaient ça inconsciem-ment, c’était vraiment pas mal. A 16 heures, l’adjoint de PPDA n’était toujours pas là et Laura commençait vraiment à s’agacer. La chorégraphie a fini par devenir un peu répétitive et plutôt lassante, alors on a décidé de tout expliquer à Laura. On savait pas trop comment s’y prendre, on lui a dit de s’asseoir, on a un peu bégayé, et puis on a fini franchement par lui dire que c’était une blague drôle et que l’assistant n’existait pas… Mais Laura, ça l’a pas vraiment fait rigoler ! On était un peu embêtés. On savait pas trop comment la consoler. Et c’est là que ce qu’on craignait le plus est arrivé, car pour remonter le moral de Laura, Françoise a proposé de lui écrire un petit poème. On a eu vraiment très peur. Mais Laura qui joue très mal au base-ball mais qu’est sympa quand même, a bien compris que pour éviter le pire, il valait mieux arrêter de faire la gueule. Alors c’est Catherine qui est parti en boudant car elle voulait imprimer le poème sur ‘Image Writer’. L’ambiance était un peu morose. Même Pascal s’est remis à marcher droit. Alors on s’est tous rendu compte que la première blague n’était pas très drôle. Mais heureusement on savait que dès le lendemain on allait pouvoir se rattraper avec Françoise… Et ça n’a pas raté.
Ce jour là Françoise est arrivée plutôt agacée au bureau. Elle nous a dit que le soir elle avait un examen sur Ronsard. Pascal qui n’avait jamais passé d’examen, et qui ne voyait pas en quoi c’était agaçant, lui a demandé ce qui n’allait pas. Françoise a failli se mettre à pleurer et elle nous a dit qu’elle se rappelait plus du tout du nom de la fleur qui ce matin avait éclose.
Alors nous, comme on est plutôt solidaires, on a tous voulu l’aider et chacun a proposé un nom de fleur. ‘C’est un chrysanthème’ a dit Caroline en premier. ‘Sûrement pas’ a dit Laura. Alors Susie a proposé une marguerite. Mais Laurent qui connait bien Susie a dit que c’était sûrement pas ça et que Susie avait dit une marguerite parce que c’était le seul nom de fleur qu’elle connaissait en français. Pendant ce temps Catherine qui avait tapé quelque chose sur son clavier a proposé un edelweiss ou une renoncule. Alors Françoise qui n’était pas convaincue que le silicium de l’ordinateur soit de bonne qualité a fait un peu la moue. A ce moment là Laurent a pris un air très sérieux et a dit : ‘une tomate’. Mais Françoise, qui a fait des études, a expliqué gentiment à Laurent que la tomate était un légume. ‘C’est pas un légume’ a dit Susie, qui s’y connait en médecine et elle a ajouté : ‘C’est un fruit’. Alors tout le monde a commencé à s’engueuler et Françoise commençait vraiment à s’angoisser car l’heure de son examen approchait. Et, à ce moment là, Pascal qu’on avait presque oublié a crié : ‘une rose’. ‘Oui c’est ça, c’est une rose’ a répété Françoise comme si c’était elle qui avait trouvé l’idée. Et on a tous été rassurés pour Françoise.
Mais n’empêche qu’après coup on s’est demandé à quoi ça servait les études.
Ensuite Françoise a regardé son courrier et elle a trouvé un fax (faux lui aussi) qu’on y avait glissé. Le fax venait soi-disant de notre corespondant en Amérique, celui qui place les Français dans les familles. Il prévenait Françoise qu’une jeune française était placée chez un directeur de cirque, que dans la maison il y avait plein d’animaux, et que pendant l’année il faudrait que la jeune française s’occupe de deux gros serpents et nettoie tous les jours un éléphant. Françoise a regardé le fax longuement, elle a vraiment trouvé que le placement était étonnant et elle était embêtée car elle ne savait pas comment prévenir la famille. En tout cas la blague drôle marchait comme sur des roulettes. Laura qui avait déjà oublié que l’histoire de PPDA était totalement inventée a dit que c’était incroyable et qu’elle en parlerait au journal de 2O heures. Françoise qui s’inquiétait de savoir si les serpents étaient venimeux, a préféré demander à Susie. Au téléphone, Susie qui n’avait pas encore digéré l’histoire de la fleur, répétait que la marguerite était une fleur et que la tomate était un fruit. Laurent, qui savait que c’était une blague, n’arrêtait pas de rigoler. Il y avait vraiment de l’ambiance. Françoise et Caroline rigolaient aussi… Et c’est à ce moment là que Pascal est tombé dans l’escalier…
Sa chute nous a tous un peu calmés. Sauf Françoise qui continuait à préparer un fax aux américains pour leur demander d’autres renseignements sur les serpents et l’éléphant. Alors Laurent, qui craignait qu’elle prévienne la famille française et qui voulait quand même qu’on garde une image sérieuse, a décidé de tout expliquer à Françoise. Et là on s’est vraiment bien marré.
Le lendemain matin on a tous retrouvé nos esprits. Sauf Pascal qui est arrivé métamorphosé . Impressionné par les talents qu’il s’était découvert la veille, il nous a proposé de nous dire un poème. Françoise était un peu vexée. Mais on l’a tous écouté. Ca s’appelait ‘La cigale et la pie’. Françoise qui a plusieurs UV sur La Fontaine a dit qu’elle était une spécialiste et que c’était pas possible . Pascal a rien dit mais il a fait un peu la même tête que Laurent avant qu’il rappelle le règlement. Alors Catherine qu’est gentille et qui voulait mettre tout le monde d’accord a proposé ‘la cigale et la souris’. On s’est tous engueulé. Jusqu’à ce que Laurent devienne tout blanc. Il a tapé du poing sur la table, et chacun est retourné à son travail.
Depuis on est très sérieux. Françoise a repris le téléphone. Pascal a laissé tombé la poésie et Catherine s’est plongée à nouveau sur son ordinateur. Mais hier, elle s’est aperçu que sa souris avait disparu. Alors Caroline qui a cru qu’elle s’était échappée a poussé un grand cri et a grimpé sur son bureau. Alors on s’est tous mis à chercher la souris.
C’est moi qui l’ai retrouvée. Je l’ai ramassée, je l’ai ramenée à Catherine et je l’ai branchée sur mon ordinateur. Quand j’ai appuyé sur le dos de la souris elle a poussé un petit cri mais elle m’a pas mordu. Alors j’ai été voir Caroline et je lui ai dit que je ne comprenais pas pourquoi elle avait peur. ‘C’est vrai après tout’, je lui ai dit : ‘la souris de Catherine elle est plutôt gentille’.
Article paru dans le journal Trois-Quatorze n°18