Linus : une vision de la France

Linus est un jeune Allemand qui connaît très bien la France : pour y avoir vécu toute une année en tant que participant au programme PIE, quand il était adolescent ; pour y avoir séjourné ensuite en tant qu’étudiant. Notre entretien porte sur sa vision de notre pays. Le commentaire des grandes lignes de l’article que PIE a publié récemment, complète notre présentation. Les propos de Linus s’inscrivent en contrepoint ; ils viennent appuyer ou nuancer certains traits de la nation France, en confirmer ou en infirmer d’autres. Le tout dessine une ligne assez claire, qui s’approche forcément un peu plus de la caricature que du portrait, mais qui révèle avec justesse une certaine ambivalence française.

3.14 — Linus, quand tu lis l’article que consacre PIE à la nation France, reconnais-tu le pays dans lequel tu as vécu sur la longue durée ?
Linus
— Globalement, oui. Je vois se dégager ses particularités, ses caractéristiques. Je retrouve l’essentiel de ce que j’ai pu observer. Le fait de mettre en avant la nourriture, les paysages, la langue et l’histoire me paraît assez judicieux. Je ne suis pas sûr qu’on l’on puisse faire la même chose avec tous les pays

Vous aimez manger, et vous aimez parler du fait que vous mangez !

3.14 — Personnellement, si tu devais isoler une chose pour définir la France, une chose qui la singularise, laquelle choisirais-tu ?
La nourriture ! Sans hésiter. La gastronomie et le rapport que les Français ont avec la nourriture, les repas, etc. Vous aimez manger, et vous aimez parler du fait que vous mangez. Et puis vous avez une richesse locale incomparable. L’esprit et la culture des régions s’expriment énormément à travers les spécialités, les coutumes culinaires, bien plus, par exemple, qu’à travers la langue et les patois.

3.14 — Et en même temps, tu dis ressentir une forme “d’unité nationale” autour du rapport des Français à la nourriture (habitudes, goûts, méthodes…), n’est-ce pas ?
Oui tout à fait. Un exemple : la pâtisserie ! C’est une chose typiquement française : la pâtisserie a une place importante partout dans le pays. En Allemagne —et dans beaucoup d’endroits dans le monde— on trouve quelques gâteaux dans les boulangeries, mais en France, il y a des pâtisseries — donc des magasins spécialisés dans la vente de gâteaux— et il y en a partout ! Et la variété de l’offre est inouïe ! La pâtisserie est une forme d’institution. Autre chose : vous passez un temps fou à préparer vos repas. Mon père d’accueil passait par exemple une partie de son dimanche à cuisiner. Vous avez des règles assez précises, que l’on retrouve et que l’on respecte dans presque tout le pays : c’est vrai pour les horaires, le déroulement des repas, etc. Vous prenez par exemple deux repas chauds par jour, alors qu’en Allemagne nous n’en prenons qu’un.  Et vous avez aussi ce concept très particulier d’apéritif, qui est comme une introduction au repas, et que nous ne connaissons pas en Allemagne.

Votre langue est très jolie. Elle se chante. Je dirais même qu’elle est chanson.

3.14 — La France, c’est donc avant tout la gastronomie… ! mais aussi ?
Les paysages ! Au-delà de leur beauté, c’est leur diversité qui frappe. L’Europe, qui est très morcelée par rapport aux autres continents, offre une grande variété de paysages, mais la France une plus grande encore. Elle se distingue nettement sur ce point. En quelques kilomètres, vous passez d’un monde à l’autre. Il y a tout en France : mers, montagnes, plaines, forêts… et tout à proximité. J’ai passé quelque temps à Valence : d’un côté il ya l’Ardèche, de l’autre la Drôme, tout près le Vercors, et la mer n’est pas loin. C’est gris à l’ouest, vert à l’est, bleu au Sud… Les villages sont tellement différents, d’un coin à l’autre.

3.14 — Venons-en à la langue. On sait qu’elle te tient à coeur et que tu l’étudies.
Pas de France sans langue française ! Votre langue est très jolie. Elle se chante. Je dirais même qu’elle est chanson. Elle est riche elle aussi de sa complexité, de ses surprises, de ses incohérences.

3.14 — En quoi ressemble-t-elle au pays ?
Elle comporte plus d’exceptions que de règles ! La maîtriser demande du temps. C’est une gageure. Si on prononce mal un mot, il change de sens. C’est par ailleurs une langue très imagée. L’allemand, en comparaison, est très logique, très structuré. En allemand, on peut inventer des mots en combinant deux mots… et le nouveau mot ainsi créé a du sens. En français, vous ne pouvez pas faire ça. Il faut connaître tous les mots ou faire des périphrases, qui font office d’explications

3.14 — Oui le français use et abuse de périphrases, de métonymies, d’images, de métaphores, d’incises. Proust est à ce niveau une parfaite illustration de ce que la langue française implique au niveau de la pensée.
Oui, le français est plus poétique, quand l’allemand est plus technique, plus précis. J’adore Racine et Baudelaire. C’est comme une musique et en même temps ça a du sens. Ça chante et ça dit les choses.

C’est dur pour moi de critiquer. Mais ce qui est sûr c’est qu’en Europe en général et en France en particulier, on est quand même très favorisés, et que si on écoute les “Français” rien ne va. Le Français n’est jamais content et n’est pas reconnaissant envers son pays,

3.14 — Globalement reconnais-tu le caractère français dans le tableau que nous en dressons ? Que penses-tu notamment de cette petite histoire que nous racontons en introduction ? Le côté Français râleur… pour ne pas dire emmerdeur !
(Rires !)
On touche là aux stéréotypes, mais… comment dire… ce n’est pas faux !  Ça me gêne, car en disant ça, je me permets de généraliser —alors que je ne connais qu’une toute toute petit proportion de Français—, mais oui… en quelque sorte, il y a du vrai là-dedans. Le Français aime s’opposer, c’est une sorte d’évidence. L’an dernier, cela m’a frappé : j’étais en France pendant les grèves et manifestations et c’était étonnant de voir l’ampleur et la radicalité des mouvements par rapport à l’enjeu. Tout le monde revendique en permanence, pour se faire entendre, pour changer, ou pour défendre un acquis.  Ça part dans tous les sens en France. Ça génère des blocages, mais ça peut aussi être une richesse. C’est très intéressant.

3.14 — On sent que tu prends beaucoup de précautions ?
C’est dur pour moi de critiquer. Mais ce qui est sûr c’est qu’en Europe en général et en France en particulier, on est quand même très favorisés, et que si on écoute les “Français” rien ne va. Le Français n’est jamais content et n’est pas reconnaissant envers son pays, je trouve. Il est surtout particulièrement pessimiste. Mais dans le même temps, il s’oppose aux changements et aux réformes. De toute façon, le peuple français est surprenant. Il aime comme on l’a vu, se jouer des règles et des règlements (bien plus que l’Allemand), ne pas respecter, par exemple les horaires, etc… et, en même temps, son école est très stricte et très conventionnelle sur la question planning, horaires, tenue, discipline. Le Français est contradictoire…. C’est peut-être pour ça qu’il aime contredire.

Je crois qu’il y a deux France. D’un côté, celle qui t’accueille mal… Et puis, il y la France qui une fois qu’on a pu ou su briser la glace, t’accueille vraiment, en profondeur et chaleureusement. Il faut distinguer les deux.

3.14 — En tant qu’Allemand, et afin de rendre nos deux  pays “meilleurs”, qu’importerais-tu de La France en Allemagne et qu’exporterais-tu de l’Allemagne vers la France ?
En tant qu’Allemand, j’importerais, les saucissons et les fromages : ils sont beaucoup trop doux en Allemagne. J’importerais également un peu de cette fierté française qui se cristallise dans une forme d’unité nationale (que j’ai ressentie autour des cérémonies et de la fête du 14 juillet) et qui permet au Français de se prendre un peu pour le centre du monde ! Cela est beaucoup dû à votre esprit jacobin et centralisateur. En tant que Français, j’importerais sans hésiter notre sens, très allemand, de l’organisation. Vous êtes défaillants à ce niveau-là. C’est comme si vous aimiez qu’il y ait des grains de sable.. Cela m’a surtout frappé au niveau de l’école et de l’université : c’est souvent incohérent et compliqué chez vous. En Allemagne, nous sommes bien meilleurs à ce niveau-là, Je trouve que c’est une qualité de mon pays. Personnellement, je l’apprécie.

3.14 — L’article se conclut sur la notion d’accueil. Quel jugement portes-tu sur la France à ce niveau ?
Je crois qu’il y a deux France. D’un côté, celle qui t’accueille mal : à l’aéroport, dans les gares, en ville, qui te fait la tête, te dédaigne et qui ne te fait pas un sourire. J’ai croisé cette France aussi à l’école ou à l’université, avec des élèves, des étudiants, des profs, qui préféraient rester entre eux… dans leur coin. En Allemagne, à l’école ou à l’université, on va beaucoup vers les étrangers, on est curieux de les rencontrer.
Et puis, il y a la France qui ouvre les portes de sa famille, qui, une fois qu’on a pu ou su briser la glace, t’accueille vraiment, en profondeur et chaleureusement. Il faut distinguer les deux.
L’ambivalence qui caractérise la France à ce niveau est finalement symptomatique du pays.