Mongolie – France – Visions parallèles

La "soeur" d'accueil de Willem, un an en MongolieWillem, un jeune Français parti vivre un an en Mongolie, et Munkhbileg, une jeune Mongole venue vivre un an en France jettent un regard sur le pays qui les accueille, et se prêtent au petit jeu des comparaisons.

LA MONGOLIE PAR WILLEM

Les règles de politesse et de civilité
Les Mongols sont moins « Monsieur, Madame » que les Français, ils sont plus décontractés. En Mongolie, tout est affaire d’âge. C’est l’âge qui détermine les règles de civilité. Les plus jeunes par exemple vouvoient les plus âgés. Un enfant va vouvoyer ses grands-parents, ses parents et ses frères et sœurs plus âgés. Les parents eux vont tutoyer leurs enfants. Les personnes du même âge ont également tendance à se tutoyer. C’est quasiment le seul critère hiérarchique, y compris dans la sphère publique. Un grand-père qui rentre dans un ministère va, par exemple, tutoyer un haut-fonctionnaire.
Ici on appelle facilement les gens par leur fonction. Du temps du communisme, si on croisait un directeur, on disait : « Camarade-Directeur .» Aujourd’hui on dit juste « directeur » ou bien le nom, suivi de la fonction, par exemple : « Baatar, Directeur. »
Pour dire bonjour, c’est un peu comme en France. En ville, quand on connaît quelqu’un, on dit : « Bonjour, comment ça va ? » En dehors de la ville, c’est un peu différent, on dit bonjour à tout le monde, même à ceux que l’on ne connaît pas.

La vie politique
Seuls les plus âgés s’intéressent à la politique.
La Mongolie n’est plus communiste depuis 1990. Elle l’était depuis 1924. Les Mongols ont une attitude bizarre vis-à-vis des Russes et des communistes. Les Russes sont considérés comme des envahisseurs, ils ont colonisé la Mongolie, et en même temps leur empreinte est partout et la culture russe est partie intégrante de la culture mongole. Les Russes on ne les aime pas mais ce sont les « plus proches de nous ». De même, il n’y a pas de rejet total de l’époque communiste. Staline est détesté, mais on trouve encore des statues de Lénine et du dictateur communiste mongol. Les vieux portent encore les médailles qui datent du temps du communisme. Aujourd’hui la Mongolie est entièrement démocratique, mais beaucoup de personnes, notamment la vieille génération, regrettent la « prospérité » d’avant. L’économie mongole est mal en point. Avant ce n’était guère mieux, mais tout le monde était pareil. Aujourd’hui, c’est un pays à deux vitesses, qui subit le choc de la modernité, qui est pétri de traditions et qui lutte avec ses archaïsmes. Il y a du tiraillement.

Le travail
Rien de bien particulier au niveau des horaires. D’une façon générale, j’ai tendance à penser que les Mongols sont un peu fainéants. D’ailleurs, « Fainéant », c’est une insulte assez courante par ici. Autre conséquence de la chute du communisme : le régime fonctionnait sur une idéologie du travail qui s’imposait avec autorité. Le régime est tombé. Le relâchement est réel. La vieille génération s’en plaint.

Les passions mongoles
J’en citerai deux : la musique et le sport. La musique traditionnelle a une importance majeure. Le « morin kuur » – violoncelle à deux cordes, au manche orné d’une tête de cheval – est l’instrument mongol par excellence. Même les jeunes l’écoutent. Ils aiment aussi beaucoup chanter. Ils chantent tout le temps. Face à la musique traditionnelle, il y a la musique d’influence occidentale. Le rap (mine de rien, en mongol, ça marche !),… et tout ce qu’on écoute en France.
En sport, il y a le même clivage : d’un côté le basket (joué par les jeunes) et de l’autre les sports traditionnels : lutte mongole (très populaire), courses de chevaux, tir à l’arc. On les appelle les trois sports virils. Ils sont à l’honneur les 13-14 et 15 juillet, à l’occasion du Naadam (fête nationale qui correspond au jour anniversaire de l’indépendance vis-à-vis de la Chine en 1921, mais qui trouve son origine dans la tradition guerrière). Les mongols apprécient aussi beaucoup le sumo. Le champion du monde, Assashiurio, de son vrai nom Dagvadorj, est mongol. Il est aussi célèbre que Zidane en France… mais lui ne perd jamais !

Habillement
Même dilemme : les jeunes s’habillent à l’occidentale (« jean » la plupart du temps et costume-cravate en certaines occasions), mais ils aiment aussi sortir le costume traditionnel. Les vieux eux, s’habillent très souvent avec le long manteau mongol, la longue ceinture de soie, le chapeau (type cow-boy), les bottes de cuir traditionnelles (avec le bout qui remonte vers le haut) ou les bottes de l’armée russe.

La vie religieuse
Il y a des bouddhistes (c’est la religion dominante et traditionnelle) et des chrétiens, d’origine coréenne en général. Mais, d’une façon générale, je ne trouve pas que les Mongols soient très portés sur la pratique religieuse.

Hommes – Femmes
Il faut savoir que les femmes ont souvent de meilleurs postes et donc de meilleurs salaires que les hommes (car, contrairement à la France, les hommes et les femmes sont ici traités d’égal à égal). Les hommes doivent tous faire trois années de service militaire, et je crois que cela explique les difficultés qu’ils ont à étudier. Et les femmes me paraissent plus travailleuses. Il y a beaucoup de femmes professeurs, médecins… Beaucoup d’hommes sont au chômage, traînent dans la rue, boivent. C’est un vrai problème mongol.

La vie familiale
L’autorité est détenue par le plus âgé. Si les grands-parents sont encore à la maison, ce sont eux qui dirigent, sinon ce sont les parents. L’aîné (fille ou garçon) a l’autorité sur les plus jeunes (un petit frère, par exemple, n’a pas le droit de parler rudement à son grand frère). Celui qui ramène l’argent a un certain pouvoir également. Or, en Mongolie, ce sont plutôt les femmes qui ramènent l’argent.
En France ce sont plutôt les femmes qui préparent les repas, alors qu’ici il n’y a pas de règle : cela peut être les grands-parents ou les enfants. À la maison, les enfants travaillent beaucoup plus qu’en France (ménage, etc.).

Nourriture, repas
Dans la matinée, on prend le thé, avec du pain ou des biscuits, parfois même les restes de la veille, et le soir, un vrai repas. Le rythme dépend un peu des heures de travail (il y a les écoliers du matin et les écoliers du soir, voir Trois Quatorze n° 38). En général, on prend donc deux repas par jour. La cuisine n’est pas du tout influencée par l’Occident. Les ingrédients de base sont les pâtes (influence chinoise) et le mouton (typiquement mongol). On mange aussi du riz.

Télé, jeux vidéos
On regarde la télé ni plus ni moins qu’en France. Il y a une télé nationale (4 chaînes privées et le câble), beaucoup de programmes chinois et coréens (films notamment). Ce qui parvient des US c’est plutôt le bas de gamme. Il n’y a quasiment pas d’ordinateur à la maison alors les jeunes se retrouvent dans des centres de jeu – ils jouent en réseau. Le cinéma coûte cher.

Garçons et filles
C’est un peu comme la France. Quand ils sont petits les garçons et les filles sont ensemble. Quand les garçons sont dans l’âge bête (10-15 ans), ils ne se mélangent pas aux filles. Et à partir de 16 ans, on voit les garçons et les filles ensemble. À ce niveau, ils sont assez libres. La Mongolie, on n’imagine pas, mais c’est plutôt cool comme pays. Et les hommes respectent plus les femmes qu’en France. Ils ont moins d’arrière-pensées.

Le Monde vu par la Mongolie
Les jeunes ne s’intéressent pas spécialement à ce qui se passe en Occident et en France. Même s’ils sont très influencés dans leur vie de tous les jours (sports, musique…). Pour les adultes c’est différent. La France c’est le modèle, le raffinement, la culture, le Louvre, etc. Ils posent beaucoup de questions sur la France
Le paradoxe c’est que les anciens s’intéressent plus au monde extérieur que les jeunes et qu’en même temps ils sont plus respectueux de la tradition mongole, de ce qui a fait la Mongolie, de ce qui la distingue.
Au niveau économique, la Mongolie est complètement tournée vers l’Asie, notamment vers la Chine et la Corée, ses deux plus proches voisins.
Pour ce qui est des USA c’est bizarre. Ils sont très critiques mais très fascinés et très influencés. Par rapport à l’Irak par exemple, ils se disent contre la position américaine, mais leurs troupes sont présentes là-bas.

Mentalités
Les Mongols sont plutôt décontractés, très accueillants, beaucoup moins critiques que les Français. Ils sont très respectueux de l’état, des politiques, de l’autorité en général (soldats, policiers). En France, on est anti-tout. Les Mongols sont très fiers de leur passé, de leur histoire, de leurs origines.

LA FRANCE PAR MUNKHBILEG

Les règles de politesse et de civilité
Les conducteurs sont moins agressifs qu’en Mongolie. Ils vous laissent passer. De ce côté-là, c’est moins sauvage ici, en France, que là-bas. Je crois que les conditions de vie, qui sont beaucoup plus faciles dans votre pays, y sont pour quelque chose. À Oulan Baator, les rapports sont plus durs. Mais, attention, à la campagne les gens sont très différents. Moi, j’ai trouvé les Français très tranquilles, mais je vis dans une petite ville. On me dit que les gens à Paris sont plus distants, plus froids.
Il y a une particularité française, c’est de s’embrasser pour se dire bonjour – même quand on ne se connaît pas. Le bisou, c’est vraiment une spécialité d’ici.

Le niveau de vie, vivre en France
Il est bien plus élevé en France. Les Français ont tout. Le pays tourne, les gens sont favorisés. Le rythme de vie s’en ressent et la vie est agréable. Les Français ne le savent pas. J’ai l’impression qu’ils en veulent toujours plus.
La France a tellement de choses : le climat est bon, nous en Mongolie on vit entre –30°C et + 50, tandis qu’ici il fait toujours doux ! Ici, il y a tout ce que l’on veut. En France il y a même la mer… Et nous on manque d’eau. On trouve la nourriture en qualité, en quantité, en variété. En Mongolie, je voulais faire un régime végétarien, mais c’est impossible. Si vous ne mangez pas de mouton, vous ne mangez rien. Et comment vous tenez l’hiver ? Il fait si froid. Il faut avaler du gras.

La vie politique
La France est un pays libre. La liberté fait partie de la culture. Les Français vivent comme ils le veulent. Mais par contre ils se plaignent énormément – à les écouter rien ne va. Il y a beaucoup de manifestations et de grèves.
Aux élections, l’absentéisme est énorme. Je crois que les Français ne croient pas en leurs hommes politiques. Ils sont très critiques, très sceptiques. Ils disent que rien ne changera.

Le travail
Je n’ai pas beaucoup de points de repère. Ma mère d’accueil dirige un hôpital. Elle travaille énormément. En France, il n’y a pas le problème des hommes qui sortent le soir et qui boivent beaucoup.

Les passions françaises
Les Français aiment beaucoup le foot. À l’école, les garçons en parlent énormément. Ils jouent aussi beaucoup aux jeux vidéos. Les filles s’intéressent à pas mal de choses, surtout à la vie des stars. Le sujet principal des adultes c’est la politique. Et la passion de tout le monde c’est la nourriture. On passe les dimanches à préparer des repas extraordinaires.

Habillement
Les Français s’habillent simplement. Dans les villes, ils sont plus soignés. Il n’y a pas cette différence entre habits traditionnels et habits modernes comme en Mongolie.
Les Français se lavent beaucoup. Les Mongols un peu moins (encore le manque d’eau).

La vie religieuse
Il y a une grande liberté de ce côté-là, mais je ne crois pas que la religion occupe une place importante en France. En Mongolie, c’est un peu la même chose en ville, mais à la campagne les gens sont plus croyants et plus pratiquants.

Hommes – Femmes
Il y a une discrimination entre les femmes et les hommes. Les hommes en France ont les meilleurs postes et ils sont un peu plus payés. Ils ont tendance à détenir les pouvoirs, notamment le pouvoir politique. Ce n’est pas comme ça en Mongolie. D’un autre côté les femmes en France vivent très bien. La vie est plus exigeante pour les femmes là-bas.

La vie familiale
Les enfants et les parents sont plus proches. Ils sont comme des amis. Ils se tutoient. Le pouvoir entre le mari et la femme me semble partagé (mais c’est difficile à dire pour moi car ma mère d’accueil est divorcée). Les tâches sont réparties, mais les femmes ont quand même plus tendance à faire les courses, voire les repas que les hommes. Dans ma famille les garçons nous aident. Quant au ménage, on essaie de partager… mais on n’y arrive pas ! Les femmes en font plus.

Les enfants
Ils ont beaucoup de pouvoir sur leurs parents – ils obtiennent tout ce qu’ils veulent, ce sont les maîtres. Ils sont gâtés… trop gâtés. En Mongolie, c’est l’inverse. Moi si j’avais des enfants, je chercherais un compromis entre les deux.

Nourriture, repas
Tout est bon. Ma mère fait de très bons repas. Les fromages sont délicieux. J’ai découvert les fruits de mer. Il y a tellement de choses. Et, je le répète, tout est bon. En Mongolie c’est tous les jours la même chose. En France, les gens vont beaucoup au restaurant.

Télé
Les gens regardent beaucoup la télévision, surtout le soir. C’est un peu la messe. Mais c’est pareil en Mongolie. En France, il y a plus d’ordinateurs à la maison. Les Français vont beaucoup au cinéma.

Garçons et filles
C’est différent. Au lycée, il y a beaucoup de jeunes qui s’embrassent, devant tout le monde, devant les professeurs. En Mongolie, c’est plus pudique. En France, c’est plus libre, on change souvent de petit ami(e).

La Mongolie et le reste du monde vus par la France
Les Français ne connaissent pas la Mongolie. Pas du tout. Pour eux, la Mongolie, c’est juste une terre exotique, ça se limite à la steppe. On me demande souvent si j’habite une yourte ! Beaucoup de gens me disent qu’ils voudraient aller en Mongolie, mais je ne crois pas qu’ils iront. Pour eux c’est loin, c’est perdu. Sinon, j’ai remarqué que les Français critiquent beaucoup les Américains. Je crois que c’est une simple histoire de rivalités. Je crois que les modes de vie des deux pays se ressemblent… même si le mode de vie français me paraît plus sain.

Mentalités
Les Français sont très ouverts, accueillants. Ils m’ont beaucoup appris. Ils sont tolérants. Ils savent s’amuser. Ils profitent de la vie. Par contre ils critiquent beaucoup, ils se plaignent beaucoup et ils sont très individualistes. Je l’ai notamment remarqué au lycée. Chacun pense à soi-même, avance pour lui. C’est peut-être un problème de pays riche… je ne sais pas ! J’ai aussi remarqué une séparation entre les Français de souche et les Français d’origine arabe. C’est pas très fort mais c’est réel.

Partir en Mongolie
Un Français a beaucoup à apprendre de la Mongolie. C’est un mode de vie si différent. Mais c’est vrai que cela doit être difficile, car en France on vit si bien. En partant là-bas, un Français va d’abord apprendre à moins se plaindre.

Article paru dans le journal Trois-Quatorze n°39