Un jeune français de Nantes nous promène au cœur du Saskatchewan. Au programme : visite de la maison d’Arthur – balade dans la plaine, en compagnie de la ‘Patrol’.
J’ai changé de famille – c’était prévu avant mon départ. J’étais en effet dans une famille provisoire. C’était très sympa de la part de cette famille de m’accueillir pour un mois car sinon, vu mon âge, je ne serai sans doute jamais parti. Mais j’avoue que je ne sais pas si j’aurais tenu là toute l’année ! La maison était très vieille, le chauffage était défaillant et la salle de bains ne donnait pas vraiment envie de se laver. Il y avait surtout les chats qui squattaient en permanence mon lit, et le gamin qui ne me lâchait pas d’une semelle. Il voulait tout le temps que je le porte sur mes épaules ou que je regarde les dessins animés avec lui. Pour le casse-croûte de midi j’avais le choix entre pâtes à la moutarde ou pâtes au ketchup. Ma première ‘host mother’ voulait absolument me garder, mais pour moi c’était trop galère. Le jour où on est venu me chercher elle a eu beaucoup de peine à me voir partir. Depuis je suis restée en contact avec elle.
Ma nouvelle famille habite dans la même ville que la précédente. Je n’ai pas eu besoin de changer d’école. Tous les membres sont très sympas et me considèrent comme un des leurs. Les premiers jours, le père disait ‘the baby’ en parlant de moi. On s’entend plutôt bien. Ma famille est croyante – on a droit à la prière avant le repas du soir. D’abord on fait silence, puis on remercie Dieu pour la journée qu’on vient de passer – ensuite on demande la bénédiction pour la nourriture qui se trouve sur la table. Dans ma famille il y a le père Mike, la mère, Anne, le fils Steve. J’allais oublier les deux autres membres : le chat Tiger, qui porte bien son nom – il est sauvage et il déteste les étrangers – et la sacro-sainte télé. Celle-là tout le monde l’aime, tout le monde en est accro.
Ma maison est plutôt grande – elle est située sur la seconde avenue East, à quelques mètres des magasins et de l’école. Tout est moderne dans cette maison : portes électriques, garages ouvrables à distance, téléphone et ventilation dans chaque pièce, immense réfrigérateur amerlock avec distributeur de glaçons – deux ordinateurs (avec accès au Web), cinq télés (celle du salon possède, comme au cinéma, un système ‘dolby surround’)… et leurs 500 chaînes, deux magnétoscopes ! Mon ‘hostfather’ aime tout ce qui est gadget – depuis sa console d’ordinateur il peut contrôler l’éclairage de la maison ou l’arrosage des légumes du jardin. Il a aussi un copieur de C.D. un scanner et une machine à imprimer des tee-shirts. Ma chambre est confortable (télé, téléphone, air conditionné, vue sur la patinoire de Biggar, sur le silo à grain et sur la ligne de chemin de fer Trans-Canada) mais je n’y passe pas beaucoup de temps.
L’école est très sympa. Les élèves ne sont pas franchement stressés, avec leurs canettes de Coca à la main et leurs claquettes au pied. L’ambiance ressemble à celle des fins d’année scolaire en France. On me pose beaucoup de questions sur ma vie en France : est-ce que je bois du vin au petit déjeuner ? Est-ce qu’il y a beaucoup de paparazzi là où j’habite (il faut dire qu’ils ont été très marqués par le débat qui a entouré l’accident et la mort de Diana) ? Est-ce que je vais passer mes week-ends en Espagne ou en Italie (ils sont persuadés que l’Europe est toute petite) ? Moi je réponds à toutes ces questions. Les Canadiennes aiment bien m’entendre parler avec mon accent ‘franchie’. Apparemment ça les fait craquer.
Ma ville, Biggar, n’est pas aussi minable que me l’avait fait entendre un préposé du bureau de l’immigration de l’aéroport de Calgary. En me délivrant mon visa il m’avait dit : ‘You go to Biggar… In the middle of nowhere’. Biggar, comme toute les villes Canadiennes, est effectivement éloignée de tout, mais c’est une ville assez étendue, relativement habitée (2600 âmes) et bien équipée (hôpital, aérodrome, musée, cinéma, bowling, patinoire, golf, motels, restaurants, magasins, stades, piscine…). Autour de la ville, il y a un lac pour pêcher la truite, une vallée où, l’hiver, on peut faire du ski.
Biggar est très connu pour son slogan, ‘New York is big, but this is Biggar’. Les habitants le jugent stupide – je les soupçonne, en fait, d’en être assez fiers. Ici tout est ‘big’, tout est large, tout est droit, tout est plat. Les routes sont des avenues, les voitures sont des camions. La moindre courbe à 2 degré (en Europe on ne parlerait pas même de virage) est annoncée par un panneau ‘danger’. La région est grande comme la France et compte à peine 1 million d’habitants. Il y a des tas de fermes, de ranchs et de cow-boys (qui traversent les rues derrière leurs vaches). Il y a d’immenses espaces autour de la ville – ça n’en finit pas. Dehors, on peut voir des caribous, des ours, des bisons, des cerfs, des élans, des renards, des oies du Canada. Le soir, de ma chambre, j’entends hurler les coyotes, et ça me donne la chair de poule.
Je ne m’ennuie pas. Avec mon ‘host father’, j’ai commencé à apprendre à jouer de la guitare – lui en joue depuis 20 ans. Il m’a appris les accords principaux. Je peux interpréter des petites chansons. Je m’exerce tous les jours, car ça demande de la pratique. Je surfe sur Internet. Je fais souvent du vélo, histoire de rendre visite à un copain. On aime regarder des vidéos en mangeant du pop corn. Je vais bientôt travailler comme volontaire à l’hôpital et participer à un ‘Work experience ‘ chez les pompiers. Je vais également tenter de donner des cours de français pour gagner un peu d’argent de poche.
De temps en temps je participe à des patrouilles de police. L’autre semaine, on a été chez des particuliers pour faire une enquête (suite à un vol dans leur jardin), puis on a été contrôler la vitesse des automobilistes sur la ‘highway’. On était en voiture (avec le radar situé à l’avant). A un moment, on a croisé un type qui roulait à 130 – on a aussitôt fait demi-tour sur la chaussée et on a coursé la voiture – sirène en marche et gros gyrophares – C’était trop excellent. J’avais l’impression d’être dans une série de films américains. Le policier qui m’emmène parle français, alors, en sa compagnie, j’apprends un peu le québécois. Je découvre avec amusement certaines expressions comme ‘parquer mon char’ (garer ma voiture) ou ‘lâcher un coup de fil à sa blonde’ (passer un coup de téléphone à sa copine’).
Il y a des choses étonnantes à Biggar : le couvre-feu, qui interdit aux moins de 17 ans de sortir entre 22 h et 6 h du matin – l’interdiction de faire crisser les pneus de sa voiture – l’interdiction de consommer de l’alcool en dessous de 19 ans – l’interdiction d’acheter des cigarettes avant 18 ans (mais l’autorisation de fumer à partir de 16).
Je pensais qu’on ne voyait ce genre de choses qu’à New-York, mais…
‘…This is Biggar’ !
Article paru dans le journal Trois-Quatorze n°30