Catherine Bargès et Henri Keraudren sont les parents d’une famille « recomposée » de cinq enfants. Ils sont adeptes des séjours de « longue durée » à l’étranger, avec, en moins de cinq années, deux départs et trois accueils. Ils nous livrent ici quelques réflexions simples et profondes sur la notion d’accueil et nous amènent à réfléchir sur ses enjeux propres. Ils évoquent entre autres les risques inhérents à ce genre de séjour… des risques qui se marient mal avec cette idée du principe de précaution, ce concept difficilement applicable dans les relations humaines, et qui, en matière de voyages culturels et linguistiques, pollue quelque peu l’air du temps. Ils nous invitent somme toute, à dédramatiser « l’accueil ».
Trois Quatorze — Comment vous est venue l’idée d’accueillir?
Catherine Bargès — Tout a commencé avec le départ de ma fille. Léonor n’allait pas trop bien: disons qu’elle ressentait un peu de mal-être. Elle nous a parlé de son projet —partir une année scolaire à l’étranger— nous a «travaillés» toute une après-midi… nous a montré le site de PIE et nous a convaincus. De mon côté, j’ai convaincu son père, qui au départ ne voulait pas la lâcher. Il se trouve que Léonor avait une motivation énorme dont, bizarrement, PIE à l’époque a vraiment douté… au point d’ailleurs de mettre en cause son départ! De ce fait, Léonor a engagé elle-même des recherches pour se dégoter une famille d’accueil, en envoyant tout un tas d’e-mails aux États-Unis. Et elle a fini par se trouver une famille! Les difficultés qu’elle a pu rencontrer pour être accueillie, nous ont sans doute fait réfléchir à la notion globale d’accueil.
Henri Keraudren — À l’origine, sans forcément évacuer la question ni rejeter clairement toute idée d’accueil, nous n’étions pas vraiment dans la logique d’accueillir, mais le fait que PIE pataugeait un peu dans ses recherches aux US et que Léonor mène de son côté une sorte de candidature souterraine et qu’elle rencontre des obstacles nous a certainement amenés à nous questionner sur le sujet. Il nous est finalement apparu assez naturel d’ouvrir notre foyer. On a peut-être également cherché à combler le petit vide que laisserait le départ de Léonor. Et, sans le formaliser vraiment, on s’est peut-être dit aussi, à l’époque, que le fait d’accueillir allait faciliter le départ de Léonor! Qui sait?
Catherine Bargès — On était contents que nos propres enfants voient quelqu’un d’autre et vivent avec ce quelqu’un d’autre. L’idée de les habituer à l’inconnu nous a séduits. Et puis, on a vite senti que cela pouvait être une richesse pour nous tous. On aime bien la notion d’espace ouvert.
Trois Quatorze — Vous êtes ce qu’on appelle communément une famille «recomposée». À quel point cela a-t-il pu jouer dans votre décision?
Catherine Bargès — Disons que chez nous «ça va et ça vient», La ventilation ne nous fait pas peur. Nos enfants n’ont pas tous les mêmes parents, alors cette idée de mélange nous est familière. Notre fratrie est à la fois soudée et éclatée. Cela facilite l’ouverture.
Henri Keraudren — Par la force des choses, on ne se sent pas propriétaires de nos gosses. C’est pour moi une idée essentielle. Je dis, par la force des choses, mais je pense aussi que c’est une question de principe, de culture. Je crois personnellement que nous ne devons pas nous approprier « nos » enfants. Dans cette optique, un gosse qui vient d’un autre horizon, peut facilement intégrer notre espace et notre environnement.
Trois Quatorze — Dans la mesure où les enfants ne sont pas votre propriété, un enfant «étranger» n’est pas moins chez vous que ne l’est un des vôtres. Il lui est plus facile, selon vous, d’être l’égal des autres. C’est cela?
Henri Keraudren — Oui, on peut dire les choses comme ça.
Catherine Bargès — Les gens nous demandent par exemple pourquoi Erlend, que nous accueillons en ce moment, vient avec nous en vacances. Nous répondons qu’il vient avec nous parce qu’il fait tout simplement partie intégrante de notre famille.
Henri Keraudren — Les gens nous demandent toujours ce que nous recevons en échange de l’accueil. Ils n’envisagent un accueil qu’au nom de cette réciprocité, à savoir : un départ = un accueil. Or, nous ne voyons pas —ou plus— les choses comme ça. Quand Guillaume, mon fils qui est aux USA actuellement, va rentrer, il se peut très bien que l’on continue à accueillir.
Catherine Bargès — Tant qu’on a une chambre de libre, c’est envisageable.
Trois Quatorze — Erlend est le troisième jeune que vous recevez. Quelle leçon tirez-vous des deux premiers accueils?
Catherine Bargès — Pour faire simple, je dirais que la façon dont un accueil se passe dépend essentiellement du caractère de celui ou de celle qu’on accueille. Saki, la jeune japonaise que nous avons accueillie il y a quatre ans, était très introvertie, très isolée. Cela a sans doute compliqué les choses. Les difficultés de Saki ont été accentuées aussi par son niveau de français qui était vraiment faible. L’adaptation scolaire a été plus difficile. Elle a dû souffrir en classe. Saki était gentille, il n’y a pas eu de gros problèmes… mais nous ne l’avons jamais sentie vraiment ouverte et épanouie. Moi, je me faisais une joie de discuter de sa culture, et à ce niveau-là, ce fut un ratage. En fait, nous avons ressenti globalement un manque d’échange. Pour toutes ces raisons, même si globalement cela s’est bien passé, ce premier accueil a été délicat
Trois Quatorze — Vous avez pourtant renouvelé l’expérience?
Henri Keraudren — Oui, car dans ce gende d’expérience, il faut accepter de rencontrer des obstacles.
Catherine Bargès — Cordelia, la jeune Américaine que nous avons accueillie en 2010, s’est très vite liée avec Sophie (la fille ainée d’Henri Keraudren — NDLR). Elle était charmante. On peut dire que ça a «roulé». Après, Sophie est partie. On a fait un break d’un an à l’accueil. Et cette année, avec le départ de Guillaume aux USA, on a choisi d’accueillir à nouveau. On avait déjà reçu une Américaine et une Japonaise, alors on a opté pour la vieille Europe, en accueillant un jeune Norvégien…
Trois Quatorze — Quelles sont les difficultés majeures que l’on rencontre lorsqu’on accueille sur la longue durée?
Catherine Bargès — L’accueil ce n’est pas un truc bien compliqué. À dire vrai, c’est bien plus simple d’accueillir des adolescents étrangers que d’élever ses propres enfants. Ils ne vous répondent pas, ils sont gentils, polis, obéissants ! (Elle rit) Franchement, j’en prends quinze comme Erlend ! La seule condition c’est d’avoir quelqu’un d’à peu près bien élevé et respectueux des autres. À partir de là, c’est un jeu d’enfant. Et puis, avec PIE, si ça devient insupportable, on « remet » le jeune dans l’avion ! Tandis que nos propres enfants, on ne peut pas les renvoyer. On doit faire avec ! (Rires à nouveau.) Quiconque a eu des enfants, sait qu’il faut renoncer à des choses. Avec un étudiant d’échange, vous ne renoncez à rien de particulier. En tout cas à rien de plus.
Trois Quatorze — Vous avez un exemple d’une situation plus facile à vivre avec un jeune que vous accueillez qu’avec vos enfants ?
Catherine Bargès — Vous voulez un exemple? Eh bien Erlend, si je lui demande d’aller promener les chiens, même si ça lui casse les pieds, il va le faire. Tandis qu’avec nos enfants, il faut négocier en permanence. Ils vont bouder, râler. Je crois que le fait de vivre ailleurs fait grandir les adolescents, parce que cela leur donne des responsabilités et de la distance. Quelque part, je trouve qu’Erlend est vraiment adulte dans sa tête!
Trois quatorze — Qu’est-ce qui pourrait vous dissuader d’accueillir?
Catherine Bargès — Je ne vois pas. Si quelqu’un veut tout maîtriser, tout planifier, il vaut mieux qu’il s’abstienne d’accueillir. Cela va tellement dépen-dre de la personne que vous allez recevoir et de la façon dont vous allez vous entendre avec votre hôte. Si vous pensez pouvoir gérer l’accueil en faisant une «étude sur plan», il vaut mieux ne pas se lancer dans l’aventure.
Henri Keraudren — Moi, la seule chose qui pourrait me faire peur c’est l’idée que le gamin soit incontrôlable, qu’il n’écoute rien, qu’il n’en fasse qu’à sa tête —du genre rentrer à 3h du matin sans nous prévenir, ou boire, ou… etc. Mais, dans ce cas-là, on sait qu’il y a un cadre et une association autour, et, comme dit Catherine, on sait qu’à la limite on peut ne pas garder le gamin en question. Mais à la base, on a plutôt tendance à faire confiance.
Trois quatorze — Pourquoi et comment avoir choisi Erlend?
Catherine Bargès — Il y avait donc cette idée de recevoir un Européen. On a vite opté pour un garçon, histoire de veiller à préserver le principe de parité. À partir de là, on a vite sélectionné un jeune Tchèque… et Erlend. Et ce dernier s’est imposé naturellement, notamment à travers sa présentation. Erlend avait un regard sympa, il faisait du piano, il était bon élève… Ce sont des choses comme ça qui nous ont décidés.
Henri Keraudren — PIE nous a guidés en nous proposant des participants. Dans le cadre du «catalogue» auquel on avait accès (une trentaine de jeunes au moment où nous nous sommes décidés), on a choisi le jeune qui nous semblait le plus en phase avec nous. Ce n’est pas plus compliqué que cela.
Catherine Bargès — On essaie bien entendu de se focaliser sur la qualité morale, mais c’est toujours un pari. Moi, personnellement, je me méfie un peu des jeunes qui sont issus de milieu très favorisé, et pour qui la vie serait a priori trop facile.
Trois quatorze — Y a-t-il eu un décalage entre le Erlend du dossier et celui avec qui vous vivez depuis maintenant 6 mois?
Catherine Bargès — Pas vraiment. Il faut dire qu’avec l’expérience, on refuse d’imaginer quoi que ce soit, avant de connaître de visu notre hôte et de partager avec lui notre quotidien.
Henri Keraudren — C’est vrai qu’on ne se projette plus trop. Il faut essayer de prendre la personne telle qu’elle est et puis de faire l’amalgame. Il y a la personnalité et celle des membres de notre famille… Après on doit se débrouiller avec tout ça : on touille. Et le jeune, de son côté, touille également.
Trois quatorze — Avez-vous l’impression d’avoir des obligations envers le jeune que vous accueillez ?
Catherine Bargès — On voudrait être très présents. Or, on travaille beaucoup. Alors, parfois, on a des remords. On se dit que l’on n’en fait pas assez. Mais en même temps, Erlend fait sa vie, il est très indépendant, il a ses copains… Et c’est très bien comme ça.
Henri Keraudren — On applique vraiment ce principe tout bête qui consiste à faire « comme avec ses propres enfants ». Je dirai qu’on a plutôt tendance à en faire un peu plus. Si on hésite à faire ou ne pas faire, si on est en balance, on penchera plus facilement vers le « faire », parce qu’on sait que pour notre hôte, l’occasion ne se représentera peut-être pas.
Catherine Bargès — Il faut bien avoir conscience que les débuts sont durs pour le jeune, et donc pour nous. Les premiers temps sont pénibles parfois. On n’aime pas voir son hôte un peu triste, le sentir malheureux parfois, souvent perdu ou en manque de repères. Personnellement je suis médecin, et comme je m’occupe du matin au soir de personnes qui ont des problèmes, je n’ai pas toujours l’énergie une fois chez moi de remettre ça! Mais cette étape passe vite. Dans le cas d’Erlend, ça a duré une semaine tout au plus.
Trois quatorze — Nous avons remarqué que les familles naturelles des participants mettent leur enfant au centre du projet et oublient un peu de considérer la position de la famille d’accueil. Elles ne réalisent pas toujours que la famille d’accueil est un acteur à part entière du séjour. Comprenez-vous cela?
Henri Keraudren — C’est assez logique dans la mesure où on a construit le projet autour de son propre enfant. Mais c’est sans doute une erreur. Il est vrai que le fait d’accueillir vous sensibilise forcément sur ce sujet. On comprend alors que l’avis de la famille d’accueil, sa position, son point de vue comptent autant que ceux de la famille naturelle. Une famille naturelle devrait arriver à se projeter, à se mettre à la place de la famille d’accueil. Quand mon enfant part à l’étranger, la première «personne» à qui j’envoie un mail pour savoir s’il n’y a pas de problème majeur, c’est à la famille d’accueil!
Trois quatorze — Les difficultés rencontrées par vos enfants durant leur séjour à l’étranger vous ont-elles aidés à appréhender l’accueil, et inversement?
Catherine Bargès — Dans le cas de la première famille de Léonor, on s’est un peu demandés pourquoi la famille américaine l’avait accueillie, et quelles étaient ses réelles motivations. Alors, oui, cela nous a fait réfléchir sur ce qu’était l’accueil. On est forcément un peu plus attentif quand on a repéré des failles chez les autres. En tant que famille d’accueil, on réalise peut-être un peu mieux que les autres que ce type de séjour est un engagement des deux côtés : du côté de la famille et du côté de l’adolescent. Or, nous avons constaté que le niveau d’investissement de tous les acteurs était très variable. Je parle des familles, des jeunes et même des délégués des organismes. Guillaume, le fils d’Henri, a dû faire face à une situation assez difficile qui l’a amené à se débrouiller un peu seul.
Henri Keraudren — Oui. Et, j’aurais tendance à dire que c’est très bien comme ça. Ce séjour est une école de vie. Il faut le prendre comme tel et accepter les risques inhérents à tout parcours initiatique. Au XIX è siècle, il était admis et fréquent, dans les milieux cultivés, que le voyage et l’apprentissage des langues à l’étranger fassent partie de l’éducation et de la formation d’un «gentilhomme». Les jeunes des milieux favorisés partaient des mois à Florence, à Venise, Dresde, Amsterdam… Ils parcouraient le monde et apprenaient la vie. Or, aujourd’hui, un tel projet paraît totalement fou à beaucoup de parents. Ces derniers, quand ils laissent partir leur enfant, le font souvent à leur corps défendant. Quand leur enfant veut partir, ils disent «oui», mais ils sont terrorisés à l’idée de tout ce qui peut lui arriver, à l’idée qu’il parte dans l’inconnu. Or une certaine forme d’incertitude accompagne nécessairement un tel projet. Je crois que le type de séjour que vous mettez en place — et qui redonne vie à ce «temps de gentilhomme»— crée par essence de l’anxiété et n’est, de fait, malheureusement pas très en phase avec la société hyper protectrice que nous connaissons.
Trois quatorze — Vous êtes en train de nous dire qu’il n’y a pas, par définition, de parcours initiatique sans épreuves, sans obstacles, donc sans danger, et que cette notion de risques n’est pas en adéquation avec l’époque?
Catherine Bargès — C’est exactement cela. L’essence même de votre association — son objet — va quasiment à l’encontre de la tendance dominante qui voudrait que nous contrôlions toujours tout, qui voudrait que nous soyons toujours rassurés. On ne supporte plus le «fatum». Or, reconnaissons qu’il y a quelque chose de paradoxal à vouloir envoyer son enfant un an à l’étranger sans accepter la prise de risque associée. C’est pourquoi je sens une vraie menace sur votre activité. Le paradoxe est d’autant plus important que l’on a à la fois peur du désordre, de l’inconnu et que, dans le même temps, on cultive justement une certaine forme de désordre en supprimant toute forme de verticalité et d’autorité. Dans le cas des séjours qui nous intéressent, si vous omettez par exemple de tenir compte de la famille d’accueil, en considérant que l’enfant est l’unique référent, vous risquez de perdre toute maîtrise et tout contrôle.
Trois Quatorze — L’idée pour un participant de rester en permanence connecté à son pays d’origine — et notamment à ses parents naturels — (ou inversement), fait selon nous partie de ce processus de sécurisation. En tant que famille d’accueil, souffrez-vous de cela ?
Catherine Bargès — Il est certain que les jeunes passent beaucoup de temps à communiquer, au téléphone ou via internet, avec leur famille naturelle ou avec leurs amis, et que cela complique leur intégration.
Trois Quatorze — C’est vrai au niveau linguistique. C’est vrai aussi au niveau relationnel. Les participants ont tendance à croire que leur problème va se résoudre depuis leur pays d’origine. Quand ils sont aux usa, ils attendent qu’une solution miracle leur parvienne de l’autre côté de l’Atlantique, au lieu de la rechercher dans leur entourage, auprès de ceux — famille, amis, délégués — avec qui ils vivent.
Catherine Bargès — Et cette façon de faire n’est, qui plus est, pas très agréable à vivre pour une famille d’accueil.
Henri Keraudren — Il est vrai que cela peut être perçu par la famille d’accueil comme une façon de «ne pas jouer le jeu». Je m’efforce pour ma part, avec mon fils qui est actuellement aux États-Unis, de limiter autant que faire se peut les communications. Je crois vraiment que plus le participant conserve de relations avec son pays d’origine moins il est amené à en établir dans son pays d’adoption. Je pense que la multiplication des connexions peut être très néfaste et interférer très négativement sur le séjour. Je pense, de toute façon, que toutes nos structures sont touchées, on peut même dire «attaquées» par les moyens de communication moder-nes : y compris nos structures de gouvernement, de direction…
Nous disposons de tous ces outils nouveaux pour le meilleur et pour le pire. Il est très difficile aujourd’hui d’avoir des processus de décision réfléchis, des processus qui nous permettent de prendre le temps de s’arrêter, de réfléchir sereinement, sans être bombardés de données dans tous les sens. Il y a des interférences de toutes parts, les messages nous parviennent de tous les côtés, par e-mails, par internet, par téléphone, par skype, par les réseaux sociaux. Au final, le général est noyé dans le détail, l’essentiel dans le superflu ou l’anecdotique. Toutes ces informations se télescopent et le processus de maturation est mis en danger. En gros, on est forcé de réagir en permanence, de donner son avis… on est dans la surréaction permanente. J’ai eu la chance dans mon activité (NDLR: officier de marine) de connaître deux types de communication très différents. Il y a encore dix ou quinze ans, quand on envoyait un message, on le calibrait, et on avait le temps à sa réception de le déchiffrer et de l’analyser posément. Aujourd’hui, en l’espace de quatre minutes vous recevez de quatre sources variées, quatre informations différentes — et parfois contradictoires — auxquelles on vous demande de réagir à la seconde. Ajoutez à cela les problèmes inhérents à la remise en cause des structures de pouvoir et d’autorité et vous arrivez à un gros « pataquès », à une impossibilité de prendre les décisions sereinement. Cette nouvelle forme de communication traverse toutes les sphères de la société, mais dans le cadre des échanges d’adolescents, j’imagine que ces tout nouveaux moyens dont on dispose peuvent se transformer en outils dangereux. Le poison de l’instantanéité, dans le cas de PIE, peut s’avérer vénéneux!
Trois quatorze — Vous mettez le doigt sur un vrai problème. En moins de quinze ans, l’activité à ce niveau a totalement évolué. On pourrait dire, en caricaturant, que les parents naturels aujourd’hui sont au courant d’un problème avant même qu’il ne survienne. Les parents et leurs enfants peuvent être — et sont souvent — connectés en permanence. Nos circuits classiques d’informations sont donc court-circuités et le rôle de médiateur des organismes est, par la force des choses, perturbé et affaibli, voire annihilé. Pour bien faire, il nous faudrait vraiment aller « plus vite que la musique ».
Catherine Bargès — La seule parade à cela consiste à ouvrir de plus en plus de parapluies…
Henri Keraudren — … ou à établir un code de déontologie plus strict.
Trois quatorze — C’est ce que l’on fait en affinant en permanence la «Charte du participant», mais cela va parfois à l’encontre du bien-être de tous. Et cela ne supprime pas toutes les menaces.
Henri Keraudren — En permanence, on enlève au séjour un de ses intérêts principaux, à savoir: mettre le jeune face à ses responsabilités, lui apprendre à les affronter, à prendre des décisions… en un mot: l’aider à grandir! (NDLR — lire à ce propos ci-dessus: All by yourself, impressions d’une participante au programme d’une année aux USA).
Trois Quatorze — Revenons à l’accueil proprement dit. Qu’est-ce qui vous paraît essentiel à une bonne relation?
Henri Keraudren — Le fait de partager le quotidien, de la façon la plus simple possible. La meilleure parade à toute cette vie virtuelle, qui existe et contre laquelle de toute façon on ne peut pas lutter, c’est le «vivre ensemble»: les petits-déjeuners, les repas partagés, les vacances, les jeux : les petites choses… Entretenir une certaine vie commune permet de garder le fil.
Article paru dans le Trois Quatorze n° 52