L’école est au centre des préoccupations de ceux qui vivent -parents et enfants- l’expérience d’une année à l’étranger. Après avoir souvent questionné et écouté les jeunes sur ce sujet, 3.14 se devait d’interroger les responsables de notre école.Que pensent-ils de l’accueil des étrangers, sont-ils favorables à la coupure d’un an dans une scolarité ? Envisageraient-ils eux-mêmes ce genre de séjour pour leur enfant ? Madame Delbègue et Monsieur Guittet, respectivement proviseur et proviseur adjoint de deux lycées du Mans – lycée marguerite Yourcenar et lycée Montesquieu – nous donnent leur opinion sur les échanges internationaux. Ce double entretien dépasse le cadre de nos programmes pour aborder celui plus vaste de la singularité de notre enseignement. l’école française doit-elle s’inspirer des autres écoles ? Y a-il ou non un malaise scolaire ? Les avis sur ces ponts restent partagés.
Combien de jeunes étrangers avez-vous reçus dans votre école ?
Mme Delbègue. Une bonne dizaine. Une ou deux par an en moyenne.
M. Guittet. 16 ou 17 depuis 4 ou 5 ans.
Y a-il un jeune dont vous vous souveniez plus particulièrement ?
M. Guittet. Je pense au jeune Suédois que nous avons reçu il y a deux ans. C’était un élève très brillant. Et José qui était là l’an passé. Il était spécialement ouvert et sympathique. Il venait nous voir pour discuter des problèmes. Il prenait un peu en charge les autres étrangers. C’était un médiateur. On le remarquait. C’était aussi un sourire dans l’école.
Mme Delbègue. Jan, un jeune allemand. A peine arrivé il s’est présenté pour être délégué. Il avait été élu, c’était une personnalité.
Tous les échanges et tous les contacts
Ne peuvent être que favorables
Ces jeunes étrangers ont-ils apporté quelque chose à vos écoles ?
M. Guittet. Le fonctionnement de notre école ne permet pas forcément de contacts avec l’ensemble des lycéens. Mais au niveau des classes qui les accueillent, je crois qu’ils apportent beaucoup (connaissances et mentalité), leur présence nous bouscule un peu.
Mme Delbègue. Tous les échanges et tous les contacts ne peuvent être que favorables. Pour d’autres raisons et dans un autre cadre que le vôtre nous avons reçu d’autres élèves étrangers. Nous accueillons en ce moment des réfugiés vietnamiens. Des expériences s’avèrent toutes profitables. Pour les élèves en question, bien entendu, mais aussi pour tous les membres des classes qui les reçoivent et qui les intègrent. Leur regard nous révèle beaucoup de choses.
Comment sont-ils reçus par le corps enseignant ? y a-t-il évolution des relations entre les professeurs et ces élèves depuis quelques années ?
M. Guittet. Un petit temps d’adaptation a été nécessaire. Mais la surprise est passée et je pense qu’aujourd’hui les professeurs ont bien compris la place que pouvaient tenir ces jeunes. Ils ont senti la nécessité d’un accueil un peu différent, d’une nécessaire mise en confiance. Ils sont très coopérants.
Mme Delbègue. Dans l’ensemble ces jeunes sont très bien reçus. Mais je ne crois pas que l’on puisse parler d’évolution. Si d’une année à l’autre il y a des différences dans la façon de recevoir ces étudiants, elles sont dues avant tout aux individus en présence (caractères et qualités des élèves étrangers et des professeurs)
Et aux matières enseignées. Car un professeur de mathématiques ne peut pas intégrer de la même façon un jeune étranger que ne le fait un professeur d’anglais. On ne peut pas parler de progrès en ce domaine. Il y a cinq ans il y avait le même enthousiasme.
l’école française peut-elle et parvient-elle à utiliser le potentiel propre à ces élèves ?
Mme Delbègue. En langue oui, c’est évident. Dans les autres matières, c’est sans doute plus complexe, mais parfois possible. d’un point de vue social, j’ai le souvenir de ce jeune Allemand qui s’est fait élire délégué de sa classe et qui avait une tout autre approche des relations avec les professeurs et l’administration. C’était, pour nous, à la fois intéressant et enrichissant.
M. Guittet. l’utilisation de ce potentiel dépend avant tout des individus et des personnalités. Avec un élève un peu réservé, les contacts sont forcément plus difficiles et le temps est peut-être un peu court pour « utiliser » toutes les possibilités de l’élève. Mais dans le cas de José et du jeune Suédois dont nous parlions tout à l’heure, ils ont pu intervenir de façon très utile dans la classe et dans l’école.
Il faut faire de petites adaptations
Devez-vous faire des efforts particuliers d’aménagement pour ces jeunes ?
Mme Delbègue. Non, on ne peut pas parler d’efforts. Mais il faut, c’est vrai, faire de petites adaptations. Il me semble qu’on ne peut pas contraindre un élève étranger à suivre tous les cours. d’abord parce que l’emploi du temps d’un lycéen français est beaucoup plus chargé que celui d’un jeune étranger et qu’il serait difficile à ce dernier de s’adapter immédiatement à ce nouveau rythme de travail, et ensuite pour des raisons de motivation. Il est souvent bien plus efficace que le jeune en question abandonne une ou deux matières. Il pourra ainsi se consacrer pleinement aux autres cours et à l’apprentissage du Français. Mais attention, une fois que cet emploi du temps, le plus souvent allégé, aura été mis en place, l’élève étranger devra le respecter comme un élève français. On doit travailler un peu à la carte, mais être rigoureux dans l’application.
M. Guittet. Au niveau du choix de la classe, du choix de la section et de l’organisation du temps, nous faisons preuve de beaucoup de souplesse. Au niveau des cours eux-mêmes, les professeurs essaient, dans la mesure où c’est nécessaire et possible, de donner des exercices appropriés et des devoirs plus adaptés. Des efforts sont faits de chaque côté.
Quelles sont les grandes difficultés que vous rencontrez ?
M. Guittet. l’adaptation de l’enseignement de ces élèves est très délicate dans les matières scientifiques. Pour des raisons que l’on connaît (niveau élevé, classes et programmes chargés, examen…) un professeur de section scientifique peut difficilement ralentir son cours et individualiser son enseignement. Or le niveau des jeunes étrangers (généralement moins élevé que celui des jeunes français) demanderait de tels ajustements. Ce décalage, difficilement rattrapable, est un handicap.
Plus globalement nos programmes ne sont pas toujours adaptés à ces élèves. Ils exigent des techniques particulières pour le résumé, la dissertation…, qui préparent au bac et qui, si elles ne sont pas comprises et intégrées peuvent rendre l’enseignement un peu hermétique pour ces élèves étrangers. Par moments les décalages entre les systèmes pédagogiques peuvent rendre l’accord entre élève étranger et l’enseignement un peu difficile. Il y a quelques pertes d’énergie.
Mme Delbègue. La différence vient essentiellement du principe de l’enseignement à option qui prévaut dans la plupart des autres pays et qui est à l’origine de la relative faiblesse de ces élèves étrangers dans certaines matières, scientifiques notamment. C’est pour cette raison que peu de sections leur sont vraiment bénéfiques et c’est également pour cette raison qu’il faut être prêt à modifier légèrement leur emploi du temps – pour leur bien et pour celui de l’école. Parfois, d’ailleurs, ils sont très pointus dans certains domaines. Je pense à une élève de 16/17 ans que nous avons pu inscrire dans un cours en lettre supérieures.
La première L est une classe assez adaptée aux élèves étrangers.
Quel est l’âge, la classe et la section idéale pour ces échanges ?
M. Delbègue. La seconde, parce qu’elle est indifférenciée, est souvent trop chargée en heures de cours et en matières – elle oblige l’élève à se consacrer sérieusement aux matières scientifiques. C’est donc une classe peu adaptée aux jeunes étrangers. l’année de terminale est faussée par le baccalauréat. Les élèves français se focalisent sur l’examen et sont peu disponibles pour les jeunes étrangers. l’idéal est la classe de 1ère.
M. Guittet. 16/17 ans est un bon âge. Il correspond à la classe de première dans laquelle nous les plaçons quasi systématiquement. A quelques exceptions près, c’est la classe qui correspond le mieux à leurs capacités et surtout à leurs motivations. Mais ils suivent souvent un cours en seconde ou en terminale. Et si dans le courant de l’année nous sentons qu’un changement de classe peut être utile, nous sommes prêts à l’envisager. Nous en discutons avec Mme Billon (la déléguée) avec l’élève et avec sa famille française. Sans établir de règle, car tout dépend bien sûr de l’élève, on peut dire que la première Littéraire est une classe assez adaptée aux élèves étrangers.
La longue durée vous parait-elle une donnée importante ?
Mme Delbègue. Quand ils arrivent ici les jeunes ne connaissent le français qu’approximativement. S’ils devaient repartir qu bout de deux mois, ils ne retiendraient pas grand-chose. Ce ne serait pas vraiment utile. La durée d’une année pleine implique un réel investissement et de vrais résultats.
M. Guittet. Il faut un bon trimestre pour s’adapter. Une expérience plus courte n’est donc pas très valable. Le fait de respecter le cycle scolaire de base (une année) est déterminant dans l’entreprise. Le jeune étranger qui fréquente le lycée de septembre à juin ne se considère pas et n’est pas considéré comme un visiteur. C’est un élève à part entière.
l’élément étranger est important et motivant.
Peut-on tracer un bilan de ce type de séjour, pour l’école et pour l’étudiant ?
Mme Delbègue. C’est bon pour tous. Les apports sont nombreux. Quant aux difficultés importantes, s’il y en a, il me semble que le jeune étranger les rencontre plutôt à l’extérieur de l’école que dans l’enceinte du lycée.
M. Guittet. Humainement c’est une grande expérience pour notre école. Si nous l’avons renouvelée, c’est parce qu’elle est passionnante et riche en enseignement. Je pense surtout à la mentalité. Notre lycée fonctionne de façon assez classique (horaires, rythmes, matières, résultats…). C’est un lycée qui ne bouge pas beaucoup. l’élément étranger est donc important et motivant. Chacun de ses élèves avec ses différences nous incite à nous ouvrir. Leur présence pimente la vie de l’école, c’est un élément positif. Une étincelle. Cette année par exemple nous allons faire une sorte de « yearbook ». a notre façon certes, mais cette idée nous a été inspirée par ces échanges.
Etes-vous favorables au départ des jeunes Français à l’étranger ?
M. Guittet. Cela n’est pas une mauvaise chose. S’ils sont bien préparés et s’ils sont bien conscients de ce qui les attend, c’est tout à fait favorable.
Mme Delbèque. Je n’ai pas beaucoup d’exemples. A priori c’est une bonne chose. J’émets simplement des réserves sur les séjours dans l’hémisphère sud (en raison du décalage entre les calendriers). Et je ne crois guère à la possibilité, de poursuivre ses études françaises à l’étranger. Je mets en garde les parents qui voudraient que leur enfant continue à étudier leurs cours de français, dans l’idée de faire valider quelques unités de valeur à leur retour ou de gagner une année. Je crois qu’il faut faire une croix dessus et se consacrer pleinement à l’autre enseignement.
Peut-on définir les avantages et les désavantages d’un tel séjour ?
M. Guittet. La connaissance d’une langue, d’une culture et d’un système éducatif.
Mme Delbègue. Les jeunes apprennent beaucoup du point de vue scolaire…et ils apprennent surtout à se connaître. Mais je conçois que ce soit un choix difficile. Je sais que les jeunes et leurs parents sont obnubilés par cette histoire d’année de retard. Mais je me demande si c’est très important. Quand on compare les acquis avec le fait de passer son bac un an plus tard, je crois qu’il faut relativiser la chose.
En dehors de la motivation linguistique, je ne suis pas sûr que la destination soit fondamentale.
Les parents, et cela se comprend, sont inquiets pour la réadaptation de leur enfant en milieu scolaire. Qu’en pensez-vous ?
M. Guittet. Nous manquons de références pour juger valablement. Je pense que le niveau de l’élève et sa maturité avant le départ sont déterminants dans cette réadaptation. Il est possible que certains élèves soient perturbés. Mais là encore je crois que la réadaptation est plus facile si l’on est parti une année entière que si l’on a quitté le lycée pour une courte période. La réadaptation en cours d’année est presque impossible. Et cela peut poser des problèmes en cas de retour prématuré.
On estime que moins de 0,1 % des élèves Français tentent l’expérience d’une année à l’étranger. Dans les pays nordiques, le pourcentage est près de 20 fois supérieur. Pensez-vous qu’il faille s’orienter vers une augmentation de ces échanges ?
Mme. Delbègue. Personnellement je suis favorable à leur développement.
M. Guittet. Le redoublement est un frein très important. Il n’existe quasiment qu’en France. Les parents ne veulent pas prendre le risque de faire perdre, entre guillemets, une année à leur enfant, en sachant qu’ils ont ou qu’ils peuvent redoubler à tout moment. Les familles sont très focalisées sur l’âge auquel on doit terminer ses études. Ajoutez à cela un peu de méfiance (vis-à-vis d’une expérience à l’étranger…)et vous comprendrez ce décalage entre notre pays et les autres pays. Il serait bon de tenter de le combler.
Si vous aviez un enfant en âge de partir, l’inciteriez-vous à le faire ?
M. Guittet. Oui, je pense.
Mme Delbègue. Je n’aurais pas besoin, je crois, de l’y inciter. Pour être très franche, je serais un peu inquiète si cet enfant devait partir à plus de trois mille kilomètres (Australie, Brésil…), mais en deçà des très longues distances, j’y serais plutôt favorable. S’il devait partir, j’inciterais mon enfant à ne pas négliger de travailler scolairement la langue du pays qui le reçoit. Je trouve dommage que les jeunes se contentent du langage parlé qu’ils acquièrent finalement relativement vite. Ils devraient profiter de leur année pour étudier vraiment la langue en profondeur (lire, écrire, …)
Si vous dirigiez PIE, dans quelle direction développeriez-vous les échanges ? De quelles manières chercheriez-vous à les améliorer ?
Mme Delbègue. Je chercherai à ouvrir et à développer un département d’échanges avec les pays de l’Europe du centre. Notre école serait tout à fait prête à accueillir des jeunes Tchèques ou Hongrois. Les familles, j’en suis persuadée, seraient prêtes à les recevoir. Quant aux jeunes qui veulent partir je m’étonne toujours qu’ils soient focalisés sur les Etats-Unis et qu’ils ne veuillent pas sortir des sentiers battus.
M. Guittet. Il faudrait tenter de développer les relations avec l’institution scolaire et notamment avec les rectorats. Il est plus simple et approprié d’impliquer le rectorat que le ministère dans ce genre d’initiative. Des contrats peuvent êtres établis. On pourrait se diriger vers des conventions de partenariat.
Pensez-vous qu’il y ait un système scolaire dont la France pourrait sinon se rapprocher, du moins s’inspirer ?
Mme Delbègue. Ma réponse sera nette. Cela fait vingt ans qu’on entend dire du bien des autres enseignements et que l’on démolit à coup de pioche un enseignement, le nôtre, qui était excellent. Il y a des problèmes, c’est évident. Le système doit vivre et évoluer c’est vrai, mais je ne vois pas pourquoi nous devrions nous inspirer d’un autre modèle et torpiller nos propres institutions. Nous devons faire nos propres aménagements en tenant compte du fait que notre système est le résultat d’une expérience et d’une belle tradition. Nous devrions plutôt faire de la propagande pour montrer les mérites qu’a ou du moins qu’avait notre système. Des Japonais ont visité récemment ce lycée. Ils ont été soufflés par les équipements qu’ils ont vus. d’autres ont été totalement étonnés par le niveau de nos élèves en mathématiques. On ne doit pas partir avec l’idée que l’on est nul et que l’on doit faire ce que font les autres. Les échanges n’ont pour tout ni d’uniformiser les systèmes et les gens ni d’aplanir les différences.
M. Guittet. Je pense que l’on pourrait regarder du côté du système quevécois. Le principe de développer un projet éducatif propre à un établissement est plein de promesses. Il s’agit de définir des objectifs prioritaires et de déterminer les moyens de les atteindre. Je suis par contre un peu réticent à l’idée de recruter sur la base d’un tel projet éducatif, car je pense qu’il peut se construire avec les gens qui vivent à l’intérieur d’une école et qu’il doit évoluer avec eux. Je pense également que l’éducation va se diriger vers le partenariat avec l’entreprise, et avec des associations comme les vôtres. De toute façon l’éducation est amenée à bouger en profondeur. Et ce, dans un futur relativement proche.
Article paru dans le journal Trois-Quatorze n°17