Trois quatorze a réuni autour d’une table Isabelle, Yvette, Cyril, Bénédicte et Olivier (cinq anciens participants) et leur a demandé, dix ans après, d’établir un bilan de leur séjour.
Le tour de table s’engage par une courte présentation. Isabelle est partie en 86, dans le Wisconsin (près de Chicago) – elle avait 15 ans et demi. Elle fut accueillie par la famille Noah – son ‘père’ était pasteur. Olivier est parti en 84 à Marysville, dans l’Ouest des États-Unis (état de Washington) – il avait 18 ans – il vivait dans une réserve d’Indiens chez la famille Harkins. Cyril est parti à 15 ans (en 85) chez les Oldman, dans le Michigan (Grand Rapids). Yvette, elle, avait 18 ans – c’était en 86, elle vivait chez les Taggart, à Branwood (petite ville au beau milieu du Texas). Quant à Bénédicte c’était en 85 – elle avait 17 ans – elle fut accueillie dans la région de Seattle, par la famille Morgan.
On convient de ne pas trop parler du bon vieux temps, ni de l’expérience en elle même. Chacun tente, au delà du souvenir et de la nostalgie qui l’accompagne, d’établir des ponts entre ce qu’ils étaient et ce qu’ils sont devenus.
LE PARCOURS DEPUIS LE RETOUR. Isabelle se remémore sa classe de Première, sa Terminale et son bac A2, elle glisse sur ‘les problèmes avec la famille,’ revient rapidement sur son année de travail dans une librairie, son BTS édition et son retour à la Fac où elle termine actuellement une licence de psychopathologie. Olivier, ‘directement catapulté’ à son retour dans le cycle supérieur, résume un parcours à priori plus classique, même s’il le définit lui même comme ‘chaotique’ : ‘Trois années d’études de communication, une armée qui me prend au vol, un retour aux études pour une quatrième année de communication, une période de recherche d’emploi un peu confuse (environ 1 an et demi) et puis la création d’une société avec un copain. Une société dans laquelle je suis toujours et qui évolue plutôt positivement.’ Le chemin de Cyril est plus linéaire : ‘J’ai fait une Première et une Terminale, un Bac E, puis un BTS de trois années d’Hôtellerie-Restauration. J’ai travaillé ensuite dans différents hôtels en France, en Écosse et aux États-Unis. Je continue dans cette filière.’ À son retour Yvette a directement intégré la fac (cursus Économie – Gestion) d’où elle est ressortie avec une maîtrise (Bac +4). Elle évoque ‘La période de chaos’ qui a suivi, les divers emplois ‘Pas très probants’ qu’elle a eu et ce qu’elle fait depuis maintenant un peu plus d’un an. ‘Je travaille chez ‘Virgin-Megastore’ au rayon Jazz. Et je crois que j’ai trouvé ma voie dans la musique’. ‘Moi c’est incroyable’, nous dit Bénédicte, ‘je suis partie avec PIE il y a dix ans et j’y suis revenue, puisque maintenant j’y travaille’. Mais, entre ces deux passages, la boucle est vraiment bien bouclée : Licence d’histoire, séjour d’une année au Brésil, travail chez Europ-Assistance où PIE vient la débaucher.
SI VOUS N’ÉTIEZ PAS PARTI QU’AURIEZ VOUS FAIT ? ‘ J’ai souvent pensé à ça’, dit Olivier, ‘Et je crois pouvoir dire que je serais resté avec mes objectifs du moment du départ. J’étais un petit lycéen qui était bon en anglais et je m’étais fait à l’idée de devenir professeur d’anglais. J’avais, au fond de moi-même, la vague idée de devenir journaliste, mais je n’osais me l’avouer. C’est là-bas que les choses se sont franchement réveillées. Ma mère américaine m’a demandé un jour ce que je voulais faire, j’ai répondu que j’aurais bien aimé être journaliste. Elle m’a dit : ‘Pourquoi j’aurais bien aimé et pas je veux être…?’. Alors on a pris un crayon, un papier et on a créé un petit journal. Elle m’a totalement conditionné au fait que j’en étais capable. J’ai bien mis un an à le comprendre et à l’admettre. Et un an après j’ai intégré le CELSA. Sans cette année je crois que je me serais laissé porter.’
Pour Yvette c’est différent : ‘Parce que de toute façon je serai partie. Avant mon départ j’avais vraiment l’impression qu’il ne s’était rien passé dans ma vie. C’était la routine, le vide !Un vide que tous les jeunes autour de moi ressentaient. Donc, pour moi, ce départ c’était comme une obligation, un besoin. Quelque chose d’incontournable – et si je n’avais pas croisé PIE j’aurais essayé de vivre la même chose autrement.’
Cyril ne sait pas s’il aurait fait autre chose mais pense que de toute façon il l’aurait fait différemment : ‘Durant mes études, par exemple, j’ai dû faire des stages. Dans ma promotion je suis le seul à avoir accepté de les faire à l’étranger. C’est bien parce que j’avais déjà appris à partir. Si tel n’avait pas été le cas, tout porte à croire que je n’aurais pas réagi comme je l’ai fait’.
Cyril demande ensuite à Olivier s’il estime que, sans être parti un an aux USA, il aurait tout de même créé son entreprise. Olivier avoue, là encore, s’être souvent posé la question, mais ne pas être capable d’y répondre. La discussion s’engage pour savoir si l’esprit d’entreprise des Américains est la cause principale de l’engagement d’Olivier. Bénédicte (qui est partie vers deux destinations très différentes) soutient que le fait d’acquérir cet esprit est plus inhérent au fait d’être parti qu’à la destination choisie. ‘La preuve c’est que finalement Olivier n’est pas journaliste mais chef d’entreprise. S’il était parti au Brésil il aurait peut être fait du chant, mais ne serait sans doute pas devenu chanteur, mais également entrepreneur.’
EST-ON FIER DE CETTE ANNÉE PASSÉE A L’ÉTRANGER ? Tous en choeur, et sans hésiter, répondent ‘Oui’. Puis ils nuancent : ‘Mais c’est vrai que pour nous ça s’est bien passé’. Yvette ajoute : ‘C’est une source d’énergie que j’ai en moi, quand ça ne va pas, je puise dans cette année là. Quand je regarde mon passé et que je n’ai pas le moral, il reste ça, cette lumière : l’année 86-87. C’est un repère indéniable pour moi, un point plein de bonne énergie. Après ma maîtrise, par exemple, je ne savais pas quoi faire, je ne trouvais rien et je me trouvais nulle. Et bien, je me suis souvenue que j’avais été capable de partir, de me bousculer. J’en étais fière et j’ai eu envie de relancer une nouvelle aventure. Après cette année, on se sent capable de faire le tour du monde’.
Olivier : ‘Je sais qu’en partant je n’étais pas quelqu’un de très courageux mais que cette année m’a réveillé et qu’elle me réveille encore. Même si je ne suis pas, en théorie, un super dynamique ni un super entrepreneur, aujourd’hui je finis par me forcer et par faire les choses. Aux moments charnières de ma vie, il y a toujours le souvenir de cette année, de tout ce que j’ai pu faire alors qu’à priori je ne me sentais pas capable de les faire. Cette année me permet encore de me remettre en question.’
Bénédicte : ‘Contrairement à ce qu’on peut croire, je pense qu’on a vécu une vraie aventure. On ne cesse de rassurer les parents en disant qu’on est encadré et tout et tout… C’est vrai… Mais en même temps, on a su s’adapter à toutes les situations dans un milieu tout à fait étranger. Je suis sûre aujourd’hui que, quelque part, c’est plus facile de prendre son sac à dos et de bouger tous les 15 jours que de faire l’effort de s’intégrer. La véritable aventure c’est celle de la vie quotidienne.’
Isabelle : ‘Je suis assez fière parce que je me sens un peu différente des autres et que c’est très commode d’être légèrement différente. J’ai un petit quelque chose avec moi, ou en moi (être partie un an) qui me suffit à être repérée. Je sais que grâce à cette année on me considère un peu mieux.’ Tous s’accordent à voir dans ce séjour, une sorte de ‘case départ’ où, comme dans un célèbre jeu de société, on repasse régulièrement afin de se refaire une petite santé. Si dans le jeu en question on se renfloue, ici on vient regonfler son moral, à coup de fierté, d’expériences accumulées et d’enthousiasme. Pour Bénédicte, la vraie référence c’est son année au Brésil, mais elle sait que sans le premier départ il n’y aurait pas eu le second. Isabelle est catégorique : ‘À partir de là, ma vie a été claire, elle s’est échelonnée naturellement.’ Et même si on tempère un moment l’enthousiasme en se rappelant que l’année intervient en pleine fin d’adolescence (et que cet âge est de toute façon celui des grands virages), on est d’accord pour dire que ‘plus le temps passe, plus notre année devient centrale et majeure’. ‘Il y a avant et après’ dit Bénédicte. ‘Depuis deux ans c’est une vraie référence’, ajoute Olivier, ‘parce que, maintenant que je suis stabilisé je regarde les dix dernières années et je mesure l’influence de ce départ.’ D’une façon ou d’une autre ce séjour vous aiguille et vous met sur un chemin !
QUELLE EST, POUR VOUS ET À DISTANCE, LE PLUS GRAND ENSEIGNEMENT DE CETTE ANNÉE ? On apprend à se refaire, à repartir de zéro. On apprend à affronter du nouveau, du neuf. On a moins peur des nouvelles têtes et des nouvelles situations. On aiguise énormément son sens du relationnel.’
Yvette parle encore de la notion de frontière franchie et de la confiance qu’elle a acquise après cette année : ‘Maintenant on frime, mais quand on arrive là-bas c’est quand même les pétoches. Je me souviens du premier jour quand on m’a déposée devant l’école, et que je me suis retrouvée dans une classe où je connaissais moins que personne et où je ne discernais pas un mot dans la langue… Vraiment j’étais pas fière. Je me suis dit :’Mais Yvette, qu’est ce que tu fais là ?’ Et souvent j’y repense. De même je me souviens du jour du départ. J’étais toute seule chez moi. Au moment de prendre mes valises, j’ai hésité, j’ai pensé qu’elles étaient trop lourdes pour moi et qu’il valait mieux rester là. Et puis je suis partie et j’ai survécu. Alors maintenant je me dis que rien ne peut m’arriver de plus terrible. Je sais que j’ai été courageuse et que ça a payé.’
Bénédicte dit avoir appris à ne pas relier l’idée du changement (le départ ou un autre changement) à quelque chose de négatif : ‘Adolescente, comme tout le monde, j’ai associé le départ à une fuite. On part au moment où on ne s’aime pas, où on a pas envie, où on est pas content. Et puis là-bas on découvre qu’il y a toujours des choses à découvrir et que la vie peut être bien. Et cet enseignement reste valable tout le temps. Aujourd’hui je sais qu’on peut changer même quand ça ne paraît pas indispensable, et qu’il ne faut pas confondre départ et fuite.’ Et c’est comme ça que Bénédicte est repartie vivre un an au Brésil en 89.
Pour Isabelle, qui est partie très jeune, l’année à l’étranger a été celle du plus grand des apprentissages : ‘Là-bas je me suis réellement construite. Au départ, je ne savais pas très bien qui j’étais et ce que je voulais faire. Et au retour, j’étais très déterminée et rien ne pouvait m’arrêter. Après je me suis mieux écoutée et j’ai suivi mon propre chemin. J’ai d’abord travaillé (un peu contre l’avis de ma famille, qui voulait que je fasse des études). J’ai appris aussi à sentir et à comprendre qui j’étais et à me faire confiance. Aujourd’hui je sais qu’ailleurs il n’y a pas d’ailleurs, que l’ailleurs il est en moi et que c’est moi et moi seule qui peux le construire.’
‘On apprend aussi la tolérance. Surtout aux États-Unis. C’est un pays sur lequel on a beaucoup d’à priori. Or, une fois là-bas, on découvre qu’on vit au milieu d’humains et qu’un pays c’est plus compliqué que les à priori nous le laissent croire.’
Cyril et Olivier reviennent sur les propos d’Yvette : ‘On aiguise énormément son sens du relationnel et son intuition. On apprend fort à communiquer.’ Cyril reconnaît encore avoir appris à prendre des décisions, (surtout dans des conditions difficiles). Il parle notamment de la décision qu’il a dû prendre récemment de revenir des USA où il avait trouvé un travail. Olivier continue en des termes plus abstraits : ‘C’est comme une teinte, quelque chose de général et d’indélébile qui vous influence toujours. J’ai appris là-bas à aller jusqu’au fait, à mettre en pratique. Avant j’étais du côté du : ‘Non je ne le fais pas, on sait jamais ! ‘Tout à l’heure encore je disais que je n’avais pas un caractère d’entrepreneur, alors que je le suis. C’est stupide et c’est quelque chose qui est au fond de moi (de penser ça) et contre lequel j’ai appris, durant mon année, à résister.’ Bénédicte conclut ce chapitre par cette réflexion : ‘J’ai vraiment appris à croire en ma bonne étoile. Puisque j’avais pris un risque et que, finalement, tout s’était bien passé’.
ETRE PARTI UNE ANNÉE, EST-CE QUE ÇA VOUS RAPPROCHE ? Bénédicte : ‘J’ai beaucoup d’affection pour ceux qui ont fait ça. C’est un peu bête, mais c’est comme si on avait vraiment quelque chose en commun.’ Cyril : ‘On a cette culture qui nous rapproche et qu’on aime se rappeler. On a des références communes, on a vécu les mêmes galères.’ Yvette : ‘C’est comme une communauté de pensée. On a forcément des choses à partager.’
IL Y 10 ANS. On ressort les fiches d’inscription (elle datent de 84 à 86) et on les regarde. Chacun, alors, y va de son commentaire. Yvette :’Quelle horreur !’ Tu m’a sorti une photo horrible. C’était vraiment une mauvaise période de ma vie – j’étais super mal dans ma peau (rires).’ Cyril : ‘Hou là là ! J’ai déjà pris 10 kilos’. Yvette, encore, en regardant son écriture : ‘Dis donc, je m’étais appliquée’. Bénédicte remarque que 10 ans après elle fait toujours du volley et prétend qu’elle est toujours aussi mal coiffée ! Yvette, toujours, éclate de rire en voyant la photo d’Olivier puis revient sur la sienne et ajoute : ‘Je suis vraiment immonde là dessus.’ Olivier remarque que les numéros de téléphone avait seulement 7 chiffres. ‘Tu vois, Béné, aujourd’hui tu poserais pas pareil.’
Yvette (décidément) se remémore le jour où elle a rempli sa fiche : ‘Je l’ai fait en cachette. Mes parents n’étaient au courant de rien. Comme ils n’avaient pas les moyens je n’osais pas leur en parler. Je suis allée à l’interview sans en avoir parlé à personne et sans y croire. Mais quand je suis sortie, je me suis dit que ce serait possible. C’était une structure assez familiale, compréhensive et j’étais pleine d’espoir.’ Olivier a du ‘traîner les parents’, qui ont finalement’été séduits par l’idée.’
Isabelle ne sait plus comment l’idée de ce séjour a germé : ‘L’envie m’est venue comme ça… Un beau jour ça m’a paru évident.’ Elle se souvient que son père, par la suite, a fait les démarches pour choisir l’association. Pour Bénédicte les choses se sont enchaînées tout aussi naturellement (un article, des renseignements, une inscription). Cyril lui, se souvient que sa mère l’a réveillé un matin en lui disant : ‘Il y a une réunion cet après-midi pour partir un an’. Il pense que sa mère aurait tellement aimer vivre cette expérience qu’elle a ‘mis une grande énergie à préparer son départ.’
LE RETOUR. Yvette : ‘Là-bas j’étais quelqu’un d’important, j’avais beaucoup de monde autour de moi. Je comptais. Ça m’a rendu forte et ça m’a donné beaucoup d’énergie au retour. ‘C’est vrai, mais en même temps, ça peut être dur’, ajoute Bénédicte,’parce qu’en revenant tu te rends compte que les gens en France ont eux aussi évolué – qu’eux aussi ont des choses à dire et que finalement tu n’es pas quelqu’un de si important’. Isabelle revient sur ses propos de tout à l’heure : ‘En fait, au retour j’ai beaucoup souffert de la différence que j’avais avec les autres Français car je ne l’avais pas voulu. Autant en partant je l’avais recherché autant en revenant en France je ne m’attendais pas à être remarquée’.
QUE VOULIEZ-VOUS FAIRE À VOTRE RETOUR ? Yvette : ‘Je voulais être business woman. J’étais rechargée à bloc. J’avais une énergie positive qui me poussait à avoir de grandes vues. À mon retour, mes parents étaient très fiers. Aujourd’hui ils sont un peu déçus. Ils pensaient que je serais plus ambitieuse professionnellement. Mais pour moi c’est particulier : le séjour reste un peu tabou ! Non seulement je n’ai pas réalisé de choses éclatantes mais en plus j’ai pris une indépendance un peu définitive en partant. Ma famille est portugaise, très resserrée, et à partir du séjour ma mère pense que je lui ai échappé. Alors on en parle plus.’ Cyril revient sur les ambitions au moment du retour : ‘Je crois que l’énergie se dilue un peu avec le temps. On prend des grandes décisions dans les mois ou les années qui suivent et après on oublie un peu, on devient plus casanier.’ Isabelle contredit ce jugement : ‘J’ai longtemps pensé la même chose. J’avais envie de faire des grandes choses. Mais maintenant j’essaie de ne plus penser à ça. Les grandes choses ça ne sert à rien, ça n’a plus de sens. Ce qu’il faut c’est s’adapter à la réalité. Il y a des urgences et on se doit d’y faire face. Je n’ai plus envie de réaliser des exploits. Depuis mon séjour, je sais que je peux tout faire, mais ce n’est plus la peine que je fasse tout. Je sais où je dois aller et c’est ça qui compte.’ Une courte discussion s’engage. Bénédicte dit fonctionner de façon tout à fait différente : ‘J’ai encore de grands rêves,’ mais se sent ‘plus éparpillée.’ En même temps elle rejoint Isabelle et la comprend quand elle parle ‘d’investir ailleurs que dans des grands projets et de façon plus pertinente, l’énergie qu’elle a accumulée à l’étranger.’
UTILISEZ-VOUS BEAUCOUP VOTRE ANGLAIS ? Cyril, Bénédicte et Yvette, de par leur travail, parlent quotidiennement l’anglais. Olivier le parle également énormément. Isabelle ne parle quasiment jamais l’anglais. Elle dit avoir beaucoup perdu.
QUELS LIENS AVEZ-VOUS GARDÉS AVEC VOTRE ANNÉE ? À leur retour, tous ont gardé des contacts avec leur famille d’accueil. Pour Olivier, Yvette, et dans une moindre mesure Cyril et Bénédicte, les liens se sont maintenant distendus. Les raisons sont souvent très différentes, mais quoi qu’il en soit il semble qu’il ‘reste quelque chose de symbolique dans les liens qu’on a eu pendant un an avec un autre pays.’ Isabelle, par contre, a gardé des contacts très étroits avec sa famille : ‘Ils me manquent beaucoup.’ Elle revient sur les relations avec sa famille naturelle : ‘Mon père est très jaloux. Ils se sont rencontrés – ça ne s’est pas très bien passé – il n’y avait pas d’affinités entre eux. Je crois, en fait, que mon père s’est dit qu’il allait nécessairement aimer ceux que j’avais aimés. Or lui et eux n’ont pas du tout le même esprit, la même culture… Mon père s’attendait un peu à l’archétype de l’Amérique et de la modernité, et ma famille ce n’était pas ça du tout. Ils vivaient simplement… Et ils avaient une télé détraquée. Il s’était fait beaucoup d’idées, il a été très déçu.’ Yvette regrette un peu que, pour la plupart des parents, le séjour soit souvent envisagé comme un plan de carrière, plus que comme une façon de se construire. Mais elle reconnaît qu’elle a profité de cet argument pour convaincre les siens.
PIE ET VOUS. Bénédicte n’est pas la seule à avoir gardé le contact avec PIE. Yvette qui dit avoir vécu un rêve grâce à l’association (‘Mon père était cheminot et ma mère femme de ménage – ils n’avaient vraiment pas les moyens de m’envoyer et PIE a fait pas mal d’efforts’) pense avoir été un peu redevable vis-à-vis de PIE et dit avoir eu besoin de prolonger son rêve : ‘Je me disais que PIE avait changé ma vie et j’avais donc besoin de garder un pied là-bas, de maintenir le contact.’
VOUS ET VOS ENFANTS. Quand on leur demande si, plus tard, ils envisagent un départ pour leurs enfants, ils sont catégoriques. Yvette :’J’aimerais bien qu’ils fassent ça.’ Cyril : ‘Je voudrais qu’ils vivent quelque chose d’exceptionnel’. Isabelle :’S’il me le demandent, alors oui, je les inciterai à le faire.’ Bénédicte : ‘Une chose est sûre, j’accueillerai. Personnellement c’est le fait que ma famille ait accueilli qui m’influence le plus aujourd’hui. Nous avons reçu Kris (une Américaine) puis Sergio (un Brésilien) et chacun d’eux est pour moi un point d’ancrage. Quand rien ne va plus, je me dis que là-bas j’ai deux familles supplémentaires qui m’aiment et qu’en toutes circonstances ils seront présents.’ Yvette se souvient que sa famille d’accueil aux États-Unis a été métamorphosée par son accueil : ‘Je crois que ça leur a changé la vie. Elle conclut : ‘Mais moi aussi ça m’a changé la vie. Je me souviens que là-bas je souriais tout le temps. J’ai souri pendant un an. Tout le monde me le disait’. Et Isabelle d’ajouter : ‘C’est marrant on me disait exactement la même chose.’
Article paru dans le journal Trois-Quatorze n°22