9 VARIATIONS SUR LE THÈME DE LA PORTÉE D’UN ÉCHANGE SCOLAIRE DE LONGUE DURÉE
Illustration : “L’architecte” par Laurindo Feliciano
ENTRETIEN — De passage à Paris, c’est entre deux rendez-vous que Raul, ancien participant accueil, a évoqué pour nous l’impact de son séjour sur sa vie professionnelle. S’il se décrit comme un amoureux de la France, il n’hésite pas à revenir sur les moments durs de son expérience et à partager avec nous sa «philosophie de vie».
Année de séjour de Raul : 2002
Lieu de séjour : Mayenne, france.
École : Lycée Don Bosco
Lieu de vie actuel : Mexico
Profession : Designer de sacs à mains
Employeur : Maria Patrona
Trois Quatorze — Tu es aujourd’hui designer de sacs. Qu’est-ce qui t’a amené à faire ce métier ?
Raul — En fait, après mon année en France, je devais retourner au Mexique pour entrer à l’université, mais mon séjour m’a fait changer d’avis. Mon expérience m’a ouvert les yeux. Après cela, je n’ai eu qu’à suivre mon instinct. Et à mon retour, je me suis dit: «Non, j’ai envie de rester en Europe», j’ai alors décidé que je partirais faire des études de design à Milan. La France a été une source d’inspiration, c’est ici que j’ai découvert ma passion.
Ton année en France a donc été cruciale dans ton parcours?
Raul — Oui, totalement! Mon année en France a été comme une seconde naissance. Avoir lapossibilité et la chance d’apprendre cette langue, de «vivre» cette culture que j’aime tant… Cela a été une superbe opportunité, une expérience unique et incroyable. J’ai adoré vivre ici. J’ai tant appris.
Où habites-tu aujourd’hui?
Raul — Je vis maintenant au Mexique. J’ai passé neuf années de ma vie à Milan. J’ai aussi travaillé en Asie et en Europe de l’Est. Ce n’est qu’au début de l’année 2012 que je suis rentré au pays pour créer ma marque de sacs: Maria Patròna. La façon dont je conçois mon métier m’amène à beaucoup voyager. Je tiens à ce que mes produits soient de haute qualité et c’est pour cela que j’ai choisi de manufacturer mes sacs en Europe. Je voulais confier la production à des personnes qui ont la même passion que moi et qui possèdent le savoir-faire pour reproduire une telle qualité. Je viens aussi régulièrement en France et en Italie pour découvrir les tendances des saisons à venir.
Quelles sont les qualités indispensables pour exercer ton métier?
Raul — Je dirais qu’il faut avoir une passion illimitée pour ce métier et pour la vie en général. Il faut également être très persévérant.
Peut-on faire un parallèle entre ces qualités —que tu possèdes— et ton séjour en France?
Raul — Si mon année en France a été la meilleure année de ma vie, elle n’a pas toujours été facile, mais quand on commence quelque chose, on doit le finir, non? C’est pour cela que je n’ai pas changé de famille. J’aurais pu le faire, mais je me disais que la vie m’avait donné l’opportunité de venir apprendre le français dans cette famille et non dans une autre… alors, je me devais d’y rester jusqu’au bout. Je trouve que c’est important de persévérer. D’ailleurs, aujourd’hui, je les remercie, car c’est grâce à eux que je parle votre langue. Je ne pense pas que je serais là où j’en suis, sans cette expérience. Je ne parlerais pas couramment le français, je ne saurais pas non plus tout ce que je sais sur l’histoire de votre pays.
Cela ne se passait pas bien dans ta famille ?
Raul — Non, pas du tout. Je viens d’une famille qui voyage beaucoup, très ouverte. Je me suis retrouvé dans un milieu fermé, très religieux… Cela n’a pas toujours été une partie de plaisir, mais je me suis quand même adapté. Et même si à certains moments cela a été difficile et que certaines choses m’ont choqué, une fois que tu prends du recul, tu te dis: «Whatever!»
Qu’est-ce qui a été le plus dur?
Raul — L’hiver, je pense! Vivre dans une ville de 15 000 habitants, où il neigeait, pleuvait, et où le soleil se couchait avant 17h, quand on vient d’un pays comme le Mexique, c’est dur! Mais ce n’est pas le froid qui me gênait tant, c’était plutôt la grisaille, la pluie constante, les gens déprimés… non, vraiment je ne pense pas que la Mayenne soit l’endroit le plus cool!
Qu’as-tu pensé de l’école en France?
Raul — Votre système éducatif est tellement différent du système éducatif mexicain. Déjà, vous avez beaucoup de vacances, c’était le plus choquant pour moi. Ensuite, il y a les examens qui durent 5h… et tu dois rester assis jusqu’au bout. Au Mexique, ça n’existe pas. Tu finis et puis ciao-ciao! C’était bizarre pour moi. J’ai aussi été surpris par votre niveau scolaire, bien plus élevé que le nôtre. Je pense que votre système éducatif contribue à cela en vous rendant plus compétitifs. Le fait qu’il soit rare, mais possible, que quelqu’un reçoive la note de 20 vous force à vous surpasser et vous permet de développer certaines qualités. Je pense notamment à vos capacités analytiques en histoire et en littérature qui m’ont impressionné. Votre niveau est incroyable comparé au nôtre. J’ai trouvé cela super de pouvoir évoluer dans un tel environnement.
Lorsque tu rencontres un autre étudiant d’échange, tu t’en sens proche?
Raul — Oui, totalement! Je suis d’ailleurs toujours en contact avec les autres étudiants étrangers de ma promo, on se rappelle de tout… du séjour à Monaco, de celui en Bretagne, de notre stage de 10 jours à Paris… Ça nous permet de garder un lien malgré les années qui passent.
Tu parles vraiment bien le français, tu es amené à l’utiliser souvent?
Raul — Quand je vivais en Italie, j’habitais avec ma meilleure amie qui est haïtienne et je parlais constamment français. Aujourd’hui, je ne l’utilise que deux ou trois fois par an, mais je n’oublie rien!
Article paru dans le Trois Quatorze n° 55