Un an après son retour, William nous parle de sa terre d’adoption. Ce petit survol de la Nouvelle-Zélande (du pays et de son école) en compagnie d’un étudiant d’échange nous permet de mieux appréhender cette terre où décontraction et ambition sont de mise.
Trois Quatorze — Quels sont pour toi, et avec le recul, lestraits marquants de la société néo-zélandaise ?
William — D’emblée je dirai : la chaleur humaine, la beauté des paysages,la décontraction (jamais de stress), la façon de gérer le rapport à l’espace (les Néo-Zélandais n’hésitent pas à se déplacer, à bouger, à combler les grands vides). Et j’ajouterai aussi la culture Maori.
Trois Quatorze — Commençons peut-être par cela. Qu’en est-il des rapports entre la culture maori et celle des Blancs (anglosaxons pour la plupart) ?
William — Il y a vraiment deux cultures parallèles, de fortes disparités et de forts clivages. Il n’y a pas de blocages réels ni de tensions fortes, mais une distance entre les deux communautés. Blancs et Maoris vivent côte à côte mais ne se parlent pas. Il faut bien comprendre que le
contentieux est lourd : sur le traité signé entre les Maoris et les colons, à l’arrivée de ces derniers, il est écrit d’un côté — par les Maoris — qu’ils prêtent leur terre, et de l’autre — par les colons — qu’ils prennent les terres ! C’est la deuxième option qui a prévalu. En gros, les Maoris se sont fait avoir. Aujourd’hui, même si cette histoire est ancienne, elle reste forte et très présente – elle est enfouie dans les consciences.*
De nos jours, la fracture est plus sociale qu’ethnique : les Maoris sont plus pauvres, les Blancs plus riches. Je suis persuadé, pour ma part, que la distance entre les deux communautés vient aussi beaucoup de là.
Trois Quatorze — Il y a tout de même des passerelles, de la communication entre les deux communautés ?
William — Oui. Au niveau de la langue par exemple : le vocabulaire Maori est entré dans la langue anglaise version néo-zélandaise. Le paradoxe, c’est que l’identité néozélandaise ce qui caractérise cette culture par rapport à la culture anglo-saxonne, ce qui la colore — vient des Maoris. Les Blancs et les Maoris le savent.
Trois Quatorze — Vu de France on a le sentiment, à travers le rugby notamment, que le mélange est réel.
William — Attention, le rugby est un cas particulier. Au niveau de ce jeu, il y a eu un phénomène de vases communicants. Le rugby a correspondu parfaitement au peuple Maori. Question de morphologie, de goût, de feeling, de nourriture peut-être… De fait, les Maoris se sont approprié le jeu – à tel point que leur culture a fini par imprégner le rugby néo-zélandais, et qu’aujourd’hui ce rugby a un caractère très particulier (symbolisé d’ailleurs par le fameux Haka). Un caractère dont sont très fiers les Blancs. Là, il y a clairement mélange, mais on ne retrouve pas cette mixité dans la vie de tous les jours, dans la société civile.
Trois Quatorze — À l’école, ressent-on ce communautarisme ?
William — Oui. À part jouer au rugby ensemble, les élèves blancs et maoris ne se mélangent pas. Les sorties, les fêtes, les activités se font presque toutes séparément. Le cas des étudiants d’échange est un peu particulier. Notre statut est autre dans la mesure où nous sommes blancs mais où nous ne sommes pas des locaux. C’est sans doute pour ça que les Maoris étaient particulièrement chaleureux et agréables avec moi.
Trois Quatorze — Tu parlais de décontraction néo-zélandaise, à quoi tient-elle ?
William — Je ne sais pas. Mais ils sont comme ça : très tranquilles, très libres. Les Néo-Zélandais ne connaissent pas le stress. Ils le fuient… tous.
Trois Quatorze — Il y a bien une angoisse néo-zélandaise ! Quelle est la menace principale de ceux qui habitent ce pays ?
William — Depuis un siècle et demi et l’arrivée des colons, les Néo-Zélandais n’ont cessé de piller leur pays. Ils ont détruit les forêts, exploité tout ce qui pouvait l’être. Aujourd’hui, il leur reste la laine des moutons et leur patrimoine culturel, leur histoire. Leur angoisse, maintenant qu’ils ont mesuré l’étendue des dégâts, est de réussir à préserver ce qui peut l’être. Ils craignent la pollution, ils ont très peur de la destruction de l’espace, du sol, de la forêt (notamment du kaori, le bois local, si précieux). Au-delà, ils craignent de ne plus être ce qu’ils sont. C’est un souci à la fois écologique et identitaire qui se résume assez bien dans la peur de l’invasion (immigration, tourisme). Le paradoxe c’est que, d’un côté ils ont besoin du tourisme et de l’autre ils savent que c’est une nouvelle forme de colonisation. Mais, une fois encore, tout ça ne les empêche pas d’être très cools au quotidien.
Trois Quatorze — Belle transition. Venons-en justement au quotidien, à ton quotidien. Parlons de l’école. Tu étais, je crois, dans une école de garçons ?
William — Oui. C’est une chose assez courante. École de garçons avec costume : pantalon et chaussures noires, chemise ou polo beiges. Le règlement intérieur nous obligeait à arriver à l’école avec ce costume, alors au final, on le portait toute la journée, pour venir à l’école, pour en repartir, et dans la journée si on se baladait en ville.
Trois Quatorze — Comment s’effectue le choix d’aller dans une école de garçons (ou de filles) ou dans une école mixte ?
William — Ce sont les parents qui le déterminent. Il n’y a aucune obligation. Il y a sans doute une part de tradition dans ce choix. Par ailleurs, les écoles qui ne sont pas mixtes sont censées proposer un meilleur enseignement, et les écoles de garçons sont censées fournir un meilleur suivi au niveau du sport. Or le sport est très important.
Trois Quatorze — Quelle place occupe-t-il exactement ?
William — La première. Pourquoi ? Parce que tout le monde en fait, et parce que le sport est au centre de la vie scolaire. On en fait le matin, l’après-midi, on en fait dans le cadre des cours et au-delà dans les clubs — organisés et tenus par l’école. Le sport compte… au même titre que les maths. Il rapporte des « credits » (voir plus loin). Le rugby tient la première place, mais dans ce pays, on a l’impression que l’on peut pratiquer tous les sports : badminton, tennis, golf, tir, natation, basket… Moi, par exemple, j’ai fait du water-polo. Il faut parler du niveau aussi. Il est énorme. Pour ma part, j’aurais bien aimé jouer au rugby, mais, vu le niveau, j’ai eu peur d’être broyé ! Et il faut parler aussi des compétitions, et dire que pour un élève néo-zélandais, il paraît tout à fait normal de rater deux semaines de cours classiques si c’est pour participer à une compétition. Il faut évoquer enfin les moyens mis en place pour le sport (stades, déplacements, structures…).
Trois Quatorze — Et d’une façon plus générale, qu’en est-il des moyens dont dispose l’école ?
William — Ils sont énormes aussi. Les écoles, d’une façon générale sont très riches. On le sent dans les infrastructures : elles sont immen-ses, elles s’étalent (combien de fois je me suis perdu dans mon école !), les équipements sont impressionnants. On le sent aussi dans les projets éducatifs. Dans le cours de cuisine que je suivais, on a participé à un concours : et bien, on est tous partis à l’autre bout de l’île, dans un van, tout ça pour que le meilleur d’entre nous cuisine devant un jury ! À ce niveau, on a l’impression que tout est possible. Il faut savoir qu’une grosse partie du budget national de l’éducation est consacrée à la formation hors de Nouvelle–Zélande (Australie, US, Europe). Cela paraît indispensable pour le pays… mais cela a un coût !
Trois Quatorze — Comment sont structurées les études ?
William — Cinq ans d’études, entre 12 et 17 ans, qui peuvent se prolonger par une année supplémentaire si on veut se spécialiser dans le cadre de la « High school » (une année où tu te concentres intensivement sur une seule matière). Chaque année tu dois valider un certain nombre de « credits », et au terme des cinq années, le cumul des « credits » te permet d’obtenir ton diplôme. Tu choisis la plupart des matières, mais certaines sont imposées. De toute façon, sur les cinq années, tu dois respecter un équilibre car il te faut obtenir x « credits » en anglais, x « credits » en maths, x « credits » en histoire, etc… Tu choisis tes matières et construis ton emploi du temps en fonction de cela, en sachant également que dans chaque matière, il y a différents niveaux (I, II ou III). Pour avoir ce fameux diplôme, il te faudra respecter un équilibre (dans certaines matières on exige, par exemple, que tu aies des « credits » de niveau III).
Trois Quatorze — Chaque élève a donc un programme scolaire qui lui est propre ?
William — Tout à fait. D’ailleurs, il n’y a pas de classe à proprement parler. Il y a des classes d’âge (de « year 9 » à « year 13 ») et des groupes de niveaux. Tu peux tout à fait avoir 17 ans, être en « grade » 13 et suivre un cours de Photo I avec des élèves de 14 ans. En conséquence, chaque cursus est individualisé, et se gère sur toute la durée de la « high school ».
Trois Quatorze — Quelles matiè-res avais-tu choisies ?
William — Dans mon école, on choisissait 5 matières (dans d’autres on en choisit 6). Mais, en tant qu’étudiant d’échange, mon cas était un peu particulier. Nous sommes dans l’hémisphère sud – en arrivant au mois d’août, un étudiant européen suit deux trimestres sur deux années scolaires différentes. Il peut donc changer de matières en février. Et puis, de toute façon, nous les étudiants étrangers, nous ne sommes pas logés à la même enseigne que les autres, car nous n’avons pas à gérer notre cursus sur l’ensemble de la scolarité. Nous avons donc moins de contraintes. Personnellement, com-me matières, j’ai choisi économie, informatique, biologie, cuisine, sport, musique. J’ai voulu faire du théâtre, mais je n’ai pas pu, car le prof venait de partir. Il y a un choix énorme de matières, et ce choix varie énormément suivant les écoles. Généralement les écoles de filles sont plus pointues en langue, et celles de garçons plus pointues en sport et en matières techniques.
Trois Quatorze — Comment était organisé ton emploi du temps ?
William — Mon emploi du temps était le même tous les jours de la semaine. Je débutais à 8 h 30 (mais j’avais une heure de trajet, alors je me levais à 6 h 30). Je commençais avec 2 heures de cours, une pause sandwich entre 11 h et 11 h 20, à nouveau 2 heures de cours, puis pause déjeuner de 45 minutes (entre 13 h 30 et 14 h), et enfin une dernière heure de cours. À 15 heures, j’avais fini !
Trois Quatorze — Quel est l’objectif de l’école néo-zélandaise ?
William — Développer le leadership. Cela me paraît être l’idée essentielle. L’école néo-zélandaise, la mienne en tout cas, cherchait à développer le potentiel de chacun, et voulait faire de chaque élève le meilleur dans son domaine. Chaque mercredi, il y avait « assembly » : le directeur de l’école nous réunissait pour nous raconter la vie de l’école et pour nous dire ce que chacun avait fait, ce que tel ou tel avait gagné. L’esprit de compétition est très présent, mais il s’agit surtout de compétition avec soi-même, pour s’améliorer, car il y a toujours sous-jacent le concept de la communauté : tendre à être le meilleur mais pour le bien des autres, du groupe.
Trois Quatorze — Comment se manifeste concrètement cette volonté de faire une place à l’individu tout en mettant en avant le groupe ?
William — Un exemple : en début d’année, on forme des « houses », avec pour chaque « house », une couleur, un nom, une identité. Chaque house doit trouver son meneur (« le maître de maison ») et faire en sorte de trouver la bonne place à chaque membre du groupe. Dans son domaine, chacun doit être un exemple. Dans le cadre du cursus scolaire, on va faire des compétitions inter « houses », avec des jeux (de ballons ou autres), des jeux basés sur la transmission d’infos. Il s’agit de développer de la complicité et de la cohérence dans le groupe. Il y a un rapport direct avec la vie à venir, les rapports en entreprise… Ces notions — leadership, prestige de l’école, complicité — sont très importantes. Aussi importantes que le savoir en tant que tel.
Trois Quatorze — Il semble que l’on cherche aussi à responsabiliser les élèves ?
William — Tout à fait. On peut, à ce sujet, évoquer les « préfets ». Les « préfets » sont ceux, parmi les élèves, qui font régner l’ordre dans l’école. C’est un poste très recherché ! On demande à être « préfet », mais il faut que les autres vous acceptent.
D’un côté, l’individu est au centre, il est mis en valeur, et de l’autre il y a moins d’individualisme qu’en France, dans la mesure où on veille aux mérites de tous et parce qu’on raisonne toujours avec en tête cette notion essentielle de groupe.
J’insisterai également sur un autre point : celui de l’entraide. Si un professeur repère une lacune quelconque chez un élève, il ira vers lui, et tentera de résoudre son problème. Tout cela se fera dans la simplicité et dans la décontraction (tutoiement, échange direct et franc…). Pour ma part, je bloquais en biologie, le prof est venu, il a tout fait pour me motiver. De la même façon, si on ne comprend pas un cours ou un raisonnement, on peut le dire simplement, voir même critiquer la méthode. Le prof ne s’agace pas : il finit son cours et vient ensuite vous expliquer sa démarche. Ce qui dérangera le professeur néo-zélandais c’est plutôt l’indifférence, le fait que les élèves dorment ou lâchent prise.
Trois Quatorze — Qu’en est-il de la relation des Néo-zélandais avec le travail scolaire ?
William — On en revient à ce que l’on disait au départ : pas de stress. Contrairement à la France, les élèves ici ne sont pas du tout angoissés d’aller à l’école, sauf peut-être au moment des examens. Le principe de la décontraction l’emporte. Pour nous Français, cela paraît parfois un peu léger…
Trois Quatorze — À quel niveau ?
William — Au niveau des acquis peut-être. En fait il y a de grosses disparités. Dans leur domaine de prédilection, ils peuvent exceller : un élève qui aime les maths, par exemple, peut vraiment être très bon. Mais le niveau moyen m’a l’air plus faible qu’en France, surtout en ce qui concerne la culture générale. Ils ne sont pas obnubilés par le niveau de connaissances au sens strict du terme. Ce qui est positif, c’est qu’on ne rabâche pas sans cesse la même chose.
Je me souviens de cette formule qui était placardée dans chaque classe de mon école et qui résume assez bien leur vision de l’éducation : « Pour venir en cours, on ne vous demande d’apporter que trois choses : un crayon, un cahier… et votre cerveau. » C’est plus une école de vie que de savoir.
Trois Quatorze — Que retiendras-tu de cette école ?
William — L’échange. L’esprit de camaraderie, de fraternité. Nous ne sommes pas égaux, mais nous vivons ensemble.
William Sevette, Né le 13 sept. 1988 , à Bevry (62)
Une année en Nouvelle-Zélande en 2006-2007
Actuellement en première année d’anglais à Lille III
* On pourra également noter que les Maoris appellent les anglo-saxons, et par extension tous les blancs, par le terme « pakeha », ce qui m’avait valu une discussion assez drôle avec des camarades de classe maoris qui s’étonnaient que je ne sache pas de quoi il s’agissait.
Nous approfondirons notre approche de l’école néo-zélandaise dans notre prochain numéro en menant une enquête auprès des sept participants PIE actuellement sur place.
Article paru dans le journal Trois-Quatorze n°48