ENTRETIEN : ALIX / 3.14 — Une année aux USA, dans un lycée américain (« High School »), suivie d’une terminale en France —c’était l’an dernier—, suivie d’une première année dans une université californienne, en section « Management »… Qui mieux qu’Alix pour parler du statut d’étudiant d’échange, pour parler d’Amérique et pour évoquer les enjeux des études « sans frontières » ?
3.14 — Quand tu as décidé de partir une année scolaire à l’étranger, qu’est-ce qui t’a le plus motivée : l’idée de partir ou l’idée des USA ?
Alix — Ah, bonne question ! (Elle réfléchit un court instant) Honnêtement, c’était l’idée de partir aux USA ! Je n’esquive pas la réponse. Il se trouve que les deux idées étaient intimement liées et dépendantes. Je voulais partir, ça c’est certain, mais je ne serais pas partie un an en Irlande, ou en Afrique du Sud, ou je ne sais où. Il y avait quelque chose d’un peu naïf, mais je rêvais de bal de « Prom », de « Graduation », de toute cette mythologie américaine que véhiculent les films (« High School Musical » et autres), les séries, internet… qui nous trotte dans la tête quand on a 15-16 ans et qu’on est une jeune fille française. Je voulais vivre en v.o.
3.14 — Tu as connu (ou tu connais) deux façons de vivre à l’américaine : en famille et sur un campus. Y-a-t-il une grande différence entre les deux ?
Une immense différence. En famille on cultive le relationnel, on profite de la chaleur du foyer, de la chaleur de cette Amérique que je définirais comme « traditionnelle ». On se sent protégé, on bénéficie d’une béquille sur laquelle on peut s’appuyer, voire même se reposer, quand on ne se sent pas bien ou qu’on se sent un peu seul ou un peu perdu. On a vraiment le statut d’un enfant (plus encore que dans son propre pays). Mais dans ce cadre, en revanche, on a peu d’indépendance, on se doit de suivre des règles — celles de la famille, qui a une grosse responsabilité, des associations… Les rythmes vous sont imposés, vous devez les suivre, respecter les consignes, vous plier aux habitudes du lieu et de la communauté : vous n’êtes pas vraiment libre… Sur un campus c’est un peu l’opposé, vous vivez en totale indépendance, sans soutien de proximité : vous êtes donc plus livré à vous-même. Tout est plus instable, plus « fou » — au sens d’excentrique —, mais par contre, vous êtes considéré en adulte, que ce soit par les autres ou par vous-même.
3.14 — On aurait plutôt tendance à penser que c’est le contexte du séjour en lycée (« High school ») qui favoriserait le plus la prise d’autonomie ?
Oui c’est tout le paradoxe. Pour ma part je vivais à Phoenix, Arizona, dans un milieu assez strict et dans une famille assez religieuse et j’avais, c’est évident, beaucoup moins de liberté et d’indépendance que je n’en avais dans ma famille naturelle en France. Et c’est dans ces circonstances que j’ai, je crois, le plus appris en termes d’autonomie et de prise de responsabilité.
3.14 — L’apprentissage de l’autonomie serait donc plus lié à l’idée de départ et d’expatriation (au fait de quitter son environnement) qu’au mode de vie sur place ?
Oui je pense que tout vient du fait qu’on change de milieu, qu’il faut trouver la bonne distance, qu’il faut savoir observer, imiter, etc. C’est justement la rigueur du cadre qui vous apprend à vous situer et à vous connaître. Mais cela exige une discipline et de la patience. Personnellement l’université me convient mieux, mais tout dépend de l’âge, de son caractère, et de là où l’on en est quand on se lance dans ces « aventures ».
3.14 — Si on met de côté le « cas » Trump, qui est un peu particulier, il semble à t’écouter, que comparer la « High School » (le lycée américain) à l’université américaine, c’est un peu comparer l’Amérique républicaine et l’Amérique démocrate, celle de Reagan à celle d’Obama ?
C’est un peu ça, oui. Dans mon cas, cela est certainement accentué par le fait que je vivais en « High School » dans l’Arizona et que je vis en Université en Californie ! Mon environnement (au sens régional, géographique, historique, au regard du peuple et de sa mentalité, etc.) est donc très différent. Mais globalement je crois que la comparaison est valable. Il y a un peu l’Amérique sage (ou républicaine) côté « High School » (lycée) et l’Amérique aventurière et décapante (démocrate) du côté de l’université.
3.14 — Il est vrai que l’université est le lieu de naissance de la (des) contre-culture(s) à l’américaine, alors que la famille est par essence, et peut-être plus encore aux USA qu’ailleurs, le lieu de la tradition. Au final, et en schématisant, expérimenter la « High School » et l’université c’est connaître deux Amériques bien distinctes.
Il y a quelque chose comme ça. Et j’ai découvert avec ces deux expériences que l’Amérique n’est pas vraiment un « mix » des deux (tradition et modernité), mais bien les deux à la fois. Ce pays est plus complexe qu’on veut bien le dire ou le croire. On sait que c’est une terre de contrastes physiques puissants, mais ça l’est aussi au niveau des mentalités et des idéologies. C’est un pays très excessif, presque radical. Les Américains sont souvent dans le « très » ou le « trop ». Ils ne donnent pas dans la nuance. Personnellement j’ai fait le grand écart entre ces deux milieux (protecteur, mais très conservateur voire puritain, d’un côté, et très « moderne » et totalement « libéré » de l’autre). Et c’est passionnant de connaître les deux. Après, on se doit de nuancer un peu, car il y a des familles très « libérales » et, je le répète, des identités régionales/géographiques très fortes qui ne permettent pas de tout rapporter à la seule structure familiale. Les caractères de l’Ouest, du Sud, du Midwest, ceux des villes et des plaines sont très marqués. Et les lieux où j’ai vécu expliquent sûrement ce que j’ai ressenti autant que le milieu (famille ou campus) dans lequel j’ai vécu.
3.14 — Sur ton campus, tu te sens donc un peu perdue ?
Non. Là encore je vais nuancer. Je réalise, après six mois d’université, que le campus devient vite à son tour une petite famille. On vit avec les étudiants du matin au soir. On fait tout ensemble : on dort, on mange, on joue, on étudie, on rigole, on fait du sport, on se douche… C’est vraiment du « H-24 » et ça devient un lieu d’amitié puissant. On est vraiment très proches, on finit par se connaître comme des frères et sœurs et par se soutenir. Au final, on se recrée ce noyau de proximité qui ressemble fort à un foyer, mais sans le rapport hiérarchique inhérent à la famille.
3.14 — Qu’est-ce qui selon toi unit les Américains ? Y a-t-il un substrat commun à ces deux Amériques ? En un mot, qu’est-ce qui pour toi définit l’Amérique, ou plutôt l’Homo-Américanus ?
Cela va peut-être paraître bizarre, mais ce qui pour moi définit surtout l’Américain, c’est le sens du partage, non pas forcément du don de soi, mais au sens du goût et de la culture du collectif, de l’ouverture d’esprit.
3.14 — Oui, c’est plutôt surprenant, car on associe souvent l’Amérique à l’idée de compétition, à la réussite individuelle ?
Mais les Américains s’impliquent énormément dans le lien social, dans la vie de la communauté, bien plus en tout cas que nous le faisons, nous Français ! Ils organisent beaucoup d’événements, il y a énormément de bénévolat. Le patriotisme et le sens de l’accueil des Américains est certainement à rapprocher de cette idée de collectif. L’Américain est aimable. Il sait sourire, se saluer, se dire bonjour ; il est « Friendly », alors que le Français est plus renfermé. En France c’est un peu plus : « Chacun ses problèmes ! »
3.14 — Que retiens-tu de ton année de « High School » ?
Deux choses. J’ai d’abord et avant tout appris à m’adapter. C’est simple mais c’est énorme. Quand on reste chez soi on n’imagine pas à quel point on vit dans un modèle, comme dans un moule. À 17 ans, j’ai été confrontée à l’opposé de tout ce que je connaissais. Et j’ai dû faire avec… et cela a été pour moi révélateur de tellement de choses. En fait, j’ai joué le jeu ou plutôt j’ai joué un jeu pendant un an et je sais, qu’au final, ce jeu m’a transformée et m’a grandie. Ça va de choses mineures comme le fait d’avoir fait un semi-marathon — alors que je n’étais pas sportive du tout — jusqu’à des choses fondamentales comme le fait d’avoir fait tomber des œillères. J’ai vécu aux USA dans un milieu très religieux (aussi bien en famille et dans l’école privée où j’étais scolarisée). Je ne connaissais rien du tout à la religion et ce n’était pas du tout mon truc. Je pensais vraiment que j’allais craquer. Et en fait je me suis habituée et j’ai découvert un monde — qui n’est pas le mien — mais très soudé et qui offrait pas mal d’opportunités. J’ai pris ça par le bon côté et je reconnais une force à ce système.
3.14 — Tu parlais de deux enseignements. Quel est le second ?
L’anglais ! Avant de partir, j’avais conscience que je devais parler anglais. C’était comme une nécessité ; et j’avais également l’intuition que la seule manière pour moi d’y parvenir, c’était l’école du quotidien, en immersion. C’est pour ça que j’ai opté pour le séjour en « High School » et en famille. Et mon intuition était la bonne, car même si j’avais de très bons résultats scolaires, j’ai vite réalisé en arrivant là-bas que je ne comprenais rien et que j’avais un sacré chemin à faire.
3.14 — Tu aurais pu apprendre après le bac, faire des stages, partir en Erasmus… comme tout le monde ?
Je sentais que « le plus tôt serait le mieux ». Ça, c’était mon autre intuition. Je le vois bien ici, en université, quand je compare mon niveau avec celui des étudiants d’échange qui débarquent sans avoir vécu auparavant dans un pays anglophone. Pour eux l’histoire est plus compliquée.
3.14 — Les neurosciences tendent à prouver que ce que l’on acquiert avant l’âge adulte est très précieux, de par les capacités que l’on a encore, à l’adolescence, à déchiffrer et à imiter. Cela tiendrait à la physiologie, au développement du cerveau, à la souplesse de la mâchoire, à la capacité de mémorisation, etc. La vie ordinaire, à l’école et en famille avec des gens très différents (de tous âges et de tous milieux, et ce dans tous les contextes (télé, rue, magasins, administrations…) est donc d’autant plus profitable pour bien apprendre.
Je pense en effet qu’au niveau de la compréhension c’est incomparable d’apprendre tôt et dans un contexte familial. Et l’avantage de la « High School » c’est que le programme est léger, on a donc le temps de se consacrer à la langue. En sortant d’une année scolaire on pige tout, on ne se pose plus de questions, on vit en V.O, 24 heures sur 24. Même si les cours théoriques sont très utiles, ce qu’on apprend au quotidien est irremplaçable. C’est pourquoi j’aurais tendance à dire que, contrairement à une idée reçue, l’année de « High School » est plus indispensable que l’année universitaire. J’ai une anecdote amusante au niveau de l’anglais : dans mon université, ils ont admis par erreur une étudiante en cursus classique (alors que son niveau de langue — sa note au TOEFL — était inférieur à celui d’autres étudiants). Au lieu de faire le semestre de formation d’anglais, elle a suivi les cours normaux. Elle a galéré, mais au bout de trois mois, elle était meilleure que ceux qui avaient suivi la formation spécifique ! Comme quoi il n’y a rien de mieux que l’immersion dans le réel !
3.14 — De façon plus large, que retiens-tu de ces deux expériences au niveau éducatif ?
Personnellement, le système scolaire américain me va parfaitement et je le préfère nettement au système français. Il est à l’évidence beaucoup plus axé sur l’élève. Pour un Américain, ce qui compte c’est d’essayer. Essayer est plus important que réussir. C’est pour cela que la note n’est pas très importante et que l’encadrement est privilégié. Les profs sont derrière toi, ce sont des soutiens : ils sont là pour t’aider, pour trouver la solution. La personnalité de l’élève est prise en compte et la relation est plus individualisée. On ne veut pas que l’élève décroche et on veille en permanence à son bien-être. Forcément, il y a un déficit au niveau du savoir, et cela explique qu’en arrivant en fac, les Américains ont l’impression que c’est l’enfer : le rythme, le travail qu’on leur demande, l’exigence qu’on a à leur égard : tout cela leur pèse. Mais là encore, ils sont très encadrés et très suivis et, au final, ils y arrivent. Et c’est pour cela que les premiers semestres sont beaucoup axés autour de la façon de travailler. Pour un étudiant européen, une des choses les plus impressionnantes au niveau du campus — au-delà des moyens et des structures —, c’est l’individualisation du suivi, qui passe par le conseil, l’aide pour les devoirs, le « tutoring », l’encadrement pour structurer son programme et son planning…
3.14 — Pourquoi n’as-tu pas entamé tes études post-bac en France ?
Je sais depuis mon année de « High School » qu’il est bon de savoir sortir de sa zone de confort. À mon retour en France, j’ai fait ma terminale et je ne me voyais par faire ce que font 80% des élèves, à savoir, une « École de commerce ». J’appréhendais le côté « voie toute tracée » et je craignais, comme tant de jeunes, de ne pas trouver de job à la fin de mes études. Je sentais que j’aurais plus d’opportunités aux États-Unis. Et comme beaucoup d’autres, j’avais clairement envie d’ailleurs, mais moi, contrairement aux autres, je n’avais pas peur de partir. Je savais de toute façon que j’allais repartir. Le retour de mon année de « High School » avait été difficile. J’avais l’impression que c’était la fin des vacances. Alors, forcément, j’avais envie de remettre ça. J’en rêvais, comme un enfant peut rêver de retourner en vacances.
3.14 — Es-tu la même Alix en France et aux USA ?
Non. Pas du tout je pense. En France, je dirais que je suis plus retenue, plus tournée sur moi-même. Ici on se prend moins la tête, j’ai l’impression qu’on juge moins. En France on se regarde plus le nombril. Alors quand je suis en France, je pense que je fais pareil. En fait je m’adapte, et je sens que je suis plus ouverte quand je suis aux USA.
3.14 — Pourrais-tu vivre en France sans retourner aux USA ?
Je ne pense pas. Je me sens plus moi-même ici, je me sens plus chez moi.
3.14 — Et pourrais-tu vivre aux États-Unis sans retourner en France ?
Non, la France c’est mon cocon. L’Amérique c’est chez moi, mais ma maison c’est la France. Mon chez-moi peut être partout, mais la France c’est ma source, mes racines.
Article paru dans le Trois Quatorze n° 58