Changer

J’ai tant rêvé du Canada et de ce voyage ! Le grand jour arrive : Winnipeg, Manitoba, me voilà. Le pays est plat comme mon bon vieux Nord français. J’ai une mère d’accueil qui a une fille de 20 ans qui a elle-même une fille de 3 ans. Je suis plongée dans quelque chose de complètement différent. Et moi qui pensais que la langue ne serait pas un problème, j’avoue que j’ai vite déchanté. Rien n’est très facile. Parfois même c’est dur, mais parfois c’est vrai, c’est merveilleux ; on s’intègre, et puis non ; il y a des hauts et il y a des bas. La vie n’est pas aussi fabuleuse que les témoignages le laissent croire, mais ça va tout de même ! Finalement trois mois passent, comme ça… sans que l’on s’en rende compte, une vraie vie, pas une vie de touristes. À partir de février, alors que je m’entends vraiment bien avec Jaelene, ma soeur d’accueil, la relation avec Susan, la mère, se dégrade. Elle vient de se faire larguer et reporte sa frustration sur moi. Elle n’achète plus de nourriture, met des trucs stupides pour faire du sport… Je me sens le devoir de venir en aide à la famille. Je n’ai plus envie de rentrer chez moi, le soir. Susan me critique sans cesse. Par contre, je me sens très proche de Jaelene. Je parle de tout cela à la déléguée locale. Finalement et pour faire court, je ne change pas de famille. Je ne suis pas sûre que ce soit ma meilleure décision, mais d’un autre côté, je ne regrette pas. Je n’arrive pas à comprendre pourquoi les choses ont dégénéré.

Aujourd’hui, deux ans après les faits, je réalise que ma vision des choses a changé. Je sais ce que c’est que d’être maman à 16 ans ou femme célibataire à 42. Je me sens plus indépendante ; j’ai appris à me débrouiller seule, autrement dit sans l’aide d’une mère d’accueil. Je sais aussi ce que je dois à Jaelene, elle qui m’a aidée, soutenue ; elle a toujours été d’une générosité sans pareille. J’ai compris durant cette année ce que j’étais, ce que je voulais être, ce que je voulais surtout ne pas être : une femme triste et immature. Aujourd’hui Jaelene me manque énormément, et sa petite Ariel également.

Justine / Un an au Canada en 2004