Acte 1 — L’autoroute : je rentre de vacances. Le prochain départ est dans quatre jours. Je repartirai seule cette fois, et pour un an. La tête appuyée contre la vitre, je regarde les voitures qui défilent à une vitesse vertigineuse. Les arbres, les montagnes, la route, je suis dans un manège fou : la vie. Je repense aux mois qui ont précédé : la fin de ma première histoire d’amour, l’obtention du bac, l’hospitalisation de ma meilleure amie… Tout a filé si vite.
À mes côtés, mon grand frère. Il a un an de plus que moi. Il a mûri plus vite. Il a découvert les nouveaux mondes avant moi. Ça n’a pas toujours été facile avec lui, mais ces derniers temps, on partageait beaucoup de choses ensemble, de bons moments. On est devenus amis. Certains nous prennent pour des jumeaux, d’autres pour un couple. Ça nous fait beaucoup rire. De l’autre côté, mon petit frère. Il dort. Paisiblement. Un peu de silence, enfin. Guillaume n’est calme que lorsqu’il dort. Ce petit monstre, de 4 ans mon cadet, se croit toujours supérieur à moi ; dans tous les domaines : quotient intellectuel, force physique. Il ne sait pas parler normalement, il crie tout le temps, ça en devient lassant. Pour être honnête, je ne peux plus le supporter. Je l’ignore, mais lui ne m’ignore pas ; il me croise, il me dit des mots grossiers. Pas distingué le petit frère. Il n’est aimable que lorsqu’il a besoin de moi, quand il s’agit de le coiffer ou de le prendre en photo. Il est en pleine crise d’adolescence.
Mon père conduit, comme toujours. Je le vois de dos. Que puis-je dire de lui ? Qu’en bien des points, il me ressemble. Il est calme, parle peu, ne dit que rarement ce qu’il pense, ce qu’il ressent, ce qui le rend triste ou heureux, ce qui l’énerve. Parfois, en regardant simplement ses yeux, je le devine. Parfois je n’y parviens pas. Ma mère, à sa droite, est en train de faire des mots croisés. Ma petite maman. Elle m’a mise au monde. Je suis son unique fille. C’est difficile pour elle de me laisser partir. Je la regarde et je me demande comment sera ma « mère d’accueil. »
Acte 2 — « Mesdames et Messieurs, nous rejoignons en ce moment l’aéroport de Leipzig ; la température extérieure est de 19°C. Air France espère que votre voyage a été agréable… » En une heure et demie, je viens de subir le plus gros changement de ma courte vie. Je sors de l’avion : beau temps. J’attrape ma valise et me dirige vers la sortie. Je vois la banderole « Bienvenue Chloé » que Daniel, « mon petit frère » tient entre ses mains. Sa grande sœur et ses parents l’entourent. Les quelques mètres que je parcours en les regardant droit dans les yeux me paraissent être des kilomètres. Ils me sourient tous les quatre, je leur souris en retour. Chacun des membres de « ma nouvelle famille » me serre la main chaleureusement. Le père m’aide à porter mes bagages et nous quittons ensemble l’aéroport. Un peu bizarre cette sensation : entrer avec une famille dans un aéroport et sortir dans un autre aéroport avec une autre. Assise sur la banquette arrière, entre Daniel et Isabelle, je regarde le paysage. Je suis totalement fatiguée. Mais malgré cela, je garde les yeux grands ouverts. Je ne pense à rien qu’à imprimer tout ce que je vois. Je me dis : « Ne rate rien, c’est ton nouvel environnement pour dix mois. » Étrange de se dire que cette ville est désormais ma ville, que cette maison est désormais ma maison et que cette famille est celle que je dois aimer. Tout ça pour dix mois. Je rejoins ma chambre, je défais ma valise, je range des affaires, je m’allonge. En quelques secondes, j’atteins le sommeil profond.
Chloé, Leipzig, Un an en Allemagne