Elodie Hattiesburg, Mississipi, USA

A tous ceux qui voudront bien me lire, Je vous écris aujourd’hui en tant que « nouvelle ancienne ». Je suis partie en août 94 pour Hattiesburg, petite ville du Mississipi. Et puis, soudain, je me suis retrouvée dans l’avion qui me ramenait vers Paris, un jour chaud de juin 95. Plus de 10 mois venaient de s’écouler et je n’avais rien vu passer. Je me souvenais encore du printemps précédent et de la réunion chez Madame Mostini (déléguée P.I.E Poitou-Charentes) comme si tout s’était passé la veille. Et pourtant, j’étais bien en France. Après une bonne cure de sommeil, je me suis empressée de revoir tous ceux que j’avais laissés derrière moi au départ. J’ai, bien-sûr, été assaillie de questions les 3 mois suivants. Les premières fois, on répond explicitement, on s’attarde sur
des
anecdotes,
sur
des
gens… Et
puis les : « Alors l’Américaine, c’était comment ? » vous donnent très vite des envies de meurtre ! On s’efforce de garder un sourire dentifrice mais la seule réponse qui vous vient ressemble plutôt à un « Ouais, c’est génial ! » ou « C’était super cool! ». Cela semble sympathique, mais quelque peu réducteur, il faut l’avouer… Et le pire, c’est qu’on y peut rien. J’en suis encore à compter le nombre de personnes qui doivent penser que j’ai détesté mon année, parce que je n’ai pas été capable de leur en dire plus. Et puis j’ai commencé à
comprendre que j’étais en plein phénomène d’ « intégration inverse ». J’étais au milieu de tous ces gens que j’étais si heureuse de revoir, et j’avais envie de parler de tout sauf de mon année, justement parce que c’était à moi et qu’il fallait me laisser le temps de me réadapter à mon univers pourtant si familier. Voilà maintenant 5 mois que je suis revenue et ce n’est que depuis quelques temps que je commence à analyser la situation. Une année a suffi à chambouler tous mes plans de vie. Et puis surtout, ce n’est que maintenant que les souvenirs reviennent. Juste après mon retour, la plupart devaient être cachés dans un coin de ma mémoire, et puis, au fur et à mesure, ils se sont mis à rejaillir. Chaque jour, je me dis : « C’est vrai, j’ai fait ci, j’ai vu ça, je suis là ». Chaque lettre, qui vient de là-bas, me fait revivre des moments que je croyais avoir perdus. Etrangement, moi qui tiens un journal depuis des années, je ne lui ai presque rien confié pendant cette année à Hattiesburg, tout comme j’ai très peu écrit à ceux que j’aimais en France (d’ailleurs, ils m’en parlent encore). Mes souvenirs sont presque exclusivement « stockés » dans mon esprit. Sans compter les 758 photos que j’ai rapportées ! J’ai d’ailleurs tendance à mieux conserver les bons moments ou ceux qui me paraissent drôles à présent : mon arrivée dans ce minuscule aéroport à 22h30 ; les fous rires avec les filles de la chorale, les vacances en Floride avec mes « parents » et mes « 2 frères » (j’ai embrassé Mickey), la Nouvelle-Orléans, les matchs de football, la « Graduation » où j’ai pleuré quand tout le monde a lancé son chapeau : ils étaient heureux d’avoir fini la High School alors que moi je devais partir ; la lettre de mes parents dans « L’alphabet de l’absence » et tant d’autres choses.
Parfois, lorsque je me replonge dans mes 15 albums photo ou dans mon « Year book », je me dis que j’ai vécu telle ou telle chose et que, peut-être, sur le coup, je n’ai pas su le vivre pleinement. J’ai vécu sur mon nuage pendant près d’un an sans véritablement réaliser que j’étais enfin en train de vivre mon rêve. J’aimerais parfois revenir en arrière et refaire ce que je n’ai pas bien fait, redire ce que je n’ai pas bien dit, mais la vie continue… Et les mauvaises expériences (pardon, mais il y a en aussi, tout a été prévu !) m’ont appris que tout n’était peut-être pas non plus si nul en France, comme je le pensais en partant.
Mais je voudrais dire une dernière chose à tous ceux qui ont eu le courage de lire cettre lettre jusqu’au bout : partez ! Dès que vous en avez la possibilité, partez. Tout vous paraîtra tellement plus grand quand vous reviendrez.

ELODIE
Hattiesburg, Mississipi – USA – 94/95