Il m’en a fallu du temps pour grandir. Je suis arrivée au Canada avec des milliers d’idées dans la tête. Tous les anciens m’avaient raconté leur expérience et leurs mots résonnaient encore : « Neige, chalet, lacs gelés, ranchs, nature’ » En arrivant, J’ai déchanté. D’abord la ville : Winnipeg, six cent mille habitants. C’est triste, c’est gris : la ville, ça fait mal au c’ur. Ensuite j’ai rencontré ma famille d’accueil. Au début j’étais enthousiaste. Mais mon humeur s’est vite dégradée. Je me trouvais dans une famille socialement assez pauvre, et qui avait une façon de vivre très différente de la mienne. C’était contraire à mes attentes. Je me suis trouvée un peu délaissée, et puis aussi « unlucky », « unfortunate ». En fait je comparais. Je comparais aux anciens ou aux autres « Exchange students ».
Alors j’ai vite voulu changer de famille. Ma coordinatrice m’a dit d’essayer encore un mois, puis un autre, puis dix jours encore. Je commençais à perdre espoir, j’allais craquer. Mais je ne pouvais pas lui dire « non », tant elle était merveilleuse et convaincante. Les gens en France m’ont beaucoup aidée. Mon père, d’abord, qui ne s’affole jamais ; ma mère, qui toujours m’envoie des pensées positives et me délivre des conseils avisés, mes amis qui m’ont dit « d’aller jusqu’au bout. »
Je crois que j’avais besoin d’une bonne leçon. J’ai en effet essayé d’aller au bout des choses, des gens. J’ai découvert de la bonté, de vraies qualités. Et quand on découvre ça, on oublie tout le reste. Je crois surtout que j’ai laissé mon amour propre de côté. J’avais une trop haute opinion de moi-même. Pendant que je jugeais ceux qui m’entouraient, eux m’ouvraient leurs portes et m’offraient leur toit. « I was so stupid ».
Maintenant, je prends les choses différemment. Quand, par exemple, je croise une dinde dans la baignoire (c’est là qu’ils ont l’habitude de stocker les dindes), je ris au lieu de prendre un air dégoûté. Comme dit Papa, il faut savoir vivre de tout et savoir garder distance et détachement.
Ma famille m’apprend à profiter de chaque instant ; ils disent qu’on ne peut jamais savoir de quoi sera fait le jour suivant.
Noël a été si étonnant et si différent cette année. Le 24, à 5 heures, on a mangé ukrainien (ma famille est d’origine ukrainienne), puis on a chanté des chansons devant le sapin, c’était comique. Ensuite on a ouvert les cadeaux, tous emballés avec du scotch’ Ça a pris une heure. Le lendemain, pour le réveillon, j’ai dû, en bonne française, goûter tous les vins. Il y avait de la vodka traditionnelle. La grand-mère a fini bourrée ! Elle n’arrêtait pas de dire « Bonne année » à tout le monde.
J’ai mis un peu beaucoup de temps à découvrir que ma famille était merveilleuse. C’est pourtant bien le cas.
Marine, Winnipeg, Saskatchewan / Un an au Canada