Je déteste la ville où j’habite. Il fait froid, gris. Les gens sont tristes, pas aimables, ils ne disent jamais bonjour quand on les croise. Il y a un silence pesant. J’ai l’impression de vivre dans une ville fantôme, dans un cimetière géant. Les deux seules fois où pour l’instant j’ai ressenti un brin de joie, ce fut à Noël et au moment du Carnaval. Mais le Carnaval, j’en ai gardé un mauvais souvenir. La ville alors s’est remplie de couleurs fades. Les gens ont sorti leurs plus beaux costumes : si le ridicule tuait, la population entière aurait disparu ce jour-là. Moi, j’étais déguisée en fraise ! Il y avait un froid glacial, les gens étaient surexcités, ivres, ils chantaient des chansons vulgaires, à la gloire de la ville ou de la chancellerie ; on leur lançait des sucreries et des chips, ils se ruaient dessus au risque de se faire piétiner, ils étaient prêts à tout. Sur le sol s’entassaient les bouteilles cassées, les détritus, jusqu’à ce que la ville ressemble à une décharge, et les cotillons. Car on recouvrait ensuite la misère de cotillons afin qu’elle ne soit pas visible. Tout cela m’écoeurait. Voilà le choc culturel c’est aussi cela ! J’ai beau y être habituée, je ne m’y habitue pas. Il faut dire aussi que le carnaval est tombé au moment de mon second changement de famille. Je n’étais pas très bien. J’aurais tant aimé que cette année ressemble à celle dont j’avais rêvé. J’estime ne pas avoir eu beaucoup de chance et en même temps je ne regrette rien, car au bout du compte on ne tire de ce genre d’année que du positif. Moi, je vais rentrer transformée, métamorphosée. D’ailleurs, je ne veux pas rentrer. Bien que je déteste cette ville, que je déteste mon lycée, que je m’y sente mal, que je n’aie pas d’amis, que je n’y aie pas été heureuse, je me satisfais de ce que j’ai, de l’essentiel. Car maintenant je suis heureuse dans cette nouvelle famille… et tellement heureuse en général. Je fais un tas de choses que je n’appréciais pas avant, je me balade, je découvre, je suis heureuse dans la simplicité. Dans peu de temps s’ac-hèvera l’année la plus étrange de ma vie, la plus belle aussi, celle qui m’a permis de clarifier tout ce qui ne l’était pas dans ma tête. Maintenant, je voudrais revenir en arrière, redécouvrir la lettre d’acceptation de PIE dans ma boîte, et repartir pour cette année qui va changer ma vie. En août dernier, je me disais qu’une année c’était une éternité. Mais le bout de l’éternité approche et je ne veux pas en voir la fin. Je voudrais inciter le maximum de gens à partir, je voudrais brandir des panneaux, « Partez tous à l’étranger », je voudrais m’occuper des étrangers en France, car maintenant je sais à quel point c’est difficile de s’intégrer, de créer ses racines, de se faire accepter. Je voudrais crier à la planète entière de s’en aller. Je voudrais pour finir remercier mes parents car en 18 ans, je ne l’ai jamais fait. Je ne sais pas ce que l’avenir me réservera, mais une chose est sûre je repartirai, et repartirai encore.
Charlene, Aachen
Un an en Allemagne