SAVOIR FORCER SA NATURE
Mère de Julien (Ortonville, Michigan)
Une année scolaire aux USA
La première fois que j’ai entendu parler de PIE, c’était par un ami qui était effondré, car sa fille de 16 ans venait de lui demander de l’accompagner à Paris pour passer un test d’anglais – et lui avait précisé : « Viens avec ton chéquier ! » Elle avait monté toute seule son dossier pour partir une année. Ma première réaction fut viscérale : jamais ! Jamais je ne survivrais à dix mois sans « mon » Julien (il avait 10 ans). Mais j’étais tranquille : il était timide, rêveur, très attaché à sa famille, collé à sa maman. Ça me semblait impossible. Pas du tout le profil !
Puis Julien est arrivé en troisième… et à la limite du décrochage scolaire. L’impasse. Nous cherchions des solutions et nous nous sommes inscrits, juste pour voir, à une réunion d’information PIE — association que j’avais pris grand soin d’oublier entre-temps. Lorsque Sarah a parlé des dix mois sans voir les enfants, j’ai compris que nous « y » étions, nous aussi. C’était à moi d’être effondrée car, évidemment, Julien était enthousiaste. Le dossier a été monté très rapidement. Mais nous avons pris le temps de beaucoup discuter. Le contrat était clair entre nous : ce serait une année rien que pour lui. Il serait dans une famille et il devrait vivre selon ses règles, pas selon les nôtres. Il devait simplement être assuré de notre amour et de notre soutien. De notre côté, il n’était pas question de rester prostrés à l’attendre… Il nous a fallu beaucoup de courage.
Une anecdote amusante : pendant le WE d’intégration de mai, Julien avait hérité d’un prénom –Pollux– qui était son nom de code pendant ma grossesse. À partir de ce moment, j’ai arrêté de douter. Il est donc parti pour le Michigan. Tendu mais courageux. Sans se retourner. Personne n’a pleuré. En rentrant de l’aéroport, j’ai transformé sa chambre en bureau. Le début d’une « séparation de vie familiale » de dix mois.
Le premier semestre vient de s’achever. Julien a connu des hauts et des bas. Il a changé de famille, changé de lycée. Il a appris à s’adapter sur le tas. Il a su développer une grande capacité de résilience. Il aurait pu se sentir rejeté —surtout qu’il n’a pas compris immédiatement les raisons de son « exfiltration » du premier foyer— mais il a réussi à positiver cette expérience. Il a écrit à sa mère américaine pour la remercier de son accueil et il a été ravi de découvrir un nouvel environnement : passer d’un lycée de 150 à 1500 élèves et d’une ville de 450 à 22 mille habitants, ça vous change la vie !
Le blues de l’hiver (point culminant : février) a fait des ravages : yoyo émotionnel des deux côtés de l’Atlantique ! Quelques appels au secours (manipulations affectives qui ont parfois fait mouche dans un premier temps, je dois l’avouer à ma grande honte), un auto-diagnostic de dépression… et puis, quelques SMS plus tard (histoire de connaître le temps de cuisson du croque-monsieur ou de la quiche lorraine), la crise était surmontée. Julien est reparti pour la dernière partie de l’aventure, bien décidé à en profiter jusqu’au bout ! Il a pris conscience que d’être peu bavard était parfois pris pour un signe de dépression ou d’indifférence. Il comprend peu à peu que la timidité n’est pas un joker éternel : il arrive un moment où il faut forcer sa nature ! Il a fini par intégrer les codes du lycée et ses erreurs d’incompréhension sont de l’histoire ancienne. Aidé par une meilleure maîtrise de la langue, il s’ouvre d’avantage : ses amis étudiants d’échange l’aident beaucoup (tout comme l’orchestre d’ailleurs). Le voilà du coup réconcilié avec la musique ; il adore l’ambiance de cette classe. Il faut dire que le triangle, c’est plus facile que le piano (et que ça offre toutes les joies de l’orchestre sans avoir à fournir les efforts du piano !) Lorsqu’il nous a dit le mois dernier « Finalement, je suis intelligent », nous avons su que nous avions fait exactement ce qu’il fallait faire : le laisser partir.